4 |international SAMEDI 22 FÉVRIER 2020
0123
Des
étudiants
manifestent
contre
le pouvoir
algérien,
le 18 février,
à Alger.
RYAD KRAMDI/AFP
alger envoyé spécial
I
ls bloquent toutes les rues, là. A ven
dredi... », lâche une manifestante,
dépitée. Ce 18 février, à midi, la ma
nifestation algéroise du mardi, dite
des « étudiants », a vu sa tentative de
modifier le parcours toléré par les
autorités tourner court. Réaction immédiate
des forces de l’ordre déployées en masse :
bousculades, interpellations. Un journaliste
est malmené, ses lunettes brisées.
Devenu depuis un an une « tradition » res
pectée avec plus ou moins d’assiduité par
les étudiants, militants et inconditionnels du
Hirak, le mouvement populaire, le défilé du
mardi s’élance de la place des Martyrs en
direction de la Grande Poste et de la fac
centrale. Mais pas question d’aller plus loin.
Sauf quand, sous la pression d’une foule trop
dense, la police laisse faire. Pas cette fois. « Ce
n’est pas le moment! », explique à une pas
sante un officier, radio en main.
Le moment est pourtant singulier, à quel
ques jours du premier anniversaire de l’irrup
tion du soulèvement populaire – le Hirak –
qui a fait abdiquer l’ancien président Abdela
ziz Bouteflika en avril 2019, et un peu plus de
deux mois après l’élection contestée de son
successeur, Abdelmadjid Tebboune. S’il peut
présenter des signes d’essoufflement, le
Hirak continue de structurer la vie politique
et médiatique du pays. Et pour les manifesta
tions appelées à commémorer le « 22 février »
vendredi et samedi, les activistes du Hirak
espéraient un regain de mobilisation.
« CE SERA TRÈS FORT »
Ce mardi, il s’agissait de marquer le coup en
attendant vendredi. Même si, çà et là, on
pestait contre les « marcheurs du week
end » dont on aurait eu bien besoin. Un an et
52 vendredis après le « 22 », les hirakistes
estiment toujours que l’objectif principal de
la révolution – le changement de régime en
faveur d’un « Etat civil et non militaire » – n’a
pas été atteint. « Un pays où des millions de
gens manifestent pendant un an, ça n’existe
pas. Et nous, cela fait un an qu’on manifeste.
Avec des hauts et des bas, bien sûr. J’ai même
connu des vendredis où la faiblesse des
marches m’avait secoué. Mais ces dernières
semaines, ça remonte. Et on ne va pas
s’arrêter tant que le système refuse de dia
loguer et que la répression continue », an
nonce Lyes, résumant l’humeur des mar
cheurs. « Et vendredi, ce sera très fort. »
La gendarmerie a pris les devants. Dès
mercredi soir, des barrages filtrants ont été
installés aux abords de la capitale, afin de la
fermer hermétiquement aux véhicules
venant de l’est du pays.
Du côté des autorités, on démine le ter
rain. Le pouvoir politique a adopté, le 13 fé
vrier, le nouveau plan d’action du gouver
nement, avec comme credo l’« Algérie
nouvelle », et érigé l’apaisement exigé par
l’opposition en priorité : « L’apaisement et la
stabilité constituent les préalables de la réali
sation du projet ambitieux de renouveau
engagé par le président de la République. »
Depuis son arrivée au palais présidentiel
d’El Mouradia, Abdelmadjid Tebboune
répète qu’il a pris l’engagement de satisfaire
les revendications de la rue.
Jeudi soir, face aux médias nationaux,
M. Tebboune a de nouveau repris à son
compte le mouvement populaire en annon
çant avoir signé « un décret consacrant le
22 février Journée nationale chômée et payée
sous la dénomination de “Journée nationale
de la fraternité et de la cohésion entre le peu
ple et son armée pour la démocratie” ».
Réaffirmant que « le Hirak béni a préservé
le pays d’un effondrement total », le chef de
l’Etat a observé que « certaines revendi
cations exprimées auparavant ne pouvaient
être satisfaites par quelqu’un de non élu
et n’ayant pas le pouvoir et la légitimité re
quis », assurant qu’« aujourd’ hui nous
œuvrons à leur concrétisation, à commencer
par la Constitution, la loi électorale et la
réorganisation des institutions ».
