venus d’Europe ou des États-Unis, quarante per-
sonnes issues de plusieurs villes et villages pales-
tiniens y ont suivi une formation certifiée, pour
pouvoir ensuite enseigner auprès des leurs. C’est
le cas de Jaleelah al-Rawaja à Nilin. Farashe se
targue ainsi d’avoir un impact sur la vie de plus
de 5 000 personnes, principalement des femmes,
vivant dans une quinzaine de communautés.
D’autant que les organisations humanitaires,
locales et internationales, très actives en
Cisjordanie où elles font partie du tissu social, ont
également cerné les avantages du yoga. Celui-ci
vient compléter les dispositifs de soins ou d’acti-
vités déployés auprès des populations les plus
vulnérables : des cours sont ainsi organisés avec
le soutien de l’UNRWA, l’agence onusienne en
charge des réfugiés palestiniens, ou d’autres
organisations étrangères. Un programme déve-
loppé par la Société allemande pour la coopéra-
tion internationale (GIZ) prévoit également de
former une douzaine de professeurs originaires
des camps de réfugiés.
AINSI
transmis, le yoga
devient un outil per-
tinent d’autotraite-
ment, appelé « self
care » dans le jargon
humanitaire. « Il instaure un nouveau rapport au
corps car il faut se relier à son intériorité, explique
Nahed Bandak au sujet de son expérience auprès
des femmes dans les camps de réfugiés. C’est
nouveau pour beaucoup d’entre elles, mais ça leur
parle. Ici, les femmes sont habituées à tout donner
pour les autres, sans rien recevoir. Avec le yoga,
elles découvrent qu’elles doivent également
prendre soin d’elles. » Parmi les ONG étrangères,
la diffusion du yoga soulève un débat : les per-
sonnes renforceraient certes leur résilience mais,
en même temps, elles s’habitueraient au contexte
particulièrement stressant ou traumatisant dans
lequel elles vivent, quitte à le normaliser, ce qui
n’est pas le but recherché par les organisations
actives sur le terrain.
À une échelle plus modeste, c’est également sous
des prétextes humanitaires que le yoga a d’abord
commencé dans la bande de Gaza, un territoire
sous blocus israélo-égyptien depuis 2007. Les
deux millions de résidents de l’enclave palesti-
nienne minée par le chômage, le manque de res-
sources ainsi que les tensions entre le Hamas, le
mouvement islamiste qui contrôle l’enclave, et
Israël, connaissent un état de stress permanent.
« La société est enfermée, nous vivons avec le
risque perpétuel d’une escalade militaire entre le
Hamas et Israël, décrit Najla S., une des rares pro-
fesseures de yoga à Gaza. On parle de résilience
mais il est faux de dire qu’on s’y habitue [à la situation]. À force, on y perd beaucoup
de nos ressources personnelles. » Mariée et mère de deux petites filles, la jeune
femme est « tombée amoureuse de la pratique » grâce à une professeure britannique
temporairement installée à Gaza. Trois fois par semaine, au rez-de-chaussée de sa
maison, elle enseigne aujourd’hui le flow-vinyasa, une combinaison de postures
enchaînées sur fond de musique douce, moyennant 20 shekels (environ 5,40 euros)
pour une heure de cours. Ses élèves, exclusivement des femmes, de 25 à 50 ans,
viennent y trouver un espace « d’épanouissement personnel », qu’elles ne trouvent
pas ailleurs, soumises à une pression sociale perpétuelle, poursuit-elle.
Najla S. en est ainsi persuadée : dans le contexte si particulier de Gaza, générateur
d’une « extrême négativité », le yoga est d’une grande aide. Avec émotion, elle se
souvient du cours qui a suivi une confrontation entre le Hamas et Israël cet hiver :
« Le studio était plein. Toutes les élèves sont venues. En général, après une escalade
de violence, tu t’effondres physiquement et émotionnellement. Or, ce cours nous donne
beaucoup d’énergie et un sentiment d’immense gratitude. » Elle poursuit : « C’est une
combinaison délicate de pensées car, en même temps, nous ne sommes pas naïves :
nous voulons croire que demain sera meilleur tout en sachant qu’il pourrait être pire. »
À Gaza, encore plus qu’à Ramallah ou à Hébron, le yoga se confronte à la religion.
