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DIMANCHE 1ER LUNDI 2 MARS 2020
FRANCE
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Philippe, un pied au Havre, la tête à Paris
Au front sur les retraites et le coronavirus, et candidat aux municipales, le premier ministre se démultiplie
C’
est devenu une ha
bitude ces dernières
semaines : chaque
jeudi soir, Edouard
Philippe part au Havre mener sa
campagne pour les élections mu
nicipales. Jusqu’au dimanche,
l’ancien maire de la cité portuaire
troque son costume de premier
ministre pour celui de candidat,
dans la ville qu’il a dirigée de 2010
à 2017. Sauf quand l’agenda natio
nal l’oblige à des allersretours.
Ainsi, samedi 29 février, le chef du
gouvernement devait être à Paris
pour participer à un Conseil de
défense et à un conseil des minis
tres consacrés au coronavirus.
Une parenthèse avant de re
plonger dans la politique locale.
Réunions d’appartement, ren
contres avec des associations,
déambulations au marché... Pen
dant près de trois jours, le chef du
gouvernement s’immerge dans
les sujets havrais, en essayant de
faire abstraction de la multitude
de dossiers nationaux qu’il doit
gérer à Matignon. « Tous, ici, ce qui
nous intéresse, c’est Le Havre! », a
til lancé lors d’une réunion publi
que, le 20 février. Manière de con
vaincre les habitants de sa totale
implication à « faire en sorte que
cette ville continue d’aller mieux ».
Un engagement électoral qui le
contraint à ne passer que quatre
jours par semaine à Paris et ne lui
permet pas d’être mobilisé à plein
temps sur sa charge de premier
ministre. Un pas de deux, qui le
place dans une position compli
quée, au moment où le projet de
loi sur les retraites est examiné à
l’Assemblée nationale et en pleine
crise sanitaire liée au coronavi
rus. « La France de 2020 est dans
un état de crise permanent qui jus
tifierait que le premier ministre ne
soit pas à temps partiel », accuse le
député Les Républicains (LR) de
l’Yonne Guillaume Larrivé. Avant
d’asséner : « Matignon n’est pas
délocalisable au Havre. »
De facto, sa double casquette
contraint le premier ministre à
jongler entre les sujets locaux et
nationaux. Mercredi soir, quel
ques heures après l’annonce du
premier décès français lié au Co
vid19, il s’est ainsi rendu au Ha
vre pour participer à un débat té
lévisé organisé par France 3 Nor
mandie. Activité portuaire, mai
son des aidants, tramway...
Pendant une heure, le premier
ministre a évoqué les sujets mu
nicipaux. Dès le lendemain, il a
repris la main sur le dossier du
coronavirus, en recevant à Mati
gnon les chefs de parti représen
tés au Parlement, les présidents
de groupe parlementaire et les
présidents d’assemblée.
Au sein même de la majorité,
une partie des députés La Répu
blique en marche (LRM) vivent
plutôt mal l’intermittence de
M. Philippe. Alors que les débats
sur les retraites ont démarré
lundi 17 février à l’Assemblée,
avant de s’enliser dès le mercredi,
le chef de la majorité a attendu le
dimanche soir pour rendre visite
aux députés, en jean et baskets...
« Pendant qu’on se bat comme des
chiens face à l’opposition, le pre
mier ministre ne dit rien, ne fait
passer aucune consigne... Cette
absence de pilotage de la part de
Matignon ne va pas », fulmine un
député macroniste.
Un « sentiment d’abandon »
Plusieurs élus LRM expriment un
« sentiment d’abandon », et des ré
criminations se font entendre au
delà des seuls élus de l’aile gau
che. Lors d’une pause à la buvette
de l’Assemblée en début de se
maine, une élue a lâché tout haut
ce que beaucoup pensent tout
bas : « Philippe est au Havre pen
dant que nous, on se fait chier! »
« On a l’impression qu’il est plus
soucieux d’assurer son élection dès
le premier tour que de s’occuper
des retraites. Comme si son intérêt
personnel et local passait avant
l’intérêt national », regrette un
autre. « Dans cette période politi
que particulière, on attend du chef
de notre majorité qu’il mette tou
tes ses forces dans la bataille à l’As
semblée et dans la conférence de
financement pour trouver la voie
d’un compromis », souligne le dé
puté LRM de Paris Pierre Person.
