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CULTURE
JEUDI 5 MARS 2020
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Dadju ou la revanche du cadet
Avec « Poison ou Antidote », le chanteur s’est imposé comme la figure de la pop urbaine française
MUSIQUE
D
adju a froid, alors il
restera audessus du
radiateur pendant
l’heure que va durer
l’entretien. Le chanteur à la mode
(700 000 exemplaires vendus de
son premier album, Gentleman
2.0, en 2018, 200 000 de Poison ou
Antidote depuis le 14 novem
bre 2019) est frileux. Il donne rare
ment des interviews et se livre
peu. Demifrère de Gims, son aîné
de cinq ans, il avait fini par décli
ner toutes les rencontres avec les
journalistes tant il était sans cesse
comparé et questionné sur la vie
de son frère, issu d’un premier
mariage de son père et avec qui il
n’a jamais vécu. Avant de partir
pour une tournée qui devrait dé
buter le 7 mars, au Dôme de
Marseille (sauf annulation pour
cause de coronavirus) et passer
par le Parc des Princes, le 7 juin, à
Paris, Dadju Djuna Nsungula,
28 ans, s’est autorisé quelques
écarts avec son retrait médiatique
mais aussi quelques mondanités.
Mifévrier, l’auteurcomposi
teurinterprète et producteur re
venait de Londres, où il avait as
sisté au défilé de Tommy Hilfiger
pendant la Fashion Week : « Je
commence à me lancer dans le sty
lisme, avouaitil, j’ai déjà travaillé
avec cette marque en tant qu’égé
rie, et là ce serait pour faire ma li
gne de vêtements. Je suis nul en des
sin, mais je “designe” les vêtements
avec un ami d’enfance plus doué
que moi. » Le partage, c’est le credo
de Dadju, issu d’une fratrie de qua
torze frères et sœurs, de mères dif
férentes, mais tous du même père,
Djuna Djanana, chanteur, notam
ment, au sein du groupe de rumba
congolaise Viva la Musica de Papa
Wemba. Le cadet rechigne à s’affi
cher avec son célèbre frère, mais
partage avec lui son management
et ses sociétés de production.
Il reçoit d’ailleurs dans les bu
reaux parisiens du 16e arrondisse
ment d’Indifference Prod, leur la
bel en commun. Table de ping
pong à l’entrée comme dans une
startup, baies vitrées et des dizai
nes de disques d’or, de platine et
même de diamants, accrochés
aux murs blancs. Il y a ceux de
Gims, de Vitaa et Slimane, le nou
veau duo de la variété française, et
les siens. Dadju affiche un disque
certifié triple platine pour Gentle
man 2.0, quand Gims n’a décro
ché qu’un double (plus de
200 000) pour le dernier en date,
Ceinture noire. Le cadet a enfin dé
passé l’aîné : « Je savais en me lan
çant en solo que ce serait plus com
pliqué de me démarquer de Gims
qui est une grosse star, un touche
àtout. Je me disais que cela se fe
rait avec le temps. C’est d’ailleurs
pour ça que je ne faisais pas d’in
terviews avec lui, pas de reporta
ges, pas de photos. »
Se démarquer de son aîné
Néanmoins, Dadju le reconnaît
sans hésiter, c’est grâce à ce frère
qu’en 2012 il enregistre une chan
son. Il entamait ses études en li
cence écogestion qu’il finançait
en travaillant dans les fastfoods
quand, un jour, Maître Gims, qu’il
accompagne parfois en studio,
l’invite à passer derrière le micro :
« “Je t’entends toujours chanter
derrière moi, vasy”, m’atil dit, se
souvient Dadju. On a enregistré un
duo qui ne devait pas sortir des
murs du studio, mais qu’on a fina
lement fait écouter à notre entou
rage. J’ai découvert ma voix. Faire
de la musique ne m’intéressait pas,
mes frères en faisaient déjà, mais le
naturel a pris le dessus. »
Pour se démarquer de son aîné,
il s’est d’abord associé au rappeur
Abou Tall dans le duo The Shin
Sekaï, mais, après deux mix tapes
et un album, Dadju se lance en
solo en affinant son style : « Je n’ai
pas créé un nouveau style de musi
que, résumetil. En revanche, j’ap
porte ma touche en mettant la
rumba au goût du jour. Je veux
chanter de la variété française,
mais avec un flow très afro. J’essaie
d’inventer un nouveau délire tout
en ayant des textes positifs et ac
tuels. Je parle beaucoup de l’obses
sion pour l’argent, d’amour, de rup
ture, d’infidélités, de jalousies. »
Des thèmes largement exploités
dans son premier disque Gentle
man 2.0 avec des chansons telles
que Bob Marley, qui n’a rien à voir
avec l’icône jamaïcaine, mais parle
d’une fille obsédée par les réseaux
sociaux, et Jaloux, roucoulade su
crée d’un Casanova envieux.
