8 |planète SAMEDI 7 MARS 2020
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É P I D É M I E D E C O V I D 1 9
L’exécutif rejette l’idée d’un report des municipales
Le débat sur l’opportunité de repousser les élections reste ouvert, surtout dans les départements les plus touchés
I
l n’est absolument pas à
l’ordre du jour de repousser
les élections municipales, a
réaffirmé, mercredi 4 mars,
la porteparole du gouverne
ment, Sibeth Ndiaye. Nous pren
drons des précautions de bon sens
en fonction des recomman
dations sanitaires, mais ces élec
tions se dérouleront. Il s’agit d’un
moment important de la vie dé
mocratique de notre pays dont
nous n’entendons en aucun cas
priver nos compatriotes. »
Malgré la constance du gou
vernement sur ce point, le débat
sur l’opportunité d’un report
des élections municipales reste
ouvert, en raison notamment
des craintes persistantes dans
les départements les plus tou
chés par l’épidémie de Covid19.
En droit, reporter les élections
n’a rien d’impossible, même si,
en pratique, il ne reste plus
qu’une poignée d’heures pour
enclencher le processus législatif
qui permettrait une telle mesure.
« Seuls le vote et la promulgation
d’une loi permettraient le report
des élections, souligne le consti
tutionnaliste Olivier Duhamel,
sollicité par Le Monde. Il y faut un
motif d’intérêt général : une ex
tension de l’épidémie pourrait en
constituer un. » Toutefois, « plus
le temps passe, moins le report est
possible, vu les délais incompres
sibles pour l’entrée en vigueur
d’une loi », ajoutetil, estimant à
une dizaine de jours environ le
temps nécessaire à l’examen et
au vote d’un tel projet de loi par
les deux assemblées, suivi d’une
saisine possible du Conseil cons
titutionnel et, enfin, la promul
gation du texte.
En dehors de ce report national,
certains évoquent la piste de re
ports ciblés, uniquement dans
les zones les plus touchées par
l’épidémie, en prenant appui sur
le code de la santé publique. La loi
précise qu’« en cas de menace
d’épidémie, le ministre chargé de
la santé peut, par arrêté motivé,
prescrire dans l’intérêt de la santé
publique toute mesure propor
tionnée aux risques courus et
appropriée aux circonstances de
temps et de lieu afin de prévenir et
de limiter les conséquences des
menaces possibles sur la santé de
la population ».
Le constitutionnaliste Jean
Philippe Derosier, interrogé mer
credi sur France 5, juge envisa
geable « que le ministre de la
santé prenne par arrêté une déci
sion reportant les élections dans
telle ou telle commune, voire dans
tout un département, parce qu’il y
a un risque important de conta
mination, chargeant ensuite le
préfet d’organiser les élections à
une date ultérieure ».
« Juridiquement, tout est faisa
ble », reconnaît Bruno Daugeron,
professeur de droit public à l’uni
versité ParisDescartes, tout en
émettant des réserves sur cette
option qui remettrait en cause « le
caractère intégral du renouvelle
ment prévu par l’article L227 du
code électoral » et aurait, estime
til, des conséquences désastreu
ses sur la participation d’élec
teurs pouvant se tromper de
bonne foi sur leur jour de vote. « A
mon avis, ce serait la pire des solu
tions, avancetil. Soit on annule
tout, soit on maintient tout. » Pour
reporter tout ou partie des élec
tions municipales, il faudra, de
toute façon, annuler en conseil
des ministres le décret du 4 sep
tembre 2019 portant convocation
des électeurs et en prendre un
autre, expliquetil.
Un tel report des élections quel
ques jours avant pour une cause
de salubrité publique serait iné
dit sous la IVe et la Ve République.
Des aménagements de calen
drier ont parfois été décidés à
l’avance, comme en 2007, où les
élections municipales ont été re
portées à l’année suivante pour
ne pas surcharger le calendrier
électoral, mais aucune situation
sanitaire n’était en cause.
L’option de l’état d’urgence
Plus largement, M. Daugeron
souligne qu’une autre disposi
tion de loi, modifiée récemment
pour faire face à la menace terro
riste mais qui a, en réalité, une
portée très large, serait suscep
tible d’être mobilisée si la crise
sanitaire devait évoluer grave
ment : la loi de 1955 sur l’état d’ur
gence, « mobilisable à partir du
moment où un événement, par
sa nature ou sa gravité, présente
le caractère d’une calamité publi
que ». Déclarer l’état d’urgence
permet, en effet, d’imposer des
interdictions de circulation des
personnes et des véhicules.
