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MARDI 3 MARS 2020 international| 3
Le Texas, terre de mission pour les démocrates
L‘Etat, tenu par les républicains, revient progressivement au centre à la faveur de son évolution démographique
REPORTAGE
austin (texas) envoyé spécial
L
e campus d’Austin est non
fumeur, les toilettes sont
multigenre, l’hôtel facture
du café en boîtes d’acier réutilisa
bles pour éviter les déchets plasti
ques, tandis que la librairie prési
dentielle LBJ rappelle qu’à une
lointaine époque, le Texas fut dé
mocrate. « LBJ » comme Lyndon
Baines Johnson (19631969), suc
cesseur de John F. Kennedy, mé
prisé de l’histoire à cause de la
guerre au Vietnam, mais ardent
promoteur des droits civiques.
C’était il y a plus d’un demisiècle.
Et la dernière fois que le Texas se
donna à un démocrate, ce fut
pour un autre oublié de l’histoire,
Jimmy Carter en 1976.
Pourtant, en cette année 2020,
les démocrates veulent y croire.
« La question n’est pas de savoir si
le Texas va basculer, mais quand »,
nous confie le maire d’Austin,
Steve Adler, qui précise : « Le Texas
républicain, c’est de la vieille démo
graphie. » Celle des plaines de
l’ouest, d’autant plus conservatri
ces qu’on y trouve du bétail et des
derricks pétroliers. Mais les villes,
peuplées de jeunes et de Latinos,
n’ont rien à envier à San Francisco
ou New York. Oublié, le cowboy
texan en chapeau Stetson.
« Vous parlez au maire d’Austin,
l’une des villes les plus progressistes
des EtatsUnis », confie M. Adler,
qui énumère toutes les causes em
brassées par sa municipalité :
un salaire minimum à 15 dollars
(13,60 euros), une loi pour embau
cher les anciens détenus sans leur
demander leur casier judiciaire, le
paiement de congés maladie et
une ville qui a déjà franchi son pic
d’émission de CO 2.
Austinlabobo a fêté dimanche
21 février Bernie Sanders, qui ve
nait de remporter haut la main la
primaire du Nevada, et enchaîna
quatre meetings à travers le Texas.
Les Texans s’apprêtent à voter
pour le Super Tuesday (le Super
mardi, le 3 mars) et envoyer
261 délégués à la Convention de
Milwaukee. Steve Adler, lui soute
nait Pete Buttigieg, 38 ans, ancien
maire de South Bend, dans l’In
diana. « Par le passé, les démocra
tes ont désigné Al Gore, John Kerry,
Hillary Clinton, des personnalités
très qualifiées mais qui n’ont pas
conquis la Maison Blanche. Ceux
qui ont gagné [Bill Clinton, Barack
Obama, mais aussi Kennedy et
Carter] étaient plus jeunes, incar
naient une nouvelle génération »,
assuretil. Las, le changement de
génération attendra, avec le re
trait annoncé de M. Buttigieg, di
manche 1er mars. Et peutêtre le
changement de couleur politique.
Bloomberg joue son va-tout
Le Texas a longtemps été négligé
par les démocrates. Cet Etat répu
blicain, vaste comme la France et
peuplé de 29 millions d’habitants,
a la réputation de coûter temps et
argent, pour un résultat faible à la
présidentielle. Il est donc aussi un
peu oublié pour la primaire,
même si les candidats, tous sep
tuagénaires, se rattrapent à l’ap
proche du Super Tuesday. La séna
trice du Massachusetts Elizabeth
Warren s’est rendue, jeudi et sa
medi, à San Antonio, puis Hous
ton, tandis que le viceprésident
d’Obama, Joe Biden, sera à Dallas
et Houston lundi.
Celui qui joue son vatout au
Texas, c’est l’ancien maire de New
York, Michael Bloomberg, qui aura
fait sept déplacements dans cet
Etat, ouvert 19 permanences élec
torales et embauché 180 perma
nents. Sans contraintes financiè
res, l’ancien républicain, suscepti
ble de plaire aux centristes, visait
notamment les banlieues résiden
tielles, ligne de front entre les vil
les démocrates et les campagnes,
susceptibles de basculer lors de la
présidentielle. « Trump fait cam
pagne au Texas. Je suis le seul can
didat [démocrate] à y faire campa
gne », déclaraitil, fin décem
bre 2019, dans une banlieue de
Houston.
« Le cas Bloomberg est très inté
ressant : il montre qu’avec des
moyens financiers illimités, vous
pouvez atteindre beaucoup, mais
sans doute pas suffisamment »,
prédit Jim Henson, directeur du
Texas Politics Project. Au Texas, il
faut avoir 15 % des voix pour obte
nir des délégués. Michael Bloom
berg est sur le fil du rasoir, avec
18 % des intentions de vote, selon
le site FiveThirtyEight. Derrière
Bernie Sanders et Joe Biden qui
sont au coudeàcoude (28 % des
intentions de vote chacun) et loin
devant Elizabeth Warren (12 %).
