Les Echos - 21.02.2020

(vip2019) #1
nomique est catastrophique. « Le
port vient de perdre sa deuxième
place en Méditerranée au profit de
Valence », regrette Jean-Luc Chau-
vin, président de la Chambre de
commerce et d’industrie métropo-
litaine Aix Marseille Provence
(CCIAMP). L’institution a fait les
comptes : pour le seul trafic de con-
teneurs, 95 millions d’euros ont été
perdus en décembre et 75 de plus
en janvier.
La première quinzaine de
l’année, Marseille-Fos a ainsi
perdu 15.000 boîtes (– 26,5 %) par
rapport à la même période en 2019
selon le réseau Devport. Dans le
même temps, le nombre de conte-
neurs traités à Barcelone a bondi
de 61 %, celui d’Anvers de 21 %. Le
trafic de vrac e st également
impacté avec une baisse de pres-
que 2 % sur l’année (78,4 millions
de tonnes contre 80 millions en
2018). « Ce blocage est hallucinant.
A cause d’une poignée de grévistes,
l’activité est totalement désorgani-
sée et met en danger de nombreuses
entreprises », témoigne Jean-Yves

Baeteman, président de la société
Batimex spécialisée d ans le négoce
d’articles pour la maison et le jar-
din. Depuis décembre, les char-
geurs débarquent les marchandi-
ses où ils peuvent. « Les miennes
ont été déroutées vers le port du
Pirée, e n Grèce. J’y ai une centaine de
conteneurs que je dois maintenant
faire rouler jusqu’à nos entrepôts à
Marseille. Ça va me coûter
2.0 00 euros par boîte », explique-
t-il. Il y a cinq ans, après la grande
grève de 2 010, i l a relocalisé 2 0 % de
sa production à Barcelone.
« J’hésite à tout rapatrier de Chine

pour sortir du piège portuaire »,
réfléchit-il.
Le blocage de l’activité a égale-
ment convaincu plusieurs arma-
teurs de croisières de renoncer à
leur escale technique à Marseille.
« Deux grands noms du secteur ont
annulé leur passage pour 3 navires
en 2020 », témoigne Jacques Har-
delay, président de Chantier Naval
de Marseille qui exploite plusieurs
cales à sec dont la forme 10, r éputée
comme la plus grande de Méditer-
ranée (465 mètres de long). Man-
que à gagner : 12 millions d’euros
sur un chiffre d’affaires de 50 mil-
lions en 2019. « La maintenance des
navires de croisière représente 70 %
de notre activité. C’est un petit
milieu. Je m’attends à d’autres défec-
tions », redoute le patron.

Image dégradée
Les armateurs se sont déjà passé le
mot : par crainte d’être pris en
otage à quai ou interdit de débar-
quer, 15 escales ont déjà été annu-
lées, soit un total de 39.700 passa-
gers, dont 20 % devaient

embarquer à Marseille. « La perte
se chiffre à 6,5 millions d’euros et
une trentaine d’emplois sont mena-
cés », a calculé Jean-Luc Chauvin.
Globalement, l’impact indirect des
grèves sur le commerce, les servi-
ces et l’activité touristique, se chif-
frerait entre 100 et 150 millions
d’euros, selon ses estimations.
Le bilan se calcule également en
termes d’image. « On vient de met-
tre à mal dix a ns d’effort pour retrou-
ver la confiance du monde maritime.
Tout est à refaire et pas sûr qu’on y
arrive, sauf à modifier la gouver-
nance des ports », poursuit le prési-
dent de la CCIAMP. Pour que le port
ne serve plus de moyen de pression
sur l’Etat, l’institution a lancé une
étude sur sa reprise en main locale
avec les acteurs de la place por-
tuaire, la région et la métropole. La
CGT, elle, assume : « Nous n’avons
pas d’autre choix pour imposer nos
revendications », défend Pascal
Galéoté, secrétaire général du syn-
dicat pour le personnel du port et
de Fluxel, l’opérateur des termi-
naux pétroliers. —P. M.

