14 |france SAMEDI 22 FÉVRIER 2020
0123
Mis en examen,
l’avocat JeanLouis Keita
maintenu en détention
Le pénaliste est soupçonné d’avoir
transmis à un malfaiteur des informations
sur une enquête judiciaire sensible
L’
atmosphère était pesan
te, mercredi 19 février, de
vant la chambre de l’ins
truction de la cour d’appel d’Aix
enProvence où comparaissait
l’avocat JeanLouis Keita, 69 ans.
Cette figure du barreau local, in
carcéré depuis le 6 février à la mai
son d’arrêt d’AixLuynes, est soup
çonnée d’avoir transmis illégale
ment à un malfaiteur de haut
rang des informations couvertes
par le secret d’une enquête judi
ciaire sensible en lien avec les rè
glements de comptes entre
trafiquants de stupéfiants qui
ensanglantent Marseille. Il s’est
présenté entouré d’une escorte
de l’administration pénitentiaire,
après avoir été extrait de sa cel
lule, pour défendre la demande
de remise en liberté déposée par
ses conseils.
Après avoir obtenu qu’il puisse
comparaître sans devoir se tenir
dans le box comme c’est la règle,
ses avocats ont réclamé et obtenu
le huis clos, contre l’avis du par
quet général. La publicité des
débats est normalement l’usage.
« Pour la sérénité des débats, il se
rait préférable que seuls les profes
sionnels participent à l’examen du
dossier », avait notamment argué
l’un des défenseurs de JeanLouis
Keita, Dominique Mattei.
A l’issue des débats tenus en
chambre du conseil, les magis
trats ont décidé, jeudi, le maintien
en détention de JeanLouis Keita.
Dans son réquisitoire, le minis
tère public avait justifié son incar
cération pour éviter tout risque
de concertation ou de pression.
Le 6 février, deux juges d’ins
truction de Marseille avaient dé
cidé son placement en détention
après l’avoir mis en examen pour
« violation du secret professionnel
et révélation d’information sur
une enquête ou une instruction
pour crime ou délit puni de dix ans
d’emprisonnement, relevant de la
criminalité ou délinquance orga
nisée, à une personne susceptible
d’y être impliquée ». Une infrac
tion passible de cinq ans d’empri
sonnement et de 75 000 euros
d’amende.
Selon les informations du
Monde, JeanLouis Keita est plus
précisément soupçonné d’avoir
communiqué, entre 2016 et 2018,
grâce à un téléphone crypté
équipé de la technologie PGP des
informations sur une enquête en
cours. Elle concerne un double
assassinat commis en juin 2016 à
la cité Consolat à Marseille, dans
le cadre des affrontements
meurtriers entre trafiquants de
stupéfiants.
Son interlocuteur, un certain
Mohamed D., 38 ans, est consi
déré comme un voyou d’enver
gure, proche d’un des plus gros
réseaux de vente de drogue de la
cité marseillaise de La Castellane.
Aujourd’hui en fuite, il gravite
dans l’entourage d’une fratrie el
lemême mise en cause et victime
dans plusieurs assassinats. Il avait
pour sa part été condamné, en
septembre 2019, à dix ans de pri
son ferme pour sa participation
active à un vaste de réseau de
blanchiment de l’argent de la dro
gue généré par le trafic de La Cas
tellane entre la France, l’Espagne,
Dubaï et le Maghreb.
Liens téléphoniques
Les policiers ont découvert les
liens téléphoniques entre Jean
Louis Keita et Mohamed D. dans
le cadre d’une autre enquête con
cernant l’assassinat, le 16 fé
vrier 2017, dans les environs de
Marseille, de Kader Benaicha,
34ans, dont l’ADN avait été re
trouvé sur le lieu d’un précédent
règlement de comptes. Lors des
investigations sur cet assassinat,
au moins deux téléphones de
type PGP ont été retrouvés par les
enquêteurs.
Sur l’un d’eux figuraient des
captures d’écran de plusieurs
messages envoyés par JeanLouis
Keita, baptisé pour l’occasion
« Baba », à Mohamed D. et concer
nant la procédure du double
assassinat de la cité Consolat.
Une enquête incidente avait alors
été ouverte dans la foulée, en
novembre 2019, et le cabinet de
JeanLouis Keita a été perquisiti
onné en février.