« Cela peut être un fondement
légal pour essayer d’éviter la pro
pagation », soulignetil.
Chez les représentants des
communes, l’idée d’un report ci
blé suscite la méfiance. Agnès
Le Brun, maire divers droite de
Morlaix (Finistère) et viceprési
dente de l’Association des maires
de France (AMF), rejette une telle
mesure, qui, ditelle, introduirait
« une disparité dans l’égalité
des candidats et une altération de
la sincérité du vote ». « Le fonde
ment démocratique de l’élection
est double, argumentetelle. Il
s’agit du suffrage universel et de
l’unité de temps », à l’exception
des décalages liés aux territoires
et départements d’outremer.
Pour la porteparole de l’AMF, un
report général n’est « pas possi
ble et pas souhaitable ». « Un bu
reau de vote ne comporte pas de
danger, affirme Agnès Le Brun.
Il y a des files comme il y a la file
au supermarché. »
Audelà du champ ouvert par la
loi, certains maires s’inquiètent
des conditions concrètes d’orga
nisation de l’élection. Ainsi, dans
l’Oise, qui totalise trois décès,
plus de 90 contaminations au
coronavirus et plusieurs élus
contaminés, le président de
l’union des maires du départe
ment, Alain Vasselle, dit attendre
« de la part du préfet et des auto
rités de l’Etat des instructions
claires et précises ». Quid de l’ar
rêté préfectoral qui interdit tout
rassemblement collectif dans le
département depuis le 1er mars et
jusqu’au 14 mars?
« A Beauvais, Compiègne ou
Creil, il n’est pas rare qu’il y ait
deux cents, trois cents, quatre
cents personnes qui viennent as
sister au dépouillement, ce
d’autant plus qu’il y a plusieurs
listes en concurrence. Estce que le
maire doit sortir toutes les per
sonnes? », se demandetil. Il s’in
quiète, en outre, de la possibilité
d’une abstention en hausse, chez
les personnes âgées notamment,
susceptible d’influencer les ré
sultats et de l’arrivée de fournitu
res adaptées. « Estce qu’on aura,
en temps et en heure, les masques,
les gels hydroalcooliques dans
tous les bureaux de vote? C’est
bien facile de dire que l’on main
tient les élections... »
julie carriat
« PLUS LE TEMPS PASSE,
MOINS LE REPORT EST
POSSIBLE, VU LES DÉLAIS
INCOMPRESSIBLES
POUR L’ENTRÉE
EN VIGUEUR D’UNE LOI »
OLIVIER DUHAMEL
constitutionnaliste
alors que l’épidémie due au corona
virus prend de l’ampleur en France,
avec chaque jour plus de nouveaux cas,
l’exécutif s’est attaché, jeudi 5 mars,
à montrer que l’Etat restait mobilisé
face à la maladie.
Après s’être rendu à l’hôpital parisien
de la PitiéSalpêtrière, le 27 février, puis
à la cellule de crise du ministère de
la santé, le 3 mars, Emmanuel Macron a
réuni à l’Elysée, une vingtaine de méde
cins, scientifiques et responsables de
laboratoires pharmaceutiques (Sanofi,
bioMérieux, Gilead Sciences, etc.) enga
gés dans la lutte contre le Covid19. L’ob
jectif étant de « faire un point collectif
sur l’état des lieux du virus et des solu
tions », a indiqué l’Elysée.
« Nous sommes engagés dans le début
de cette épidémie », mais celleci est
« inexorable », a expliqué le chef de
l’Etat, en préambule de cette réunion. Si
le plan de lutte contre le Covid19 est
toujours classé en stade 2, le passage en
stade 3, synonyme de « circulation active
du virus sur l’ensemble du territoire »,
est considéré comme inéluctable au
sein de l’exécutif. Il est « peu probable »
que la France n’y passe pas, avait déjà re
connu, mercredi, la porteparole du
gouvernement, Sibeth Ndiaye.