Si l’Elysée ne commente pas of
ficiellement l’agenda d’Edouard
Philippe, certains proches d’Em
manuel Macron montrent aussi
des signes d’agacement. Con
seiller spécial du chef de l’Etat,
Philippe Grangeon a ainsi fait
allusion à la curieuse situation du
premier ministre, lors du bureau
exécutif de LRM, le 24 février. In
terrogé sur l’opportunité de re
courir au 49.3 pour adopter la ré
forme des retraites, M. Grangeon
a répondu, selon plusieurs té
moins : « C’est le premier ministre
qui décidera. » Avant d’ajouter : « Il
doit bien sentir les choses puisqu’il
est en campagne au Havre. »
« Tout le monde a compris le mes
sage », sourit un participant.
Des critiques « injustifiées » aux
yeux de la députée LRM Marie
Guévenoux. « Edouard Philippe
est au Havre le weekend et à Mati
gnon la semaine. Il n’est en campa
gne au Havre que depuis trois se
maines et, s’il doit être de retour à
Paris, il le fait directement », fait
valoir cette proche de Matignon,
estimant que « le rôle institution
nel du premier ministre n’est pas
d’être au banc à l’Assemblée, sur la
réforme des retraites ».
A Matignon, on réfute égale
ment l’image d’un premier mi
nistre dispersé. Si M. Philippe
quitte la capitale le jeudi soir, il re
trouve son bureau dès le diman
che, devenu une journée de tra
vail presque comme les autres. « Il
charge encore plus ce jourlà à
Matignon », souffle un membre
du cabinet. Le dimanche 23 fé
vrier, le premier ministre s’est
ainsi ostensiblement mis en
scène au 57, rue Varenne, prési
dant une réunion d’urgence pour
« redéfinir le dispositif de préven
tion français » face au coronavi
rus. Quelques heures plus tôt, il
arpentait encore, en col roulé et
baskets, le Salon vins et gastrono
mie, au Carré des docks du Havre.
Quant à savoir si Edouard Phi
lippe va changer d’attitude face
aux critiques, « c’est mal connaître
le bonhomme », estime un pro
che. Le 25 février, lors de la réu
nion hebdomadaire des députés
LRM à l’Assemblée, il s’est lui
même agacé des « reproches » sur
son absence, en accusant leurs
auteurs d’être euxmêmes « pas
là » lors des réunions de groupe...
Deux jours plus tard, il a encore
fait référence à sa situation per
sonnelle lors de la réunion sur le
corovinarus organisée à Mati
gnon. Alors qu’un participant se
demandait s’il fallait maintenir
les meetings prévus pour les mu
nicipales, le candidat au Havre a
lancé, sur le ton de l’humour : « Je
ne me sens pas de dire qu’il ne faut
pas faire des meetings... »
alexandre lemarié
et cédric pietralunga
Son engagement
électoral
le contraint
à ne passer que
quatre jours par
semaine à Paris
« On a
l’impression qu’il
est plus soucieux
d’assurer son
élection que
de s’occuper
des retraites »,
estime un député
Gérald Darmanin, un ministre
du budget à temps partiel
Le ministre de l’action et des comptes publics est candidat
à Tourcoing. Il passe entre un et trois jours par semaine à Paris
G
érald Darmanin a le don
d’ubiquité, du moins sur
les réseaux sociaux. Le
26 février, le compte Twitter du
ministre de l’action et des comp
tes publics égrène les actualités de
Bercy. Le même jour, sur Face
book, le candidat Darmanin pré
sente ses idées pour rendre Tour
coing (Nord) économiquement
plus attractive. L’ancien maire de
la ville (20142017) veut retrouver
son siège et espère arriver au
conseil des ministres du 18 mars
auréolé de la gloire d’une réélec
tion dès le premier tour.
Mais, en attendant, où est Gé
rald Darmanin? Les réseaux so
ciaux ne sont pas très précis, mais
les agendas qu’il continue de pu
blier semaine après semaine le
sont davantage : le ministre passe
l’essentiel de son temps à Tour
coing. Le calendrier de la semaine
qui vient de s’écouler évoque un
jour et demi de présence à Paris,
trois jours la semaine d’avant, un
jour la semaine du 10 février, un
jour et demi la semaine précé
dente, etc.
