Libération - 05.03.2020

(Michael S) #1

Libération Jeudi 5 Mars 2020 u 21


La passerelle qui mène au tri-
bunal judiciaire de Bobigny,
parée de ballons et de bande-
roles, détonne avec l’austère
édifice. A l’appel de la CGT
des chancelleries et services
judiciaires, une centaine de
greffiers, avocats et magis-
trats se sont donné rendez-
vous pour un rassemblement
symbolique sur la dalle qui
fait face au tribunal. La foule
unie de robes noires se ré-
chauffe dans un vacarme as-
sourdissant de sifflets et de
cris de protestation. Alors que
depuis neuf semaines, les
avocats sont mobilisés contre
le projet de réforme des re-
traites, mercredi, les greffiers
de Bobigny étaient eux aussi


en grève (44 % des effectifs se-
lon la CGT) pour réclamer des
effectifs supplémentaires et
une revalorisation salariale.
Stéphane Maugendre, avocat
au barreau de Bobigny, im-
mortalise la scène, «inédite» :
«Ça fait trente-trois ans que je
suis avocat ici et je n’ai jamais
vu les greffiers se mettre en
grève. Ce tribunal ne fonc-
tionne que grâce au système D
et à l’abnégation. Il y a des au-
diences au civil qui se tiennent
sans greffier mais avec des
“faisant fonction de greffier”,
et on ne dit rien. Ce n’est que
du bricolage... Bobigny est
une des juridictions les plus si-
nistrées alors qu’on est la deu-
xième du pays en nombre de

décisions rendues.» Le 28 fé-
vrier, après une rencontre
avec les représentants de la
profession, la garde des
Sceaux a annoncé la création
d’une mission opérationnelle
sur l’avenir des avocats.
Avec à sa tête Dominique
Perben, ancien ministre de la
Justice de Jacques Chirac,
une personnalité «incontesta-
ble», selon Nicole Belloubet.
«J’ai vu passer un sacré nom-
bre de missions censées identi-
fier les problèmes dans la
profession, peste Stéphane
Maugendre. En vérité, ce n’est
qu’un saupoudrage de moyens
par-ci par-là.»
Au milieu des robes noires, le
drapeau de l’Union syndicale

des magistrats (USM) flotte
au vent. Ludovic Friat, repré-
sentant local du syndicat et
président d’une chambre de
comparution immédiate, est
venu témoigner sa solidarité
avec le personnel de greffe :
«Les efforts récents en termes
de moyens et de personnels ne
constituent qu’une remise à
niveau a minima. On part de
si loin à Bobigny... Les condi-
tions de travail y sont si parti-
culières qu’il y a une grande
solidarité entre tous les ac-
teurs judiciaires» , souligne le
magistrat, qui renvoie entre
60 % et 70 % des comparu-
tions immédiates depuis le
début du mouvement.
CHARLES DELOUCHE

Au tribunal de Bobigny, les professions


judiciaires crient au manque de moyens


Les Français passent
dix heures par semaine
à se déplacer
Trajets domicile-travail mais aussi dans l’exercice
de son emploi, temps passé à se rendre à ses loisirs,
à accompagner des proches... La distance et le
temps passé à se déplacer au quotidien est en forte
hausse. Une enquête nationale ausculte la mobilité
des Français. PHOTO FRÉDÉRIC STUCIN

LIBÉ.FR

Justice De la prison ferme requise contre
Pierre Botton, le défenseur des détenus

Le parquet de Paris veut remettre Pierre Botton au ballon.
Mercredi en fin de journée, il a requis quatre ans de prison
ferme assortis d’un mandat de dépôt (arrestation immé-
diate à la barre sitôt le jugement prononcé) contre cet an-
cien taulard en col blanc mué depuis une quinzaine d’an-
nées en défenseur des détenus et promoteur de prisons
plus humaines, via son association Ensemble contre la ré-
cidive. L’accusation reproche à Botton, jugé pour «abus
de confiance», «abus de biens sociaux» et «escroquerie»,
d’avoir confondu cette noble cause avec ses intérêts per-
sonnels. Le parquet pointe ainsi une «litanie d’infrac-
tions», une confusion des genres entre son association et
ses structures commerciales dont «le seul but était d’assu-
rer son train de vie», qu’il évalue entre 20 000 et 35 000 eu-
ros par mois. La défense de l’ex-gendre de Michel Noir, an-
cien député de Lyon, fait savoir que «pratiquer le lobbying
intensif au plus haut niveau», afin de convaincre les déci-
deurs (publics ou privés) de mettre de l’argent en vue
d’améliorer l’ordinaire carcéral, nécessitait bien quelques
menues dépenses initiales. La fin de ce nouveau procès
Botton, déjà condamné en 1996 pour abus de biens sociaux
(il a passé vingt mois en prison), s’est achevée par une qua-
si-séance de psychanalyse, le président du tribunal cher-
chant à percer le mystère intérieur du bonhomme. Le ju-
gement sera mis en délibéré. R.L.