28 % des sondés « inquiets »
Côté gouvernement, pas moins de sept
ministres et secrétaires d’Etat ont reçu
les associations d’élus, jeudi aprèsmidi
au ministère de la cohésion des territoi
res, afin d’envisager les mesures à
prendre pour garantir la bonne tenue
des élections municipales, prévues les
15 et 22 mars. « Les municipales auront
bien lieu », a assuré le ministre de l’inté
rieur, Christophe Castaner. Alors que
des voix s’inquiètent d’une montée de
l’abstention, des flacons de gel hydroal
coolique seront placés à l’entrée des bu
reaux de vote et les procurations seront
facilitées atil assuré.
« La démocratie n’a pas de prix, car
mettre entre parenthèses la démocratie
signifierait mettre entre parenthèses
l’activité sociale, économique... bref,
considérer que la France est en situation
de confinement », a mis en garde le
président de l’Association des maires de
France, le maire (Les Républicains) de
Troyes, François Baroin, lors de cette
réunion. Selon une étude OpinionWay
publiée jeudi, 28 % des sondés se disent
« inquiets » de se rendre dans un bureau
de vote, contre 45 % qui prétendent
n’être « pas du tout inquiets ».
« L’exécutif est obsédé par une ques
tion : garder l’équilibre entre la gestion
sanitaire de la crise et la sauvegarde des
libertés publiques, explique un con
seiller. Ce n’est pas la même chose d’an
nuler un semimarathon que d’annuler
les élections municipales! » Certains
craignent notamment de créer un
dangereux « précédent démocratique »
au cas où une formation extrémiste
prendrait le pouvoir en 2022. « Gérald
Darmanin a rappelé au premier ministre
que les élections n’avaient pas été annu
lées lors de la guerre d’Algérie », confie un
proche des deux hommes.
« Crise sanitaire »
Si aucune nouvelle annonce n’a été faite
lors de ces rencontres à l’Elysée et au mi
nistère de la cohésion des territoires,
l’exécutif se défend de faire de la gesticu
lation. « Il ne s’agit pas de réunions pour
amuser la galerie. Nous sommes face à
une crise sanitaire, ce n’est pas un virus
comme les autres, cela mérite une orga
nisation et une mobilisation de l’Etat jus
qu’au plus haut niveau », justifieton à
Matignon. Pas question pour autant
d’en faire trop non plus. « Il faut être
capable de traiter la crise sans créer une
peur qui bloquerait le pays », explique un
conseiller. Un « en même temps » sani
taire, en quelque sorte.
cédric pietralunga
Le gouvernement affiche sa mobilisation face à une épidémie « inexorable »
Au CHU de Nantes, le personnel a la sensation de « naviguer à vue »
Alors que l’équipe soignante s’estime mal préparée à la propagation du virus, la hiérarchie et les médecins spécialisés se veulent rassurants
nantes (loireatlantique)
correspondant
M
ardi 3 mars, au petit
matin, un agent expé
rimenté du CHU de
Nantes (LoireAtlantique) a rédigé
une note décrivant les couacs
constatés durant sa garde face à la
menace de propagation du coro
navirus. Ces observations, dont Le
Monde a pris connaissance, font
froid dans le dos. Un cas suspect a
débarqué aux urgences, rédui
sant à néant le plan de crise visant
à acheminer, après appel au Cen
tre 15, les patients possiblement
contaminés dans un service dé
dié au dépistage suivant un par
cours précis. L’intéressé, détaille
l’agent, est « passé en consulta
tion, puis dans un box de méde
cine », et s’est retrouvé dans une
chambre « au contact de deux
autres patients, avant d’être mis en
isolement ». « Il peut arriver que
des cas suspects passent aux ur
gences mais très vite, le personnel
hospitalier, formé et sensibilisé,
veille à ce que ces personnes rejoi
gnent le circuit adéquat », tem
père JeanJacques Coiplet, direc
teur de l’Agence régionale de
santé (ARS) des Pays de la Loire.
