Les Echos - 21.02.2020

(vip2019) #1

Guillaume Benoit
@gb_eco


C’est un signal d’alarme à
13.500 milliards de dollars que tire
l’OCDE. Soit le montant total du
stock d’obligations émises par les
entreprises dans le monde à fin



  1. Un record historique dû à la
    frénésie d’émissions obligataires
    enregistrées au cours des douze
    dernières années. « Depuis 2008, le
    montant moyen des levées d’obliga-
    tions d’entreprise s’élève à 1.800 mil-
    liards d’euros par an, constate
    l’Organisation de coopération et de
    développement économiques
    (OCDE) dans un rapport publié en
    milieu de semaine. C’est le double de
    celui enregistré entre 2000 et 2007. »
    Cette dynamique s’explique en
    grande partie par les coûts extrê-
    mement bas proposés aux
    emprunteurs par les marchés,
    grâce à l’action des banques cen-
    trales. Un effet qui s’est particu-
    lièrement fait sentir l’an dernier,
    lorsque la Réserve fédérale amé-
    ricaine – qui avait pourtant com-
    mencé à remonter ses taux – et la
    Banque centrale européenne ont
    accru leur soutien à l’économie.
    Les emprunteurs ont profité de
    cet argent parfois quasiment gra-
    tuit. « Les volumes d’émissions
    d’obligations d’entreprise ont
    bondi pour atteindre 2.100 mil-
    liards de dollars, égalant ainsi le
    record de l’année 20 16 », souligne
    le rapport.


Risque de dégradation
Ce qui inquiète surtout l’OCDE, c’est
que cette augmentation r apide de l a
dette obligataire des entreprises
s’est accompagnée d’une dégrada-
tion de la qualité de crédit des
emprunteurs. Alors qu’entre 200 0
et 2007 – avant la crise financière –
seules 39 % des obligations en cir-
culation étaient notées dans la
famille BBB, elles sont désormais
majoritaires (51 %). Or cette nota-
tion est la plus basse de la catégorie


menter leur endettement obliga-
taire sans que cela pèse pour l’ins-
tant sur leur notation. Mais, avertit
l’OCDE, « si les taux d’intérêt repar-
tent à la hausse ou qu’une dégrada-
tion de l’économie vient réduire les
rentrées d’argent des entreprises,
elles subiront u ne pression à la baisse
sur leur notation ». Avec des consé-
quences potentiellement lourdes
pour les marchés.
Un mouvement de dégradation
frappant une bonne partie du seg-
ment BBB – l’OCDE estime à
261 milliards de dollars sur un an la
valeur des obligations pouvant bas-
culer – pourrait entraîner un mou-
vement de vente massif. Certains
investisseurs ne peuvent en effet
détenir des titres n’appartenant pas
à la catégorie investissement et
devront céder les titres tombés en
catégorie spéculative. D’autres,
appliquant des stratégies de gestion

passive, reproduisent fidèlement la
composition des indices de crédit.
Si des titres moins bien notés sor-
tent des indices, ils sont tenus de les
vendre.
Un risque qu’a également cons-
taté l’Esma, le gendarme
européen des marchés financiers.
Dans une étude publiée mercredi,
l’Autorité a calculé que l’arrivée
massive « d’anges déchus » – les
anciennes obligations de la caté-
gorie investissement – pourrait
entraîner un bond de plus de
4 points de pourcentage des
rendements des obligations spé-
culatives. Et toucher par ricochet
la catégorie investissement. Un
vrai problème lorsque les entre-
prises devront refinancer ces det-
tes. D ’autant que, s elon l’OCDE, u n
tiers des obligations en circula-
tion à fin 2 019 arriveront à
échéance d’ici à 2022.n

lLe montant des obligations émises par les entreprises au niveau mondial atteint 13.500 milliards de dollars.


lUn niveau inédit qui préoccupe l’OCDE car la qualité moyenne de crédit des emprunteurs a baissé.