Pour son deuxième album,
Poison ou Antidote, le jeune
homme est moins léger et se livre
plus, notamment sur son enfance
et sur les femmes de sa vie : sa
mère, Lionne, sa femme et sa fille,
Reine, et sur l’histoire compliquée
avec son père, Papa : « Je com
mence à me confier, avouetil.
C’est comme de la drague, de la sé
duction, tu ne peux pas tout dire
d’un coup, c’est plus intéressant de
se dévoiler petit à petit. »
Né à Melun, en SeineetMarne,
le 2 mai 1991, Dadju est le fruit de
la rencontre entre deux clandes
tins arrivés de la République dé
mocratique du Congo, un musi
cien et une étudiante. L’enfant vit
ses premières années dans des
squats de la SeineSaintDenis. A
l’âge de 3 ans, un marchand de
sommeil déniche un apparte
ment à sa famille, à Romainville,
contre un loyer payé en espèces. Il
y reste jusqu’à ses 12 ans et le dé
part de son père : « Quand il est
parti, il n’a pas laissé de message,
raconte Dadju, il ne m’a pas dit :
“Tu sais, on va se séparer avec ta
mère, maintenant tu es grand, il
faut que tu comprennes.” Il est
juste parti, je me suis réveillé le ma
tin, je l’ai vu, je lui ai dit : “A tout à
l’heure” et je ne l’ai plus revu. Il m’a
donné des nouvelles de lui un an
après être parti : “Si tu veux, on va
au McDo”, comme si de rien n’était.
Il m’a ainsi donné des nouvelles
Dadju, à Paris, le 17 février.
MARCO CASTRO POUR « LE MONDE »
Sur « Poison ou
Antidote », le
chanteur se livre
plus, notamment
sur son enfance
et sur les femmes
de sa vie
tous les deux ans pour me dire :
“Viens, on va au McDo.” Il n’était
pas méchant, juste pas fait pour
avoir des responsabilités. »
« Douleur du pauvre »
Sa mère, elle, sans papiers, peine à
trouver un travail et accumule les
retards de loyers. La petite famille
finit par se retrouver à la rue :
« Quand on avait un peu d’argent,
on allait à l’hôtel, ou alors chez une
tante. Au pire, on restait dans une
cage d’escalier, raconte Dadju. La
CPE [conseillère principale d’édu
cation] de mon collège, à Romain
ville, a vu que je n’étais pas bien. Elle
m’a demandé ce qu’il se passait. Je
pouvais ne pas changer de vête
ments pendant une semaine.
J’étais quelqu’un de très souriant, je
n’avais plus envie de rigoler. Elle a
demandé à voir ma mère. Comme
je ne voulais pas qu’elle se déplace,
et rajouter à ses problèmes, j’ai fini
par tout expliquer à ma CPE. »
La fonctionnaire organise une
collecte pour subvenir aux be
soins urgents de la famille et
prend les choses en main : « Elle al
lait à la mairie en emmenant ma
mère, rapporte le chanteur. Pen
dant six mois, elle a harcelé l’admi
nistration : “C’est inadmissible, Da
dju est un de nos meilleurs élèves. Il
est à la rue, ses notes chutent, je vais
me plaindre ici et là.” Un logement
HLM nous a été attribué après dix
huit mois sans domicile. Ma CPE
nous a littéralement sauvés. »
De cette période, Dadju dit avoir
gardé un traumatisme : cette
« douleur du pauvre ». « Pour moi,
décryptetil, c’est l’incapacité de
s’aider soimême et de pouvoir
aider les autres. Quand tu vois ta
mère souffrir parce qu’elle n’a pas
ses papiers, pas d’argent et que toi,
en tant qu’adolescent, tu ne peux
rien y faire, c’est une douleur que je
n’ai plus envie de ressentir. Je tra
vaille pour ne plus redevenir pau
vre. Je refuse que mes enfants vi
vent ce que j’ai vécu. ».
stéphanie binet
Poison ou Antidote, 1 CD Polydor.
En tournée à partir du 7 mars
« Je n’ai pas créé
un nouveau style.
En revanche,
j’apporte ma
touche en
mettant la rumba
au goût du jour »