2 |
INTERNATIONAL
MARDI 3 MARS 2020
0123
Des partisans
Joe Biden,
le 1er mars,
à Norfolk,
en Virginie.
ALEX WONG/AFP
washington correspondant
L
a course à l’investiture démocrate
entre dans une phase décisive
avec le Super Tuesday « super
mardi »), au cours duquel qua
torze Etats se prononceront, le
3 mars. Cette étape intervient
trois jours après la primaire de Caroline du
Sud, le 29 février, qui a été marquée par le re
bond à un niveau inattendu de l’exfavori, Joe
Biden. Chahuté au début du mois de février
dans l’Iowa, puis le New Hampshire, l’ancien
viceprésident a effacé un début de campagne
catastrophique en distançant de près de
30 points celui qui mène pour l’instant la
course en nombre de délégués, le sénateur in
dépendant du Vermont Bernie Sanders.
La victoire écrasante de Joe Biden, mar
quée par une mobilisation aussi forte que
lors du duel impitoyable de 2008 entre Ba
rack Obama et Hillary Clinton, a produit des
effets en chaîne. Elle a entraîné l’abandon
immédiat du milliardaire et philanthrope
Tom Steyer, samedi, et surtout celui, le len
demain, de la révélation de la course à l’in
vestiture, l’ancien maire de South Bend (In
diana), Pete Buttigieg.
LES FAIBLESSES STRUCTURELLES DE BIDEN
Cet abandon était inéluctable. La résurgence
de l’exviceprésident, qui défend comme lui
des positions plus modérées que celles de Ber
nie Sanders, et qui plaide pour un vaste ras
semblement passant par le centre et les répu
blicains rétifs à Donald Trump, privait le ben
jamin de la course de tout espace et de toute
perspective. Après deux performances re
marquables dans l’Iowa et le New Hampshire,
et de solides prestations lors des débats, le
premier candidat ouvertement homosexuel
d’une course à l’investiture présidentielle
n’avait rien à gagner à accumuler les revers.
Cette clarification en cours au centre de
vrait se poursuivre mardi soir, après le vote
du Minnesota. La sénatrice Amy Klobuchar,
régulièrement distancée depuis le début des
votes, n’aura plus guère de raison de se
maintenir une fois proclamés les résultats
de son Etat d’élection, qu’elle espère, symbo
liquement, remporter.
L’ampleur de la victoire de Joe Biden en Ca
roline du Sud a donc reconfiguré en partie la
course à l’investiture, mais en partie seule
ment. Les faiblesses structurelles de la cam
pagne de l’ancien viceprésident demeurent,
à commencer par une organisation décriée
et une faible capacité à collecter les fonds de
campagne.
Ces finances réduites ont limité ces der
niers jours ses dépenses, concentrées sur
l’objectif vital que représentait la Caroline
du Sud. Il y a, en effet, consacré 1 million de
dollars (900 000 euros) contre seulement
600 000 dollars pendant la même période
pour les quatorze Etats du 3 mars, loin des
15 millions de Bernie Sanders, et très loin
des 160 millions dépensés par le milliar
daire Michael Bloomberg une semaine
avant le jour fatidique. Ce dernier est le seul
à autofinancer sa campagne.
Certes, le résultat décevant obtenu par Tom
Steyer en Caroline du Sud, où il n’a pas rem
porté un seul délégué, en dépit d’un investis
sement de plus de 13 millions de dollars, mon
tre les limites du pouvoir de l’argent. Mais les
sommes engagées par Michael Bloomberg
sont sans précédent : entré tardivement en
campagne, en novembre 2019, l’ancien maire
de New York a déjà dépensé depuis cette date
plus d’un demimilliard de dollars.
Il est d’ailleurs parvenu à se hisser à la troi
sième place dans les intentions de vote mesu
rées au niveau national, même si ces derniè
res ne sont qu’indicatives, puisque les primai
res se jouent au niveau des Etats. La présence
du milliardaire, peu à son aise au cours des
deux débats auxquels il a pris part, n’en est
pas moins paradoxale : il s’est engagé alarmé
par le dynamisme de l’aile gauche du Parti dé
mocrate, alors que sa candidature handicape
désormais le centre qu’il prétend défendre.