Pour quelles raisons JeanLouis
Keita, pénaliste aguerri et respecté
par ses pairs, auraitil transmis ces
informations confidentielles à un
voyou notoire? L’intéressé a jus
qu’ici nié les faits qui lui étaient
reprochés. Contacté, Me Domini
que Mattei a indiqué qu’il ne sou
haitait pas communiquer.
simon piel
Inculpé par la justice suisse, le patron de BeIN
Media échappe à l’accusation de corruption
La FIFA a conclu un « accord à l’amiable » avec Nasser AlKhelaïfi, retirant sa plainte à son encontre
D
éjà mis en examen en
France, en mai 2019, pour
« corruption active » dans
l’enquête sur l’attribution des
Mondiaux d’athlétisme 2017 au
Qatar, Nasser AlKhelaïfi (« NAK »)
n’en a pas fini avec la justice. Le
président qatari du ParisSaint
Germain (PSG) a été inculpé, jeudi
20 février, par le ministère public
de la Confédération helvétique
dans le cadre de l’enquête portant
sur « l’octroi de droits de retrans
mission de plusieurs éditions [de
2018 à 2030] de la Coupe du
monde de football et de la Coupe
des confédérations », selon le
communiqué du parquet suisse.
NAK est accusé « d’instigation à
la gestion déloyale » en tant que
patron du groupe BeIN Media. S’il
reste sous la menace d’un procès
en Suisse, le Qatari a vu tomber
les charges de « corruption active »
qui pesaient sur lui, après que la
Fédération internationale de
football (FIFA) a décidé de retirer
la plainte qu’elle avait déposée en
décembre 2016.
Celleci mettait notamment en
cause l’attribution de droits mé
diatiques des Coupes du monde
de football 2026 et 2030 pour la
région du MoyenOrient et de
l’Afrique du Nord, en échange de
l’octroi d’avantages indus (une
villa en Sardaigne, en Italie) au
Français Jérôme Valcke, exsecré
taire général de la FIFA.
Dans le collimateur du minis
tère public de la Confédération
helvétique depuis 2017, M. Al
Khelaïfi et M. Valcke bénéficient
d’un classement partiel de la pro
cédure après que la FIFA l’a
informé, fin janvier, avoir trouvé
un « accord amiable » avec le pré
sident du PSG. Cet arrangement,
que « la Fédération internationale
n’a pas défini plus avant », d’après
le parquet suisse, profite « en par
tie » aussi à M. Valcke. Même si ce
dernier, qui reste accusé de cor
ruption dans un dossier attenant
et est inculpé pour plusieurs
chefs, n’a pas participé à cette
conciliation avec la FIFA.
Volte-face
Les avocats de M. AlKhelaïfi se fé
licitent de « l’abandon des accusa
tions de corruption privée ». « No
tre client n’est plus accusé que
d’une seule et unique infraction :
d’avoir incité Jérôme Valcke à ne
pas restituer à la FIFA de prétendus
avantages. Infraction qui n’a du
reste été mentionnée pour la pre
mière fois que le 2 décembre 2019
[lors de l’audition finale] à la sur
prise de toutes les parties, qui n’a
pas été instruite, et au sujet de
laquelle notre client n’a jamais pu
s’exprimer », indique Me Grégoire
Mangeat, l’un des conseils suisses
de M. AlKhelaïfi.
Le président du PSG a déposé
une demande de récusation des
procureurs chargés de son cas de
vant le Tribunal pénal fédéral.
Pourquoi la FIFA atelle retiré sa
plainte et que se cachetil der
rière cet « accord amiable »?
Contactée, cette dernière n’a
voulu faire « aucun commentaire
à ce stade ». Selon nos informa
tions, la fédération met en doute
le bienfondé juridique des accu
sations portées à l’encontre de
M. AlKhelaïfi dans le document
scellant l’accord amiable. Par
ailleurs, elle y assume sa volte
face et affirme que le montant
payé en 2014 par BeIN était con
forme aux prix du marché de
l’époque. « Les juristes de la FIFA
savaient qu’ils allaient dans le
mur », glisse un proche du dossier.
En décembre 2016, le dépôt de la
plainte avait embarrassé le prési
dent de la FIFA, Gianni Infantino,
alors sous pression de la justice
suisse. Interlocuteur privilégié de
M. AlKhelaïfi lorsqu’il était secré
taire général de l’Union des
associations européennes de
football (UEFA), de 2009 à 2016,
M. Infantino n’a pas essayé d’an
nuler le contrat de 2014, visé dans
la procédure pénale, qui sécurise
(contre 480 millions d’euros)
l’octroi à BeIn Media des droits
des Mondiaux 2026 et 2030.