Au meeting de Bernie Sanders, les
militants expédiaient de manière
lapidaire ses concurrents démo
crates : « Biden est trop vieux. Je
pense que Bloomberg est raciste
avec sa politique de contrôle au fa
ciès [quand il était maire de New
York] et Warren est une menteuse :
elle est ancienne républicaine et a
menti sur ses origines indiennes.
Bernie est le seul qui se soucie des
gens », résumait Marcus Cole
man, AfroAméricain de 25 ans,
travaillant dans l’immobilier.
Si Trump fait campagne – le pré
sident s’est rendu dans cet Etat à
14 reprises depuis son élection –,
c’est que les républicains sont
moins assurés que par le passé.
En 2018, le gouverneur républicain
Greg Abott a été réélu, certes avec
12 points d’avance, mais contre 19
quatre ans plus tôt. Surtout,
l’alerte est venue de l’exreprésen
tant démocrate au Congrès, Beto
O’Rourke, 47 ans, qui a fait un
score honorable de 48,3 % des voix
pour la sénatoriale du Texas, battu
de peu par le sortant Ted Cruz.
« L’effet O’Rourke est retombé »,
confie Jim Henson, politiste à
l’université d’Austin. Il a fait pâle fi
gure dans la primaire démocrate
et s’est grillé politiquement en ré
clamant la saisie des fusils d’as
saut des particuliers après la tue
rie d’extrême droite d’El Paso
(22 morts). Il fait figure d’épouvan
tail efficace dans une élection par
tielle perdue en rase campagne
par une démocrate (4258) en ban
lieue de Houston.
Il n’empêche, le mouvement est
inexorable... sur le papier. Les dé
mocrates sont un peu fatigués de
cette bascule annoncée depuis
longtemps qui ne vient pas. Un air
de Désert des Tartares, de Dino Bu
zatti. Si cette bascule est lente, c’est
qu’en cette terre qui fut longtemps
hispanomexicaine, les immigrés
latinos sont souvent des Mexi
cains présents depuis des généra
tions, plus riches et plus conserva
teurs que dans le reste du pays.
« Les Hispaniques ne votent démo
crate qu’à 60 % environ, contre plus
de 80 % pour les AfroAméricains »,
poursuit Jim Henson, qui estime
qu’à terme, le Texas ressemblera
davantage à la Floride – un Etat fai
sant la bascule selon les élections –
qu’à la Californie, acquise jusqu’à
nouvel ordre aux démocrates.
Bref, il ne croit pas à un Texas dé
mocrate pour toujours, qui ferme
rait définitivement la Maison
Blanche aux républicains.
« Des idées d’extrême gauche »
« L’élection de 2020 sera une cam
pagne de mobilisation, analyse Jim
Henson. Si Sanders est choisi, la
question est de savoir combien
n’iront pas voter à cause de lui,
combien de nouveaux électeurs il
mobilisera et combien d’électeurs
supplémentaires les républicains
mobiliseront en brandissant la me
nace de la révolution commu
niste. » L’argument est déjà utilisé
par James Dickey, président du
Parti républicain au Texas, dans la
foulée du dernier débat démo
crate : « Tous les candidats ont con
firmé aux Texans ce dont ils se dou
taient déjà : ils ne sont pas bons
pour le Texas. Ils promeuvent des
idées d’extrême gauche, comme la
santé gérée par l’Etat, la fin de notre
droit à l’autodéfense et des politi
ques fiscales qui tueraient l’écono
mie texane », accusait M. Dickey.
Les préoccupations des deux
camps sont opposées : frontière
et immigration pour les républi
cains, tandis que les démocrates
texans se soucient de la corrup
tion politique et du leadership du
pays – en clair, du comportement
de Donald Trump –, ainsi que de
la santé et de l’éducation. Les pe
tits producteurs pétroliers et
leurs salariés n’ont rien à espérer
des démocrates.
Charlie Bonner, 23 ans, travaille
pour MoveTexas, un mouvement
officiellement indépendant,
mais progressiste en réalité, qui
vise à inscrire les jeunes sur les
listes électorales. L’association,
créée par deux étudiants de San
Antonio, emploie 25 permanents.
« Entre 2014 et 2018, le vote des jeu
nes de 18 à 30 ans a triplé au
Texas », se réjouit M. Bonner, qui
nous reçoit dans un bar branché
d’Austin : « La progression des jeu
nes électeurs dépasse la croissance
démographique. » Son objectif :
accélérer cette évolution et faire
mentir la prophétie autoréalisa
trice, qui prétend que le Texas ne
vaut pas le coup que les démocra
tes s’y investissent.
arnaud leparmentier
LES DÉMOCRATES SONT
UN PEU FATIGUÉS
DE CETTE BASCULE
ANNONCÉE QUI NE VIENT
PAS. UN AIR DE « DÉSERT
DES TARTARES »
▶▶▶
lorsqu’il a annoncé, diman
che 1er mars au soir dans son an
cien fief de South Bend, une ville
modeste de l’Indiana, qu’il met
tait un terme à sa candidature à
l’investiture démocrate, Pete
Buttigieg a été interrompu par
un slogan martelé par ses sym
pathisants : « 2024! 2024! 2024! »
Ils n’ont pas été les seuls à consi
dérer que ce renoncement rele
vait plus de l’au revoir que de
l’adieu. En un an, le benjamin de
la compétition électorale a fait
bien plus que rendre familier un
patronyme singulier hérité de
ses origines maltaises : il s’est
transformé en valeur sûre du
Parti démocrate.