Christophe Le Tallec, douze ans
de service aux urgences en tant
qu’aidesoignant, est moins opti
miste : « La vérité, c’est que contrai
rement à ce que dit le gouverne
ment, on n’est pas préparé pour
faire face à une épidémie et la si
tuation n’est pas propre à Nantes »,
affirme le viceprésident du col
lectif national InterUrgences. Des
membres du personnel expri
ment « la sensation de naviguer à
vue ». « Il n’y a rien de carré, énonce
une employée aux admissions,
service qui voit défiler 900 per
sonnes par jour. Il y a des consi
gnes puis des contrordres, par
exemple au sujet du port des mas
ques. » « Quand on fait part de nos
inquiétudes, les cadres nous ren
voient que le coronavirus n’est pas
plus grave qu’une grippe, avance
une autre. OK, peutêtre, mais il y a
un vaccin pour la grippe. »
Trois agents ont rempli une fi
che d’événements indésirables
après avoir été en contact, sans
avertissement préalable, avec des
cas suspects : « Au départ, on se di
sait que c’était peutêtre un peu de
la parano. Mais il vaut mieux se
couvrir », glisseton en coulisses.
« On ne cache rien »
Réclamé par la CGT (majoritaire),
un comité social et économique a
été organisé jeudi 5 mars. Une réu
nion au cours de laquelle la direc
tion du CHU s’est employée à dis
siper les inquiétudes. « Il est im
portant de comprendre que la
connaissance de la pathologie et de
l’épidémie évolue et que les mesu
res sont donc adaptées quotidien
nement », fait valoir LucOlivier
Machon, directeur des ressources
humaines. S’il concède qu’il y a pu
avoir « de petites périodes d’hési
tations », il souligne que cellesci
sont restées « sans conséquence ».
De fait, jeudi, seuls quatre mala
des diagnostiqués « coronavirus »
étaient hospitalisés au sein du
CHU. L’état de santé des patients,
âgés de 50 à 60 ans, est unanime
ment décrit comme « rassurant ».
La direction a conscience « de la
nécessité de diffuser des consignes
claires, identiques pour tout le
monde ». La question des masques
chirurgicaux est tranchée : « Ils ne
sont destinés qu’aux patients pré
sentant des signes respiratoires et
au personnel amené à être en
contact de façon régulière avec ces
derniers. » Les masques de protec
tion renforcée (FFP2) sont réser
vés aux équipes « accomplissant
des soins invasifs auprès des mala
des ou des cas suspects ».
Toutes les incertitudes ne sont
pas pour autant levées. « Si je
tousse et que j’ai un peu de fièvre,
je pense que je viendrai travailler
avec un masque, tout en sur
veillant l’évolution de mon état de
santé », avance un médecin, sans
être certain qu’il s’agisse de la
procédure idoine. « Ça bricole en
core un peu mais les choses se met
tent en place, énonce Philippe
Bizouarn, médecin réanimateur,
membre du collectif InterHôpi
taux. Les infectiologues font un
très bon boulot. On est en ordre de
bataille pour accueillir les malades
les plus graves. »
Le CHU de Nantes a d’emblée
figuré parmi les hôpitaux « pré
curseurs en mettant en place, le
27 février, un centre de dépistage
ambulatoire qui réalise plus de
60 prélèvements par jour », relève
Laetitia MicaelliFlender, direc
trice générale. François Raffi, chef
du service des maladies infectieu
ses et tropicales, unité en charge
des malades confirmés, se veut
aussi rassurant qu’offensif : « Le
CHU est organisé pour faire face à
une épidémie. » S’il « peut com
prendre » les peurs qui se font
jour, le spécialiste rappelle : « Tout
le monde n’est pas infectiologue
ou virologue. On peut avoir des
phobies personnelles, des angois
ses, mais nous, on est expert et on
est là pour dire les choses dans la
transparence et les données de la
science. On ne cache rien. On a le
souci du service public et de gérer
au mieux cette crise sanitaire. »
M. Le Tallec ne doute pas de
cette « volonté de bien faire », mais
prévient : « On peut très vite être
désorganisé car on est en flux
tendu. » Une crainte partagée par
M. Bizouarn : « L’hôpital reste pré
caire. On est inquiet, ici comme
partout, au sujet des conditions
d’accueil des patients si l’on doit af
fronter une crise aiguë. »
yan gauchard
« ÇA BRICOLE ENCORE
UN PEU MAIS LES CHOSES
SE METTENT EN PLACE »
PHILIPPE BIZOUARN
médecin réanimateur, membre
du collectif Inter-Hôpitaux