Mais les actes tardent à se concrétiser
sur trois sujets où le crédit des promesses
présidentielles commence à être entamé :
la libération des détenus d’opinion, la li
berté de réunion et la liberté de la presse.
Des libertés déjà toutes garanties par la
Constitution en vigueur, rappellent les
défenseurs des droits de l’homme.
Plusieurs dizaines de détenus ont bien été
relâchés, mais 1 300 personnes restent
visées par des enquêtes judiciaires et plu
sieurs dizaines de personnes sont toujours
emprisonnées, selon le Comité national
pour la libération des détenus.
ANCIENS RÉFLEXES SÉCURITAIRES
Une « conférence nationale de la société
civile et des activistes du Hirak », qui devait
réunir le 20 février à Alger les représentants
de nombreuses villes, de la diaspora et des
collectifs d’étudiants, a été ajournée sine
die faute d’autorisation. « Une Algérie nou
velle avec d’anciennes pratiques », consta
tent les organisateurs.
La presse en ligne retrouve, elle, un peu le
sourire. Plusieurs sites d’informations ont
été débloqués sur instruction du nouveau
ministre de la communication, mais les
anciens réflexes sécuritaires resteraient
pesants. « Sur le terrain, nous ne percevons
aucun changement. Le harcèlement policier
continue à l’égard des journalistes », note
Khaled Drareni, journaliste à Radio M et
membre du Collectif des journalistes algé
riens unis, qui rappelle qu’un journaliste,
Sofiane Merakchi, est toujours incarcéré
quand d’autres font l’objet de poursuites ou
de mesures de contrôle judiciaire et que les
médias publics restent « verrouillés ».
Fautil dès lors mettre la communication
du nouvel exécutif sur le compte d’une
stratégie visant à faire rentrer les gens chez
eux ou le créditer d’un réel désir d’ouver
ture? « Nous avons un président qui est
conscient qu’il est mal élu et est en quête de
légitimité. Une légitimité que la majorité des
Algériens refusent de lui accorder. Il y a donc
une volonté de M. Tebboune de se relégitimer
à travers un discours d’apaisement. Mais,
dans la réalité, nous constatons une
dissonance », constate Cherif Driss, profes
seur en sciences politiques à l’Institut supé
rieur de journalisme de l’université d’Alger.
« Cela dénote peutêtre une certaine caco
phonie au sein des cercles décisionnels. On
peut aussi l’interpréter comme une stra
tégie : le pouvoir lâche du lest, mais il ne veut
pas donner l’impression qu’il perd le contrôle
et qu’il subit la pression populaire, pour
suitil. Cela démontre sa capacité de rési
lience. Même si celleci a été mise à rude
épreuve depuis le 22 février. »
« Les ambiguïtés marquent les limites de ce
pouvoir, des limites inacceptables pour la
société qui les rejette depuis l’élection et le
refera avec de plus en plus de force dans
les mois qui viennent », veut croire Yacine
Teguia, membre du bureau national du
Mouvement démocratique et social (MDS),
l’une des composantes du Pacte de l’alter
native démocratique, un regroupement de
forces de gauche et libérales.
« Les forces politiques, en particulier celles
liées au pouvoir, refusent d’entendre l’am
pleur de la nouvelle demande qui est expri
mée par la société algérienne, c’est clairement
ce que signifie le moment Tebboune. C’est une
forme de déni de l’ampleur des ruptures
exigées par la société », ajoutetil.
Le Hirak algérien vatil souffler sa pre
mière bougie avec le goût amer des
victoires inachevées? Non, tempère l’uni
versitaire Cherif Driss. « La situation ne sera
plus jamais comme avant. Une digue est
tombée : la digue de la peur. Les Algériens
se sont réconciliés avec la politique et il y a
une réappropriation de facto de l’espace pu
blic. » Toutes choses inimaginables voilà un
peu plus d’un an.
madjid zerrouky
« ON NE VA PAS
S’ARRÊTER TANT QUE
LE SYSTÈME REFUSE
DE DIALOGUER ET
QUE LA RÉPRESSION
CONTINUE »
LYES
manifestant algérien
Le Hirak conteste l’« Algérie
nouvelle » vantée par le régime
Le président, Abdelmadjid Tebboune, mal élu en
décembre 2019, tente de jouer l’apaisement, mais sans
convaincre des manifestants mobilisés depuis un an
U N A N D E C O N T E S T A T I O N E N A L G É R I E
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