A nouveau au bord du gouffre


Dix ans après le soulèvement des
dockers contre la réforme por-
tuaire, l’opération « Ports morts »,
entamée le 5 décembre par la CGT
plonge à nouveau le port de Mar-
seille dans la crise. Depuis deux
mois, le syndicat majoritaire sur les
quais bloque régulièrement les
accès aux terminaux, sabote des
engins de roulage et incendie des
véhicules pour faire entendre son
opposition à la réforme des retrai-
tes. « Un suicide », dénonce Thibaut
San Galli, porte-parole des char-
geurs à l’Union Maritime et Flu-
viale de Marseille-Fos. Le bilan éco-


Sale temps pour le Grand
Port Maritime de
Marseille-Fos qui a perdu
sa deuxième place en
Méditerranée au profit
de Valence. En deux mois,
la grève perlée de la CGT
a fait perdre 170 millions
d’euros à l’économie
portuaire et sans doute
autant aux secteurs qui
en dépendent.


Le terminal porte-conteneurs d’Eurofos, dans le port marchand de Marseille-Fos. Malgré quelque 170 escales annulées depuis décembre, le trafic de marchandises
conteneurisées sur l’année 2019 maintient globalement son rythme de croissance. Photo Ian Hanning/RÉA

avec une hausse de 4 % au lieu des
7 % qui étaient attendus. « C’est
deux fois mieux que Rotterdam »,
compare le dirigeant. Le trafic pas-
sager est lui aussi en hausse, de 5 %.
L’essentiel de l’impact se concentre
sur le vrac s olide (minerais,
pétrole...) en baisse de 15 %. Il tou-
che le résultat global du port avec
une réduction de 2 % des volumes
traités.
La région Sud Provence-Alpes-
Côte d’A zur va elle aussi donner un
coup de pouce aux entreprises de
service portuaire pour traverser
cette crise. Elle a libéré 3 millions

d’euros supplémentaires dans son
dispositif Région Sud Défensif, mis
en place par son président, Renaud
Muselier, pour offrir une aide
d’urgence aux activités impactées
par des événements indépendants
de leur volonté. Depuis sa mise en
place, il a été mis en œuvre à deux
reprises : pour aider les commerces
victimes des manifestations violen-
tes des « gilets jaunes » et les entre-
prises qui ont subi des dommages
dus aux inondations dans le Var et
les Alpes-Maritimes. L’aide est ver-
sée sous forme de subvention pla-
fonnée à 200.000 euros. Une quin-

zaine de dossiers seraient déjà en
cours d’instruction. « Le déblocage
du port est mon dossier prioritaire,
c’est une catastrophe pour l a
région », assure « aux Echos »
Renaud Muselier.
La mobilisation, même modeste,
des pouvoirs publics n’est pas que
politique. L’économie du port est
vitale au territoire régional, elle
rayonne s ur l’ensemble de l a métro-
pole. « Pas de port, pas d’sous », rap-
pelle un observateur en référence
aux plus de 2.000 ans de l’histoire
commerciale de Marseille dans le
bassin méditerranéen. Selon

l’Insee, « le cluster industrialo-por-
tuaire de Marseille-Fos » rassem-
blerait 1.500 entreprises dans les
Bouches-du-Rhône couvrant les
services aux navires, à la logistique
maritime et terrestre, aux entrepri-
ses du secteur et à leurs services de
support technique et administratif.

