6 |international SAMEDI 22 FÉVRIER 2020
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las vegas envoyée spéciale
P
ar choix ou par néces
sité, Joe Biden n’affiche
pas un programme pu
blic très chargé. Mardi
18 février, à la veille du neuvième
débat des candidats des primaires
démocrates dans le Nevada, l’an
cien favori du scrutin, l’homme
qui régnait sur la course de toute
sa stature d’ancien viceprési
dent, a choisi de tenir une réu
nion dans un modeste restaurant
asiatique de Las Vegas, à quelques
kilomètres des casinos.
L’endroit ne peut contenir
qu’une centaine de personnes,
mais il a l’avantage de se trouver
juste à côté du Chinatown Plaza
Mall où est installé un bureau de
vote anticipé. Le Nevada, troi
sième Etat dans la succession des
primaires, a innové. Pour aug
menter la participation, notam
ment parmi les employés des
hôtels, les démocrates ont décidé
de donner aux électeurs la possi
bilité de voter en avance. Sur les
bulletins, les votants classent les
candidats par préférence, sans
avoir à participer à la réunion
ellemême – le caucus. Samedi,
jour officiel du scrutin, le parti es
père éviter le fiasco de l’Iowa, dû à
une technologie mal rodée. Goo
gle a été appelé à la rescousse. Les
votes sont enregistrés sur iPad et
sur papier.
Arrivé avec une heure de retard
- mais qu’il compense par qua
rantecinq minutes de selfies –,
M. Biden se lance dans un mono
logue ininterrompu, rebondis
sant d’une anecdote personnelle
à une autre. Comment Jill, son
épouse, l’a longtemps éconduit- « Cinq fois! », s’indignetil.
Comment il a retrouvé grâce à
« Barack » sa lointaine famille ir
landaise dans le comté de Mayo.
L’ancien viceprésident est jovial.
Il lui arrive de buter sur les souve
nirs ou sur les sigles, notamment
« AAPI », qui désigne justement la
communauté devant laquelle il se
trouve, asiatique et originaire des
îles du Pacifique. Mais l’assistance
lui est acquise et son message est
clair : il est trop tôt pour enterrer
Joe Biden.
- « Cinq fois! », s’indignetil.
Biden compte sur les minorités
Après deux défaites sévères dans
l’Iowa et le New Hampshire, l’an
cien viceprésident espère rebon
dir dans le Nevada. Une question
de survie. Moins d’un mois après
le premier vote, il en est à se rap
peler au bon souvenir des com
mentateurs. Dans les débats, ses
concurrents ne l’attaquent même
plus. Mercredi, il avait l’air stupé
fait qu’on oublie de l’interroger :
« Mais c’est moi qui ai fait adopter
l’interdiction des fusils d’assaut!
(...) C’est moi qui ai passé le vote dé
cisif pour l’Obamacare! »
A Las Vegas, il peut compter sur
l’appareil du parti. Plus d’une cen
taine d’élus locaux lui ont apporté
leur soutien, ainsi que le repré
sentant Steven Horsford, premier
élu noir de son Etat au Congrès,
cinq membres hispaniques du
Congrès (et la chanteuse Cher, qui
se produit au Park MGM). « Trump
sait que Biden est le concurrent le
plus dangereux. Il a même risqué
l’impeachment pour dénicher des
informations sur lui », fait valoir la
représentante Dina Titus, devant
l’assistance au restaurant chinois.
Harry Reid, l’ancien condisciple
de Joe Biden du Sénat, s’est en re
vanche abstenu. Artisan de la
stratégie électorale d’ouverture
aux minorités, qui voit
aujourd’hui les femmes être
majoritaires à l’Assemblée du
Nevada, l’ancien sénateur n’a
appuyé personne, mais il figure
dans une publicité d’Elizabeth
Warren. Et il a eu des mots remar
quablement aimables pour Mi
chael Bloomberg (« Je l’apprécie
beaucoup. Il a été un bon maire. Et
personne dans ce pays, je dis bien
personne, n’a fait autant que lui
sur le climat et les armes à feu »).