L’entourage de M. Darmanin est
agacé par les questions sur ce su
jet : « Il est complètement faux de
dire qu’il ne passe que deux jours à
Paris, au motif que son agenda pu
blic ne mentionne que des activi
tés lors de ces deux journées. Nous
sommes entrés en période de ré
serve et conformément aux règles
en vigueur, l’activité publique des
ministres doit être limitée. »
Curieusement, l’activité offi
cielle de ses collègues de Bercy,
Bruno Le Maire, Olivier Dussopt,
Cédric O et Agnès PannierRuna
cher demeure, elle, extrêmement
chargée. « Quelle idée, aussi, de
continuer à publier son agen
da... », soupire l’un de ses collè
gues au gouvernement. Selon le
cabinet de M. Darmanin, celuici
travaille autant qu’avant : « Il par
ticipe à toutes les séances de ques
tions au gouvernement [au Parle
ment], aux séances des commis
sions où on l’invite, aux réunions
de Matignon, il pilote des réunions
avec son administration chaque
semaine... »
« Un ministère saisonnier »
A Matignon, on assume. Un pro
che d’Edouard Philippe, lui
même candidat au Havre, expli
que : « Pendant une brève période
de quelques semaines, dont celle
de la période de réserve, on peut
effectivement être ministre et
faire campagne. Gérald Darma
nin respecte parfaitement cette
doctrine. Il n’y a pas de sujet pour
nous. » Et lorsque le ministre
n’est pas à Paris, ajoute son en
tourage, « il est bien entendu en
contact permanent avec son cabi
net pour piloter de très près l’acti
vité de son ministère ».
Dans Le Figaro du 21 février, le
ministre justifiait luimême la si
tuation. Dans un article consacré
à la campagne de Tourcoing, il
était précisé que Gérald Darma
nin gérait les affaires de Bercy à
distance, échangeant matin et
soir avec son cabinet. « Ce n’est pas
un ministère des crises, y expli
quaitil, comme peut l’être l’inté
rieur. Mais un ministère saison
nier. Pendant l’examen du budget,
je dors trois heures par nuit, pen
dant trois mois. »
De fait, reconnaît l’un de ses pré
décesseurs, « ce n’est pas la pé
riode la plus chargée pour le minis
tre du budget ». Pour autant,
ajoute Christian Eckert, secrétaire
d’Etat socialiste chargé du budget
entre 2014 et 2017, « évidemment,
deux jours pour un ministre du
budget, c’est insuffisant. Il n’est pas
cohérent d’être candidat à une
élection dans une ville moyenne et
ministre. Ce n’est pas bien. Mais si
le cabinet est bien briefé... Et bon,
ça va encore durer un mois ».
Si les choses sont technique
ment contrôlées, le message poli
tique peut être plus problémati
que. Pendant que le ministre est à
Tourcoing, qui dirige Bercy?
« C’est un débat traditionnel, en
pointe par rapport à Bercy, rap
pelle M. Eckert : estce que ce sont
les fonctionnaires qui gouvernent,
ou le ministre? L’administration
prend la place qu’on lui laisse... »
Un autre des prédécesseurs de
M. Darmanin, Eric Woerth, prési
dent Les Républicains de la com
mission des finances à l’Assem
blée nationale, regrette quant à
lui que « tous les sujets de finances
publiques [soient] aujourd’hui en
train de passer, au mieux, au se
cond plan. La Cour des comptes
parle même d’“arrêt”. Or, c’est un
sujet majeur, qui doit mobiliser les
uns et les autres totalement, et no
tamment à Bercy ». Sur ce plan,
aussi, l’entourage du ministre re
jette tout faux pas : « On ne peut
pas à la fois reprocher aux minis
tres leur déconnexion, les encoura
ger à se présenter aux élections
municipales et, en même temps,
leur demander de faire campagne
depuis Paris. »
benoît floc'h
« Il n’est pas
cohérent d’être
candidat à une
élection dans une
ville moyenne et
ministre »
CHRISTIAN ECKERT
ancien secrétaire d’Etat
chargé du budget
Nombre record de listes dans la capitale
Sur les 184 listes déposées en vue du premier tour des élections
municipales à Paris, 181 ont été validées en préfecture. Un record.
En 2014, 2008 et 2001, le nombre de listes validées oscillait entre
160 et 170. Cette année, il augmente nettement alors que le nom-
bre d’arrondissements, lui, diminue, à la suite de la fusion des
quatre premiers arrondissements en un seul. Cet accroissement
est dû au nombre élevé de candidats à la Mairie de Paris. En 2014,
ils étaient 6 à se rêver maire de la capitale. En 2008, ils étaient 5.
Cette fois-ci, 8 candidats sont en lice. La hausse du nombre de
listes tient aussi à l’existence, dans de nombreux arrondissements,
de candidats qui ne visent pas la mairie centrale. Lutte ouvrière a
ainsi déposé des listes dans la quasi-totalité des quartiers de Paris.