Plus de 40.000 salariés
touchés
Ensemble, elles emploient 41.500
salariés dans les 62 communes du
département, et chacune est inti-
mement liée aux autres. « C’est une
chaîne d’activité qui concourt à

l’acheminement e t la transformation
des marchandises », indiquent ses
auteurs. Au total, l’activité couvre
ainsi 7,5 % des emplois du départe-
ment, dont la moitié se situe hors de
Marseille : « 290 établissements
industriels destinataires et/ou expé-
diteurs locaux des marchandises
portuaires, rassemblent plus d’un
tiers des salariés du cluster, soit
15.000 personnes dans la chimie,
pétrochimie, activités pétrolières,
métallurgie, industrie alimentaire, et
réparation navale », rapporte
l’Insee.
La filière mise sur l’innovation
pour se distinguer et recouvrer son
aura : économie circulaire à échelle
industrielle avec la plate-forme
Piicto, qui partage les frais énergéti-
ques, programme innovant de stoc-
kage d’énergie, valorisation des
fumées industrielles en biocarbu-
rant, connexion électrique bientôt
généralisée des navires à quai, ges-
tion dématérialisée du passage por-
tu aire... Plusieurs entreprises loca-
les ont néanmoins décidé des
accostages plus sûrs, comme la
Compagnie Fruitière, une entre-
prise historique de la cité pho-
céenne, qui décharge l’essentiel de
ses importations africaines à Port-
Vendres dans les P yrénées-Orienta-
les, ou Marfret, qui préfère récep-
tionner l’essentiel de ses conteneurs
à l’abri dans le port de Sète.n

l Le Grand Port Maritime de Marseille, l’Union Maritime et Fluviale, et la région Sud annoncent vendredi la création


d’un « pacte d’engagement » et d’une enveloppe d’investissement pour aider les entreprises victimes des grèves.


lLe port va effacer les frais de stationnement des marchandises bloquées sur les quais à cause des grèves.


Marseille brade ses tarifs portuaires


pour sauver son port


Paul Molga
— Correspondant à Marseille


Comment refaire surface? Alors
que la CGT vient d’annoncer recon-
duire pour trois semaines le blo-
cage de l’activité portuaire pendant
quatre heures chaque jeudi, le
Grand Port Maritime de Marseille-
Fos (GPMM) tente de panser ses
plaies après une perte désormais
estimée à plus de 260 millions
d’euros.
Il annonce ce matin un partena-
riat inédit avec l’Union Maritime et
Fluviale, assorti d’un investisse-
ment de 5 millions d’euros pour
aider les entreprises de la place à
faire face et relancer la dynamique
commerciale. Dans le détail, le port
va e ffacer les frais de stationnement
des marchandises bloquées sur les
quais à cause des grèves. Il propo-
sera également un geste aux arma-
teurs qui restent fidèles au port, en
dépit des événements. Soit une
remise de 30 % sur l’ensemble des
frais portuaires (services aux navi-
res et droits portuaires) pendant
trois mois, et jusqu’à 50 % en cas de
création de nouvelles lignes. « Nous
devons reconquérir au plus vite la
confiance de nos clients dans un con-
texte concurrentiel où Marseille n’est
plus indispensable dans le bassin
méditerranéen », concède Hervé
Martel, récemment nommé à la tête
du GPMM.


Aide d’urgence
L’offensive commerciale va débuter
sans tarder par un « road show »
auprès des quelque 10.000 utilisa-
teurs du port en France. Son argu-
ment : « Le conflit que nous traver-
sons est très exceptionnel et n’a rien
d’une grève portuaire. C’est un trou
d’air dans un contexte national
tendu. Notre fiabilité s’est construite
dans la durée et nos fondamentaux
demeurent », défend Hervé Martel.
Malgré quelque 170 escales
annulées depuis décembre, le trafic
de marchandises conteneurisées
sur l’année 2019 maintient globale-
ment son rythme de croissance


MARITIME



  • 2 6,5 %
    DE TRAFIC
    sur la première quinzaine de
    l’année. Marseille-Fos a ainsi
    perdu 15.000 conteneurs
    par rapport à la même période
    en 2019


« Le déblocage
du port est mon
dossier prioritaire,
c’est une
catastrophe
pour la région. »
RENAUD MUSELIER
Président de la région Sud

PME & REGIONS


Les EchosVendredi 21 et samedi 22 février 2020

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