Une compensation financière
étaitelle prévue dans cet accord
amiable entre la FIFA et Nasser Al
Khelaïfi , comme le suggèrent au
Monde deux sources? « Aucun
paiement n’a été fait en relation
avec l’abandon des charges », as
sure un porteparole du Qatari.
Contexte sensible
L’accord entre la FIFA et M. Al
Khelaïfi renvoie au dossier de
l’attribution controversée du
Mondial 2022 au Qatar, émaillée
de soupçons de corruption.
Dans ce contexte, fallaitil sau
ver le soldat Nasser en retirant la
plainte? Cet accord intervient
alors que le procureur général
suisse, Michael Lauber, a été des
saisi en juin 2019 des enquêtes
liées à la FIFA et fait l’objet d’une
enquête disciplinaire pour avoir
rencontré, à trois reprises, M. In
fantino de manière informelle.
En juin 2017, lors de leur dernière
rencontre connue, M. Lauber et
M. Infantino s’étaient retrouvés à
l’hôtel Schweizerhof de Berne.
L’ambassadeur du Qatar en Suisse
loge à l’année dans cet établisse
ment. Lequel appartient à une
société liée à un fonds souverain...
qatari.
rémi dupré
Tchétchène tué à Lille : l’exécution
sommaire d’un opposant
Le corps d’Imran Aliev, blogueur et réfugié politique en Belgique, a été
retrouvé le 29 janvier dans un hôtel lillois, lardé de coups de couteau
L
a chasse aux opposants
tchétchènes menée, en
Europe, par le régime
autoritaire proKremlin
de Ramzan Kadyrov s’embar
rasse de particulièrement peu de
manières. C’est l’une des leçons
tirées après les premières investi
gations sur l’assassinat, à Lille,
dans la nuit du 29 janvier, d’Im
ran Aliev, un Tchétchène réfugié
politique en Belgique. L’enquête
en cours et les échanges entre le
renseignement français et les
services secrets belge et alle
mand, embarqués dans cette af
faire d’espionnage rudimentaire,
illustrent les méthodes frustres
utilisées par ce pays pour faire
taire des paroles jugées gênantes.
Ouverte le 3 février par le par
quet de Lille et confiée à la juge
d’instruction Dalia Balciunai
tyte, l’information judiciaire se
concentre aujourd’hui sur le par
cours et le profil du principal sus
pect, Usman S. M., âgé de 34 ans,
originaire de la ville de Gouder
mes, en Tchétchénie.
137 coups de couteau
Cet homme est arrivé le 29 jan
vier au soir dans un modeste hô
tel de la place de la Gare, à Lille, Le
Coq hardi, en compagnie d’Imran
Aliev, âgé de 44 ans, un blogueur
antiKadyrov connu sous le pseu
donyme de Mansour Staryi. Us
man S. M. en est reparti le lende
main, laissant derrière lui le
corps de la victime lardé de
137 coups de couteau, selon le
rapport d’autopsie. Outre l’arme
du crime, de nombreuses em
preintes et des traces de sa pré
sence sur les lieux ont été rele
vées par les enquêteurs.
Par ailleurs, faisant peu de cas
des mesures de dissimulation
prises par les tueurs des services
secrets, Usman S. M. a voyagé
avec ses propres papiers. Après
être entré, le 18 janvier, dans l’es
pace Schengen en prenant un vol
de Moscou à Valence, en Espagne,
il s’est rendu à Berlin, où il a sé
journé deux jours avant de re
joindre Bruxelles en train, où il
est resté une semaine. Le 30 jan
vier, après avoir commis les faits,
il est retourné à Berlin d’où il s’est
envolé vers Moscou avant d’atter
rir à Grozny, en Tchétchènie.
Une source officielle belge a in
diqué au Monde qu’il a été hé
bergé par Imran Aliev lors de son
séjour en Belgique. Usman S.
M. l’aurait contacté par le biais des
réseaux sociaux et de la chaîne
YouTube créée par sa future vic
time pour dénoncer de manière
virulente le régime Kadyrov et
d’autres causes.
Le suspect aurait convaincu
M. Aliev et d’autres membres de
la communauté tchétchène en
Europe, qu’il avait un besoin ur
gent de soins médicaux. Le
29 janvier, les deux hommes
se sont rendus avec l’un des fils
d’Aliev jusqu’à Menin, une ville
belge frontalière avec la France.
Une version confirmée par Aslan
Artsuev, un avocat basé en Alle
magne, membre de l’Association
internationale paix et droits de
l’homme. Selon lui, Usman S.
