également changer celle des autres », résume-t-elle. Comme tous les prati-
quants palestiniens, elle sait que si le monde entier aime le yoga, la discipline
prend une dimension autre dans une zone aussi touchée par des décennies de
conflit que les territoires palestiniens.
Elle-même a découvert le yoga en 1992 grâce aux cours d’une professeure israélienne
qui venait de Jérusalem pour donner des cours à Bethléem. L’éclatement de la
seconde Intifada en 2000 y a mis un terme. Désormais, il n’existe plus aucun contact
entre les adeptes israéliens et palestiniens, explique-t-elle.
Pour autant, le yoga, certes balbutiant, est un bon révélateur des évolutions de la
société palestinienne, de ses classes citadines et aisées, qui ont voyagé ou étudié à
l’étranger, et de ce climat sociétal qui reçoit les échos du reste du monde tout en
maintenant ses traditions. C’est à Ramallah, la capitale économique de la Cisjordanie,
grouillante d’artistes, d’entrepreneurs et d’expatriés, que le premier studio, Farashe
(« papillon », en arabe), a ouvert en 2010, fondé par une petite équipe de Palestiniens
et d’étrangers. Aujourd’hui, sept professeurs y dispensent des cours de hatha-yoga,
de vinyasa, de méditation ou de yoga sur chaises pour les plus âgés, moyennant
25 shekels (soit environ 6,70 euros) la séance d’une heure. Le public est mixte :
hommes et femmes, locaux et étrangers. À Farashe, le yoga libère des tensions
accumulées au travail ou à la maison. Mais beaucoup viennent également sur les
recommandations d’un médecin, d’un kinésithérapeute, voire d’un psychiatre pour
soulager certaines douleurs.
« La situation politique, et notamment l’occupation israélienne, contribue à générer un
stress collectif chez les Palestiniens », explique Eilda Zaghmout, qui a fondé en 2015,
avec une amie, le studio Beit Ashams (« maison du soleil », en arabe) à Beit Jala, une
commune jouxtant Bethléem. Selon elle, le yoga est particulièrement pertinent dans
le contexte spécifique de la Cisjordanie. « Le mur et les checkpoints, les permis à obtenir
pour entrer en Israël... Cette violence structurelle nous affecte psychologiquement et
physiquement », décrit-elle. Son studio représenterait donc « un lieu où se ressourcer
pour mieux affronter ensuite l’extérieur ». Cheveux bruns coupés au carré, un trait
d’eye-liner dessiné au-dessus des cils, la jeune femme enseigne le power-yoga, une
déclinaison très dynamique de la discipline, après
avoir obtenu son certificat aux États-Unis, ainsi
que du yoga pour les enfants. Elle s’est également
formée au centre du Collateral Repair Project en
Jordanie, pour y acquérir des techniques destinées
à soulager certains traumatismes, comme la
méthode TRE (« tension and trauma releasing
exercises », en anglais).
Peu à peu, les professionnels de la santé recon-
naissent les bienfaits de la pratique. « Dans une
situation de stress psychologique associé à des
symptômes physiques, quel que soit le contexte
politique, nul doute que le yoga soulage, admet la
Dr Samah Jaber, psychiatre et chef de l’unité de
santé mentale au sein du ministère de la santé en
Cisjordanie. Mais beaucoup ne comprennent pas
encore ce dont il s’agit vraiment : dans des milieux
plus conservateurs, les gens vont privilégier une
forme de méditation plus familière, en priant ou en
écoutant le Coran. Parallèlement, ils font du sport
pour se dépenser. » En ville, les catégories les plus
aisées fréquentent souvent une salle de fitness ;
les femmes y font de la zumba ou de l’aérobic
quand les hommes s’adonnent à la musculation.
Dans les zones plus isolées, l’offre sportive est
rare, voire inexistante : point de gymnastique,
encore moins de yoga.
C’est pourquoi les fondateurs du studio Farashe
ont visé des publics non citadins. Grâce à l’éta-
blissement de partenariats avec des professeurs
Ouvert en 2010,
le studio de
yoga Farashe,
à Ramallah, a
été le premier
à avoir vu le jour
en Cisjordanie
(ici, en janvier
2020).
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LE MAGAZINE
Tanya Habjouqa/NOOR pour M Le magazine du Monde