Toujours prompt aux gaffes ou aux lap
sus, l’ancien viceprésident a su trouver les
mots samedi soir pour mobiliser ses trou
pes, se présentant comme « un démocrate
de toujours, un fier démocrate, un démo
crate ObamaBiden ». Une allusion claire au
sénateur indépendant du Vermont, et à Mi
chael Bloomberg, ancien républicain, qui
lui ne figurait pas sur les bulletins de vote
de Caroline du Sud. « La plupart des Améri
cains ne veulent pas la promesse d’une révo
lution » annoncée par le sénateur, « ils veu
lent des résultats » dans leur vie quoti
dienne, atil ajouté.
En annonçant son retrait, dimanche, Pete
Buttigieg a tenu un discours qui n’a pu que
renforcer l’ancien viceprésident. Il a lancé
un appel à l’unité qui a tranché avec les ges
tes de défiance répétés de Bernie Sanders
visàvis d’un parti dont il a toujours refusé
de devenir membre. Pete Buttigieg a égale
ment mis en garde contre le risque d’être
aveuglé par « l’idéologie », une pique évi
dente contre ce dernier.
Le sénateur du Vermont, cependant, reste
pour l’instant le mieux placé dans cette
course à l’investiture. Unique candidat dé
sormais à dépendre uniquement de la fidé
lité de petits donateurs, même s’il est égale
ment soutenu par des mouvements classés
à gauche extérieurs à sa campagne, Bernie
Sanders continue de glaner mensuellement
des sommes considérables.
« Vous savez pourquoi la classe des milliar
daires et l’establishment politique deviennent
nerveux? Nous venons de lever 46,5 millions
de dollars en février », atil ainsi annoncé di
manche sur son compte Twitter avec ce ton
offensif qui constitue sa marque de fabrique.
Un record depuis son entrée en campagne, il
y a un an. « Notre don moyen est de seule
ment 21 dollars. La principale activité de nos
donateurs est l’enseignement. Lorsque les tra
vailleurs sont unis, il n’y a rien que nous ne
puissions accomplir », atil ajouté.
L’expérience accumulée au cours de sa
première candidature à l’investiture,
en 2016, lui permet également de pouvoir
compter sur une organisation parfaitement
rodée. Elle est capable de répondre au défi
de la mobilisation pour une épreuve aussi
complexe que le Super Tuesday. Le 3 mars,
un tiers des délégués qui désigneront offi
ciellement le candidat démocrate à la prési
dentielle lors de la convention nationale de
Milwaukee, en juillet, seront attribués.
Sur sa lancée de la Caroline du Sud, où il a
pu compter sur le soutien de la commu
nauté afroaméricaine, majoritaire au sein
de l’électorat démocrate de cet Etat, Joe Bi
den peut espérer profiter de ce vote, là où il
est significatif, comme dans l’Alabama, le
Tennessee, la Caroline du Nord, l’Arkansas
ou la Virginie. S’il réédite sa performance
du Nevada, Bernie Sanders pourra pour sa
part l’emporter dans les deux plus grands
Etats : la Californie, où il dispose d’une large
avance dans les intentions de vote, et le
Texas – en partie grâce au soutien d’élec
teurs latinos.
LE « FAVORI » DE DONALD TRUMP
Le sénateur du Vermont pourrait donc creu
ser son avance en termes de délégués, au soir
du 3 mars, même si la lenteur proverbiale de
la Californie dans le décompte des voix
pourrait différer l’impact d’une victoire.
Dans l’hypothèse d’une nouvelle perfor
mance du sénateur, la course à l’investiture
ressemblerait alors à celle de 2016, lorsque
Bernie Sanders avait poussé jusqu’au bout
dans ses retranchements l’ancienne secré
taire d’Etat Hillary Clinton.
La perspective d’une compétition longue
et incertaine ne pourra que réjouir Donald
Trump. Le président, qui en suit attentive
ment les épisodes, ne cache pas quel sera
son favori. Commentant dimanche soir le
retrait de Pete Buttigieg, le président des
EtatsUnis a assuré qu’il s’agissait du « VRAI
début » de la tentative supposée des démo
crates « de mettre Bernie [Sanders] hors jeu –
PAS DE NOMINATION, ENCORE UNE FOIS! »,
assuré le président, toujours soucieux d’at
tiser les divisions chez ses adversaires.
gilles paris
« LA PLUPART
DES AMÉRICAINS
NE VEULENT PAS
LA PROMESSE D’UNE
RÉVOLUTION.
ILS VEULENT
DES RÉSULTATS »
JOE BIDEN
candidat à l’investiture
démocrate
Joe Biden relance la course au centre
Le succès de l’exviceprésident en Caroline du Sud et le retrait de Buttigieg rebattent les cartes avant le Super Tuesday
P R I M A I R E S D É M O C R A T E S