M. affirmait souffrir d’un cancer
de l’estomac. Usman S. M. et
M. Aliev ont poursuivi leur che
min jusqu’à Lille alors que son
fils repartait vers Bruxelles. La fa
mille de la victime a fait état de
discussions avec Usman S. M. à
propos d’un autre blogueur d’ori
gine tchétchène, Minkail Ma
lyshev, ayant trouvé, lui, refuge
en France. En avril 2018, M. Ma
lyshev avait fait l’objet, en Alle
magne, d’une agression en lien
avec ses activités d’opposant au
régime de Ramzan Kadyrov. Un
événement qui l’avait décidé
à s’installer en France.
Plan initial modifié
Les services de renseignement se
demandent, en effet, si M. Ma
lyshev n’aurait pas été la véritable
cible du principal suspect. Une
hypothèse liée à la façon dont
Imran Aliev a été sauvagement
tué dans sa chambre d’hôtel. L’en
quête de la police judiciaire lil
loise comprend, en effet, des élé
ments de nature sexuelle qui per
mettent de s’interroger sur un dé
chaînement de violence qui
n’était, en réalité, peutêtre pas
prémédité. M. Aliev pourrait
n’avoir été, au début, qu’un inter
médiaire permettant à Usman S.
M. d’approcher M. Malyshev
avant qu’un imprévu modifie
brutalement le plan initial.
L’audience de M. Aliev en tant
que blogueur demeurait, en ef
fet, confidentielle à côté de celle
de M. Malyshev. L’activité de ces
blogueurs opposants a été publi
quement dénoncée par des pro
ches de M. Kadyrov, dont son
propre cousin et principal con
seiller, Adam Delimkhanov, dé
puté de la Douma d’Etat de la Fé
dération de Russie. Selon un
autre blogueur tchétchène très
connu au sein de la diaspora,
Tumso Abdurakhmanov, réfugié
en Pologne, Usman S. M. serait lié
à M. Delimkhanov. Il ne fournit
pour autant aucun élément de
preuve. Depuis le mois d’avril
2019 et les déclarations publi
ques de ses parents le reniant et
assurant qu’ils ne vengeraient
pas sa mort, M. Abdurakhmanov
est considéré comme en danger
de mort par les organisations de
droits de l’homme spécialisées
sur le Caucase.
Selon les autorités belges
contactées par Le Monde, M. Aliev
a obtenu le statut de réfugié poli
tique après un premier veto des
services de sécurité belges qui
voulaient faire la lumière sur
d’éventuels liens avec les milieux
islamistes.
En dépit de son profil qualifié de
« violent » par la police belge et de
la discrète surveillance dont il fai
sait l’objet de la part de la sûreté
d’Etat belge, il était néanmoins
clairement identifié comme un
opposant politique. Pour leur
part, les services secrets français
n’ont pas trouvé traces d’Usman
S. M. dans leurs fichiers. La com
munauté tchétchène, très pré
sente à Reims (Marne), à Nice et
dans la Sarthe, est particulière
ment suivie par la France.
Les Allemands, eux, ont eu à
gérer l’assassinat, le 23 août 2019,
à Berlin, de Zelimkhan Khango
chvili, un excommandant in
surgé de la deuxième guerre en
Tchétchénie (19992000). Mais
le modus operandi, notamment
le recours à un soutien techni
que sophistiqué, avait vite con
vaincu les autorités allemandes
que le tueur, de nationalité
russe, arrêté au moment des
faits, avait bénéficié de l’aide
d’un Etat doté de puissants servi
ces secrets. Elles avaient incri
miné la Russie.
jacques follorou
L’arme et
de nombreuses
empreintes du
suspect ont été
relevées par
les enquêteurs,
sur les lieux
du crime
Le ministère
public avait
justifié son
incarcération
pour éviter
tout risque
de concertation
ou de pression
CHRISTOPHE BIGOT
Envoyé Spécial de laFrancepour
le Sahel
répondaux questions
deFrançoiseJoly(TV5MONDE)
etMaryline Baumard(LeMonde).
Diffusionsur TV5MONDE
et sur Internationales.fr
Le grand entretien
surl’actualitédumonde
Ce samedià12h
en partenariaen partenariatavectavec
CHRISTOPHE BIGOT
Envoyé Spécial de la France pour
(Le Monde).
CHRISTOPHE BIGOT
Envoyé Spécial de la France pour
(Le Monde).
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hristophe Lartige
/T
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