Issu de la classe moyenne, passé
par les meilleures universités, en
gagé en Afghanistan où il a servi
dans le renseignement, Pete But
tigieg a connu des débuts diffici
les dans un Etat qui est un bastion
du Parti républicain. Au point que
sa déclaration de candidature à
l’investiture présidentielle, en
mars 2019, a tout d’abord suscité
l’incrédulité. Avec constance, il
s’est pourtant frayé un chemin.
Premier homosexuel revendi
qué à se lancer dans une telle en
treprise, régulièrement épaulé
par son mari Chasten, il n’a cessé
de rappeler son ancrage religieux
au sein de l’Eglise épiscopa
lienne, l’une des plus progressis
tes de toutes. Agé de seulement
37 ans lors de son entrée en cam
pagne, il a suscité l’intérêt d’un
électorat plus mûr, séduit par sa
clarté et sa modération.
Cette aisance lui a permis de ré
sister à l’usure, alors que des can
didats plus expérimentés, qu’ils
soient gouverneurs ou anciens
gouverneurs, sénateurs ou séna
trices, ont commencé à renoncer à
partir de l’automne. Lorsque Do
nald Trump s’est évertué à lui
trouver un sobriquet désobligeant
comme pour les autres candidats
démocrates, le président des Etats
Unis a cogné dans le vide. « Alfred
E. Neuman ne peut pas devenir pré
sident des EtatsUnis », atil as
suré. Il faisait allusion au person
nage d’adolescent édenté apparu
en couverture du magazine satiri
que MAD à partir de 1954. Cruelle
ment pour le président, le benja
min de la course démocrate a
avoué qu’il avait dû chercher la ré
férence sur Internet.
« Aider à rassembler »
Le jeune homme au discours par
fois lisse au début de la campagne
a su se révéler incisif. Lorsque Joe
Biden, exaspéré par la comparai
son souvent faite avec le dernier
président démocrate, a jugé que
Pete Buttigieg n’était pas Barack
Obama, il a aussitôt répliqué : « Joe
Biden a tout à fait raison, mais il ne
l’est pas non plus. » Attaqué par les
sénatrices Elizabeth Warren et
Amy Klobuchar lors des débats, il
a toujours su faire face.
Lors du caucus de l’Iowa, pre
mier Etat à se prononcer, le 3 fé
vrier, il a créé la surprise en obte
nant le plus grand nombre de dé
légués, même si ce succès a été
terni par l’incapacité des démocra
tes de cet Etat rural à communi
quer rapidement des résultats fia
bles. Il a, de même, été pénalisé
une semaine plus tard dans le
New Hampshire par la remontée
inattendue d’Amy Klobuchar, une
centriste comme lui, alors qu’il
était en mesure de battre le séna
teur du Vermont, Bernie Sanders.
Par la suite, il a été handicapé par
son incapacité à attirer des électo
rats plus divers sociologiquement,
latinos comme afroaméricains.
Quelques jours avant la primaire
en Caroline du Sud, il a résumé
d’une formule la pire alternative
qui pourrait s’offrir, selon lui, aux
Américains en novembre. « Je n’at
tends pas avec impatience un scé
nario où tout se résumerait à Do
nald Trump et à sa nostalgie de l’or
dre social des années 1950 et à Ber
nie Sanders et à sa nostalgie de la
politique révolutionnaire des an
nées 1960 », atil cinglé.
« Notre objectif a toujours été
d’aider à rassembler les Américains
pour battre Donald Trump », atil
lancé dimanche soir, un jour après
le large succès de l’ancien vicepré
sident Joe Biden qui le privait de
tout espace. « Nous devons donc
reconnaître qu’à ce stade de la
course, la meilleure façon de rester
fidèle à ces objectifs est de se retirer
et d’aider à rassembler notre parti
et notre pays », atil poursuivi,
soulignant « l’impact qu’aurait le
fait de rester en lice plus long
temps ». Un appel à l’unité qui lui
permet de prendre date.
gilles paris
(washington, correspondant)
Pete Buttigieg se retire et prend date
MERVEILLEUX
TÉLÉRAMA
ENVOÛTANT
GUILLERMO DELTORO
MAGNIFIQUE
LIBÉRATION
SPECTACULAIRE
PREMIÈRE
AU CINÉMA LE 4 MARS