Le cœur a déraillé une pre-
mière fois en 2009 : Nicolas
Portal était alors cycliste pro-
fessionnel, un canard du
Gers. Le cardiologue l’avait
prévenu : «Tu as déjà pris des
produits? Il est
temps de me le
dire parce que, si
tu as consommé
des produits hor-
monaux, je vais
vite le voir.»
Por-
tal a dit non. Les
tests ont dit non.
Il a été opéré
d’une arythmie.
Mis au repos
plus de six mois. Son contrat
d’équipe a été rompu, preuve
qu’il était fini pour le sport.
Le médecin a ajouté : «Il y a
un risque... Est-ce que tu veux
vraiment continuer le vélo ?»

Portal a répondu oui. Ce
mardi soir, le cœur n’est pas
reparti. Un infarctus à 40 ans.
Les pompiers, accourus à son
appartement en Andorre où
il vivait avec sa femme et ses
deux enfants, n’ont rien pu
faire. Celui qui était devenu
directeur sportif du Team In-
eos (ex-Sky), l’un des plus ti-
trés de l’histoire avec six
Tours de France, un Tour
d’Italie, un Tour d’Espagne,


une condamnation sévère
que d’aucuns jugent dépla-
cée – voire politique – pour
une «banale» affaire fiscale.
La cour s’en est justifiée :
«M. Balkany a commis une
fraude fiscale d’une ampleur
exceptionnelle, avec des
moyens sophistiqués, faisant
créer par des gestionnaires
suisses expérimentés diver-
ses structures offshore qui
étaient autant d’écrans pour
masquer l’origine des fonds.»
Il est aussi récidiviste en la
matière, car déjà redressé
fiscalement pour 1 million
d’euros éludés entre 1986
et 1995.
«La peine prononcée doit te-
nir compte de ce comporte-
ment qui laisse craindre une
réitération, pointent les ma-
gistrats. Seule une peine
d’emprisonnement d’un
quantum significatif peut
être prononcée, la gravité de
l’infraction et la personna-
lité de son auteur [...] ren-
dant cette peine nécessaire et
toute autre sanction étant
manifestement inadéquate.»
Place désormais au second
arrêt à venir de la même
cour d’appel, en avril, sur
le volet «blanchiment de
fraude fiscale», pour lequel
Patrick Balkany avait été
condamné en première ins-
tance à cinq ans de prison
ferme, et son épouse à qua-
tre ans ferme.
RENAUD LECADRE

est mort d’un accident du
cœur, à l’âge où certains n’ont
pas abandonné la compéti-
tion sur leur vélo. «Nicolas
était humain, au-delà des
chiffres», raconte son ami De-
nis Briscadieu,
son mentor. De
fait, Portal était
l’humanisme
détonant dans
l a c o h o r t e
réfrigérante et
robotique du
Team Ineos.
L’homme sûr
d’une des équi-
pes les plus do-
minatrices du sport moderne
qui compte ses certitudes al-
gorithmées. Il s’en étonnait :
après avoir été coureur dans
l’équipe britannique, au sortir
de son opération du cœur, en
2010, du temps où le Team
Sky n’était pas le Team Sky
abouti, ses patrons lui avaient
offert une place de stratège et
meneur de troupes. «Tu vois,
tu ne parles pas anglais mais
tout le monde te comprend»,
avait relevé Dave Brailsford,
le manager. Pour Portal,
c’était un compliment incon-
cevable.
PIERRE CARREY
PHOTO PHILIPPE GUIONIE

Nicolas Portal,


bel échappé


La cour d’appel de Paris ne
pouvait pas faire autre chose
que de confirmer la con-
damnation de Patrick et Isa-
belle Balkany pour fraude
fiscale, tant les faits étaient
matériellement établis, et
même partiellement admis
par les intéressés. Le seul
suspense résidait dans le
quantum de la peine : en
première instance, en sep-
tembre, lui avait écopé de
quatre ans de prison ferme
avec incarcération immé-

diate, elle de trois ans ferme.
Dans leur arrêt rendu mer-
credi matin, les juges d’ap-
pel allègent partiellement la
peine de prison promise à
Patrick Balkany : quatre ans
dont un avec sursis. Et sur-
tout, renoncent provisoire-
ment à son application : «La
cour ne décerne pas de man-
dat de dépôt en raison de
l’état de santé actuel de l’in-
téressé», remis en liberté il y
a trois semaines pour motif
médical.

En revanche, confirmation
totale de leur peine complé-
mentaire de dix ans d’inéli-
gibilité, «assortie de l’exécu-
tion provisoire». Quand bien
même il en aurait eu l’inten-
tion, Patrick Balkany ne
pourra donc plus être candi-
dat à l’élection municipale
dans sa bonne ville de
Levallois-Perret (Hauts-de-
Seine).
Pas de prison dans l’immé-
diat, donc, mais une expul-
sion de la vie politique. Et

Patrick Balkany inéligible,


sans être incarcéré derechef


DISPARITION


Le maire de Levallois-Perret, mercredi à Paris. PHOTO DENIS ALLARD
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