Le niveau record de la dette obligataire


des entreprises préoccupe l’OCDE


MARCHÉ
OBLIGATAIRE


Anne Feitz
@afeitz


C’est u ne première d epuis la crise de
2009 : la dette de Renault pourrait
retomber en catégorie spéculative.
Moody’s a annoncé mardi avoir
dégradé la notation à long terme du
constructeur de Baa3 à Ba1, au pre-
mier n iveau d e la catégorie spécula-
tive. Il faut que deux agences aient
franchi le pas pour que les obliga-
tions du groupe deviennent des
« junk bonds » et sortent des indices
« investment grade ».
Or S&P Global Ratings a annoncé
mercredi avoir placé la notation du
Losange sous surveillance, avec
implication négative. La note pour-
rait prochainement tomber d’un
cran, de BBB8 à BB +, a indiqué
l’agence, qui se donne jusqu’à f in mai


pour prendre sa décision. Le temps
d’étudier le plan de restructuration
qui sera annoncé d’ici là, d’en savoir
plus sur la capacité de l’entreprise à
atteindre ses objectifs en matière
d’émissions de CO 2 , ainsi que sur la
politique de dividende de Nissan,
dont Renault détient 43 %.
Plombé notamment par des ven-
tes en baisse, des coûts réglemen-
taires en hausse et des dépenses
marketing plus lourdes liées à des
lancements de véhicules, Renault a
annoncé vendredi des résultats
2019 en chute libre, marqués par
une marge opérationnelle médio-

cre, de 1,7 % (3,3 % en 2018 et 4,7 %
en 2017) et une génération de cash
en trompe-l’œil, dopée par les divi-
dendes de sa banque et des cessions
de créances clients.
Et les perspectives d’amélioration
ne sont pas fameuses. « Compte tenu
des prévisions 2020 d’une nouvelle
dégradation de la marge opération-
nelle, ainsi que de la faiblesse de l’envi-
ronnement, nous ne pensons pas
Renault capable de restaurer une
marge opérationnelle saine à moyen
terme », écrit Moody’s. De même,
S&P estime que « le retour à la géné-
ration de cash-flow attendue pourrait
prendre plus de vingt-quatre mois ».

Risque sur RCI, la banque
du groupe
La situation du bilan de Renault
n’en est pas, à ce stade, dramatique.
Le groupe est encore en situation de
trésorerie nette positive (1,7 mil-
liard d’euros) et dispose de lignes de
crédit disponibles de 3,5 milliards.
Son endettement obligataire,
hors billets de trésorerie et titres
participatifs, s’élève à 6,7 milliards,
dont 1,8 milliard arrive à échéance
avant 2023. « La dégradation de la

notation aura un impact négligeable
sur le coût de financement du
groupe », note Gaëtan Toulemonde,
analyste chez Deutsche Bank. « En
revanche, il y a un risque réel sur la
banque du groupe, RCI Banque, qui
pourrait avoir du mal à se refinancer
à un coût acceptable », poursuit
l’analyste, rappelant que PSA ou
Fiat Chrysler ont dû céder une par-
tie de leurs filiales de financement
par le passé, dans des situations
similaires. Un risque également
souligné par Philippe Houchois,
chez Jefferies, même si « Renault est
encore un peu considéré comme un
risque souverain, compte tenu du
poids historique de l’Etat dans le
groupe ». De fait, l’Etat détient
encore 15 % du capital de l’ex-Régie.
Selon Philippe Houchois, il n’y a
toutefois pas péril en la demeure.
« On considère généralement comme
acceptable un écart de 2 points entre
un émetteur et sa banque : RCI a
encore de la marge avant de tomber
en spéculatif. Il n’empêche, c’est un
signal! » conclut-il. La dernière fois
que Renault était passé e n catégorie
spéculative, il avait mis sept ans
pour en sortir.n

Renault s’approche dangereusement


de la catégorie spéculative


Moody’s a dégradé mardi
le constructeur automobile,
et S&P Global Ratings
l’a placé sous surveillance
négative, conséquence de
la dégradation de la marge
et de la piètre génération
de cash de l’entreprise.