Joe Biden compte surtout sur les
minorités. « Nous n’avons pas
encore entendu l’avis de 99,9 % des
AfroAméricains, nous n’avons pas
encore entendu l’avis de 99 % des
Latinos ou des Asiatiques. L’idée
que nous allons décider de la no
mination avant d’avoir entendu
tout le monde est absolument ridi
cule », assènetil. Symbole de la
transition démographique des
Etats de l’Ouest, le Nevada est le
cinquième Etat du pays où les
Blancs ne représentent plus la
majorité absolue. Les Latinos for
ment 29 % de la population, les
Noirs environ 10 %, comme les
Asiatiques.
Avec un poids de 20 % dans
l’électorat démocrate, les Latinos
sont courtisés de tous côtés. Dé
ception générale : le Culinary
Workers Union, le très puissant
syndicat de l’hôtellerie, a décidé
de ne pas choisir de candidat,
comme d’ailleurs aux primaires
de 2016. Mais il a mis en garde ses
60 000 membres contre le plan
« santé » de Bernie Sanders, Medi
care for All, qui élimine les assu
rances privées. Le syndicat, qui
négocie le contrat de travail des
employés des casinos, tient à
conserver l’excellente couverture
santé conquise de haute lutte.
Pendant le débat de Las Vegas,
Bernie Sanders a pris soin de les
rassurer. Pas question d’éliminer
les avantages acquis. « J’ai un bilan
100 % syndicats depuis trente
ans », atil plaidé.
Reprise du slogan d’Obama
Le sénateur du Vermont, qui avait
été battu de justesse par Hillary
Clinton en 2016, est donné ga
gnant par les sondages. Il a 250 or
ganisateurs sur place (contre une
cinquantaine pour Joe Biden),
grâce au soutien de l’association
latina Mijente. Il tient des rassem
blements à l’université et sur les
terrains de football des quartiers
populaires. Un sondage de Tele
mundo le place au coudeàcoude
avec Joe Biden pour le vote latino
(34 % pour Biden, 31 % pour San
ders avec une marge d’erreur de
5,3 %). Mais si l’ancien viceprési
dent a le soutien des Hispaniques
de plus de 50 ans, le sénateur
socialiste récolte celui des jeunes.
Selon ses conseillers, cités par
Politico, Joe Biden espère se hisser
à la deuxième place. Sa campagne
a enfin réussi à faire le buzz, fac
teur indispensable dans un pay
sage politique rythmé par les
Tweet de Donald Trump. Il s’est
moqué dans un clip de la manière
dont M. Bloomberg se revendique
du soutien de Barack Obama
quand il était maire de New York :
« Bienvenue dans les débats, Mike. »
Devant le restaurant chinois, ses
bénévoles essaient de mobiliser
la file qui attend pour serrer la
main du candidat. Ils ont repris le
slogan que Barack Obama aimait
à scander pour mobiliser ses trou
pes : « Fired up! Ready to go! »
(« Mobilisés! Prêts à y aller! »).
Dans une version proBiden : « Fi
red up! Ready for Joe. » Prêts pour
Joe, pourvu qu’il le soit lui
aussi...
corine lesnes
Togo : Gnassingbé vise un nouveau mandat
Une réforme de la Constitution permet au président, au pouvoir depuis 2005, de se représenter
lomé envoyé spécial
E
lu au premier tour, un coup
K.O.! » Au Togo, Faure
Gnassingbé maîtrise bien
ce slogan à la mode en Afrique de
l’Ouest. Après avoir remporté
l’élection à trois reprises (2005,
2010 et 2015) avec près de 60 % des
voix, le président – dont la famille
monopolise le pouvoir depuis un
demisiècle – brigue un quatrième
mandat, samedi 22 février.
Dans les rues de Lomé, les slo
gans des candidats se répondent :
« Allonsy Faure », « Fabre, la force
du courage et de la détermina
tion », « Kodjo, la chance de l’alter
nance »... Au pied des panneaux,
la vie continue avec son lot de tra
cas quotidiens, de misères aussi.
Dans le quartier de BèKpota, fief
traditionnel de l’opposition, des
affiches du candidat présidentiel
n’ont pas été arrachées.
On peut y voir une forme de ré
signation, dans ce pays de 7,8 mil
lions d’habitants. Même si, dans
le camp de l’opposant historique
JeanPierre Fabre, on déplore le
déplacement à la dernière minute
de quelques meetings et « des tra
casseries », la campagne 2020 n’a
pas connu d’incidents majeurs.