La mainmise du Hamas sur la vie quotidienne contraint à une certaine discrétion.
Certains Gazaouis rencontrés s’en tiennent à une pratique individuelle, chez eux,
grâce aux vidéos sur YouTube. Issue d’une famille musulmane, ne portant pas de
hijab, ce qui est très rare à Gaza, Najla S. confie « avoir une vision plus large de la
religion » depuis qu’elle a découvert le yoga. Elle se garde cependant d’en aviser ses
élèves : « Par exemple, je n’ose pas encore prononcer un “om” à la fin de mes cours »,
confesse-t-elle. Elle ajoute néanmoins qu’elle jeûne et prie pendant le ramadan, tout
en pratiquant le yoga sur fond de musique soufie.
Dans les milieux musulmans conservateurs, le yoga est une affaire exclusivement
féminine, par envie d’être avec ses pairs et pour éviter une promiscuité qui serait
malvenue. « Ce n’est pas approprié de faire des cours mixtes à Naplouse, avance Mirna
Khuffash, enseignant dans cette ville du nord de la Cisjordanie. Avec des hommes,
nous ne pourrions pas vraiment nous relaxer et certaines postures telles que le chien
tête en bas ou la vache ne sont pas acceptables devant eux. » À ce titre, Farashe
entend consacrer des formations destinées au public masculin ; un professeur
enseigne déjà dans le studio de Ramallah.
Plus largement, la religion est une question cruciale soulevée par la pratique du yoga
en Terre sainte, où l’athéisme reste, sinon rare, en tout cas peu avouable. Les plus
réfractaires dénoncent un nouveau dogme. Pour calmer les inquiétudes, les profes-
seurs le décrivent comme une gymnastique douce, relaxante pour le corps et l’es-
prit. « Il y a encore beaucoup de résistance, confirme Eilda Zaghmout, du studio Beit
Ashams. Dans le milieu chrétien d’où je viens, les prêtres sont contre. » L’un n’em-
pêche d’ailleurs pas l’autre : la jeune femme « garde la foi » et fréquente l’église le
dimanche. En outre, professeurs et élèves musulmans reconnaissent que le yoga
leur apporte plus de souplesse dans la prière quotidienne, qui revient cinq fois par
jour et où le fidèle accomplit plusieurs rak’ah (prosternations).
Le second obstacle est linguistique, faute de suffisamment de ressources arabo-
phones sur le sujet. À Jérusalem-Est, Ramallah ou Bethléem, l’anglais est largement
pratiqué ; c’est moins le cas ailleurs. Les communautés qui ne parlent pas l’anglais
ne peuvent donc se familiariser avec le yoga par leurs propres moyens. C’est pour-
quoi Farashe a décidé de lancer un premier programme d’entraînement intégrale-
ment en langue arabe, certifié par Yoga Alliance, la plus grande association interna-
tionale. Un moyen de démultiplier le public, élargi à tout le monde arabe. En 2017,
Shadan Nassar, originaire de Ramallah, a lancé sa chaîne Shadana Yoga sur YouTube,
où elle propose des cours de yoga en arabe. Ses 100 000 followers la suivent notam-
ment depuis l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Irak ou encore le Maroc. Dans ses vidéos,
la trentenaire ne précise pas ses origines : « Je refuse la compassion automatiquement
associée à l’identité palestinienne, explique-t-elle. Je veux être simplement vue comme
une jeune femme qui enseigne le yoga en arabe. »
“En général, après une escalade de violence, tu t’effondres physiquement et émotionnellement.
Or, ce cours nous donne beaucoup d’énergie et un sentiment d’immense gratitude.”
Najla S., professeure de yoga à Gaza