« Nous ne pensons
pas Renault
capable
de restaurer
une marge
opérationnelle
saine à moyen
terme. »
MOODY’S

d’« investissement », qui regroupe
les titres jugés sûrs. En cas de
retournement de l’économie, ces
obligations pourraient facilement
basculer dans la catégorie spécula-
tive, celle des « obligations
poubelle ». Les intérêts étant
actuellement très faibles, la charge
de la dette payée par les entreprises
est bien moindre que par le passé.
Cette situation leur a permis d’aug-

Entre 2000 et 2007,
39 % des obligations
en circulation
étaient notées
dans la famille BBB.

Elles sont désormais
majoritaires (51 %).

temps d’avoir été trop indulgen-
tes. Autrement dit, les obliga-
tions émises par Kraft Heinz
sont considérées par les investis-
seurs comme des « junk bonds »
(obligations pourries) car le ris-
que d’impayé a augmenté. Elles
ont basculé dans la catégorie des
investissements à haut rende-
ment et fort risque spéculatif.
C’est le plus gros « ange déchu »
(« fallen angel »), ainsi que l’on
nomme ces valeurs déclassées
sur les marchés depuis plus de
quinze ans.
Pour S&P, une révision à la
hausse d ans les douze prochains
mois est improbable. « Nous
aurions aussi besoin d’être rassu-
rés sur le fait que la politique
financière ne va pas devenir plus
agressive, surtout si l’on considère
l’appétit historique de l’entreprise
pour de grosses acquisitions »,
explique l’agence. Les marchés
s’inquiètent d’une vente massive
du titre, q ui pourrait le
faire décrocher davantage
encore à Wall Street. Ces trois
dernières années, Kraft Heinz
a vu sa capitalisation boursière
divisée par 3,5.

Une demande
encore élevée
La demande pour les titres
à haut rendement demeure
encore élevée pour le moment,
ce qui ne fait pas apparaître de
menace à court terme, d’autant
que les risques de récession
semblent s’être éloignés. Mais
les « junk bonds » constituent,
selon un rapport de BlackRock,
la moitié du marché des obliga-
tions et ont doublé sur la der-
nière décennie pour atteindre
3.400 milliards de dollars, selon
Ice Data Services. D’après UBS,
80 milliards de dollars de dette
vont encore tomber dans la caté-
gorie « haut rendement » cette
année, un chiffre qui pourrait
s’envoler en cas de récession.n

Nicolas Rauline
@nrauline
— Bureau de New York

Kraft Heinz va-t-il provoquer
une indigestion sur le marché
obligataire? Le géant améri-
cain de l’agroalimentaire sus-
cite en tout cas l’inquiétude.
Après des résultats décevants
au quatrième trimestre et
l’annonce d ’une nouvelle dépré-
ciation d’actifs il y a quelques
jours, le groupe a vu sa note
abaissée par deux des trois
principales agences de nota-
tion, S&P et Fitch.
Pour Kraft Heinz, engagé
dans un plan de transformation
pour s’adapter aux change-
ments d’habitudes des consom-
mateurs et réduire ses coûts,
l’équation est difficile. Il doit
investir tout en remboursant
une dette colossale, de près de
30 milliards de dollars, alors
même que son niveau de cash
baisse (2,3 milliards en fin
d’année dernière). « Kraft a
annoncé sa décision de maintenir
son dividende annuel à 1,60 dollar
par action, soit 2 milliards de
dollars annuels au total, sous-
trayant ce montant des options de
désendettement à court terme »,
jugeait le rapport de Fitch.

« Ange déchu »
La dette de Kraft Heinz a donc
été abaissée de BBB – à BB +
chez Fitch et S&P, une sanction
qui guettait le groupe depuis un
certain temps, les agences ayant
même été accusées ces derniers

La note du géant
américain a été abaissée
par deux des trois
principales agences
de notation, qui lui
reprochent d’avoir
privilégié les dividendes
à l’allégement
de sa dette.

La dégradation


de Kraft Heinz


inquiète les marchés


FINANCE & MARCHES


Les EchosVendredi 21 et samedi 22 février 2020

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