« D’habitude, les quartiers sont en
ébullition », assure JeanPaul Ag
boh Ahouélété, patron du groupe
de presse Focus Infos.
L’histoire du Togo est émaillée
de violences électorales et de ten
tatives de coup d’Etat. En 2005,
l’accession au pouvoir de Faure
Gnassingbé, alors âgé de 37 ans,
reste entachée de sang. Pour suc
céder à son père, Eyadéma, à la
tête du pays pendant trentehuit
ans, il s’est fait nommer président
de l’Assemblée nationale avec le
soutien de l’armée, puis président
par intérim. Sous pression inter
nationale, il organise des élec
tions qu’il remporte après des
violences ayant fait entre 400 et
500 morts, selon l’ONU.
Semblant suivre un conseil pa
ternel selon lequel « on n’organise
pas des élections pour les perdre »,
il a été réélu haut la main en 2010
et 2015. Un changement récent de
Constitution lui permet de se pré
senter jusqu’en 2025. La famille
Gnassingbé dirige le Togo depuis
cinquantetrois ans, un record de
longévité seulement battu par la
Corée du Nord.
« Vous parlez de famille, mais
estce que le premier ministre est
mon frère? Estce que le président
de l’Assemblée est mon cousin ?, ré
pond Faure Gnassingbé, lors d’un
entretien accordé au Monde et à
l’Agence FrancePresse (AFP). Le
Togo a défini par consensus le
moyen d’arriver au pouvoir et c’est
par l’élection. Mon patronyme ne
doit pas être facteur d’exclusion. »
Aucune attaque
Sur le plan macroéconomique, le
pays progresse au point d’être
considéré comme un bon élève
du Fonds monétaire internatio
nal et de la Banque mondiale.
Mais si le taux de pauvreté a re
culé de six points entre 2006 et
2015, celleci affecte toujours plus
de la moitié de la population.
En matière de sécurité, le pays n’a
déploré aucune attaque, alors que
le Burkina Faso voisin est réguliè
rement ciblé par des massacres dji
hadistes et que le Bénin a été
frappé par l’enlèvement de deux
Français, le 1er mai 2019. En campa
gne lundi dans le Nord, le long de la
frontière avec le Burkina, Faure
Gnassingbé a toutefois mis en
garde contre la pression « très
forte » des groupes djihadistes.
En ce qui concerne les droits
humains, l’opposition et la so
ciété civile dénoncent un régime
autoritaire. Amnesty Internatio
nal a rappelé que « des lois liberti
cides ont été votées et qu’au moins
vingtcinq personnes, dont des en
fants, ont été tuées lors de mani
festations depuis 2015 ». Jean
Pierre Fabre, de l’Alliance natio
nale pour le changement, a mis
cette question au cœur de sa cam
pagne. « Une fois élu, mon premier
travail sera de construire un Etat
de droit », déclare celui qui a ter
miné deuxième en 2010 et 2015.
Mais l’opposition se présente au
scrutin en rang dispersé. Parmi
les sept candidatures se trouvent
six opposants, dont Agbéyomé
Kodjo qui a reçu le soutien de
Mgr Philippe Kpodzro, archevê
que émérite de Lomé. « Parce qu’il
a été désigné par le SaintEsprit, il
aurait fallu que je me range der
rière ce candidat fantaisiste ?, iro
nise JeanPierre Fabre. Je rappelle
qu’il a été premier ministre du père
Gnassingbé... On ferait mieux de
s’allier pour que le scrutin soit
transparent, car les conditions ne
sont pas réunies pour qu’il le soit. »
La torpeur de la campagne an
noncetelle une tempête au mo
ment des résultats? Une victoire
« par un coup K.O. » n’exclut pas
un second tour dans la rue.
pierre lepidi
Si elle a reculé
entre 2006
et 2015, la pauvreté
affecte toujours
plus de la moitié
de la population
Le candidat à l’investiture démocrate à la présidentielle américaine Joe Biden, à Las Vegas (Nevada), le 18 février. ALEX WONG/AFP
Avec un poids
de 20 % dans
l’électorat
démocrate,
les Latinos
sont courtisés
de tous côtés
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Primaires : Biden
espère se relancer
dans le Nevada
L’ancien viceprésident américain
mise sur les minorités pour sauver
sa candidature dans le camp démocrate
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LE CEPAC SILO
3MARS2020 O 21 MARSEILLE