Le Monde Diplomatique - 03.2020

(Elle) #1

HISTOIRE


Vivifiants fantômes


C


’ESTdans les marges de l’histoire que se faufilent
laissés-pour-compte, exilés bannis de la mémoire,
utopistes radiés des bulletins officiels, petites
gens «sans importance collective». Pourtant, lorsqu’ils
sont évoquésavecprécision et pertinence, comme c’est
le cas chez LucienDescaves,Nann iBalestrini et Didier
Daeninckx, leurs voix permettentaulecteur de
s’émanciper des lectures officielles.

En se réappropriantlep assé comme le fait le narrateur
dePhilémon(1), premier«roman de la Commune, de
l’exil et duretour»publié en 1913, construitàpartir de
documents divers (archives, journaux, correspondances)
et habité par la chaleur du témoignage oral, Descaves
rend hommage aux«vieux de la vieille»–ainsi qu’on
appelait les communards. Il conte l’histoire d’un couple
âgé qu’il baptise d’abord Philémon et Baucis, en réalité
Étienne et Phonsine Colomès, tous deux membresde
l’Internationale, anciens communards,anciens proscrits,
ouvriers bijoutiers, détenteurs d’une mémoire mise au
ban de la nation et qu’ils ne demandent qu’à partager.
Là est l’enjeu:dire l’histoire par le biais du roman
permet d’en décaler les hiérarchies et leurs oppressions,
de rétablir des faits passés sous silence ou occultés, et
de faire passer les«effacés»dus tatut d’objets (d’études
ou de statistiques) au statut de sujets.

Et Colomès peut en dire, des choses. Ilaété quelques
jours commandant du fort deVanves, apassé la«semaine
sanglante»sur les barricades, puisadûs’exiler.À
Genève,oùune communautédeproscrits essaie de
maintenir l’esprit de l’Internationale, Phonsineetl ui
croisent de nombreuses personnalités,participent aux
débats et, comme les autres, attendent une prescription
qui mettra dix ansàvenir.Ler etour tant attendu ne
tient pas ses promesses:l’époque ne s’y prête guère, et
les«derniers preux de la révolution»,de commémo-
rations en funérailles, sont appelésàdisparaître. Mais
c’est pour céder la placeàlag énération suivante:l’en-
gagement de leurs enfants dans le syndicalisme révolu-
tionnaireannonce les grandes grèves... Surgi d’une
tout autre époque, celle de l’Italie des années 1970,Les
Invisibles(2) (1987), le récit de Balestrini, poète et
écrivain, choisit d’évoquer le parcours de Sergio, et plus
largement de cette jeunesse militante des«années de
plomb», des mouvements autonomes et de leur théori-
sation par Antonio Negri. Il ne s’agit plus là de recourir
au témoignage, mais bien de rendre compte d’une expé-
rience«ici et maintenant».«Ici», c’est le quartier de
haute sécurité d’où écrit Sergio, en un long monologue
d’une coulée, sans ponctuation, et«maintenant», c’est
«cette génération partieàl’assautduciel»,vaincus
d’hier devenus invisibles. En substituantàlac hronologie

officielle les chronologies intimes, en rythmant le récit
par la double description de la révolte carcérale que
mènent ses camarades et lui et d’événements plus anciens,
grèves étudiantes, manifestations offensives, ouvertures
de lieux, auxquels ilaparticipé, cette«histoirepersonnelle
mais collective»tracelep ortrait complexe de ce«Mai 68
qui aduré dix ans».

Enfin, comme un rappel général, le«roman noir de
l’histoire»de Daeninckx (3), composé de 77 nouvelles
écrites au cours des quarante dernières années, met en
scène, de l’exil d’un poète en 1855 aux«boueux de
l’espace»de2030, ces«petites mains»restées dans
l’ombre qui continuent, bien après les événements,
d’allumer desfocos,ces foyers de lutte rêvés par Ernesto
«Che»Guevara...

ARNAUD DEMONTJOYE.

(1) Lucien Descaves,Philémon, vieux de la vieille,texte présenté,
établi et annoté par Maxime Jourdan, La Découverte, coll.«Cahiers
libre s»,Paris, 2019, 348 pages, 22 euros.
(2) Nanni Balestrini,Les Invisibles,traduction de Chantal Moiroud
et Mario Fusco, postface inédite du Camarade Ned, Le Monde à
l’envers, Grenoble, 2019, 336 pages, 18 euros.
(3) Didier Daeninckx,Le Roman noir de l’histoire,préface de
PatrickBoucheron,Verdier,Lagrasse, 2019, 830 pages, 28 euros.

AMÉRIQUES ASIE BIOGRAPHIES
LITTÉRATURES

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MARS 2020–LEMONDEdiplomatique


EUROPE


AVANTl’irruptiondeRoberto


Bolaño, José Donoso (1924-1996) était
considéré commele romancier chilien.
Moins célèbre que celles du Colombien
GabrielGarcíaMárquezouduPéruvien
MarioVargas Llosa, son œuvre connaît
une certaine éclipse depuis sa mort. Il
reste cependant une des figures-clés de
cette génération d’auteurs qui, au cours
des années 1960,acontribuéàlar econ-
naissance mondiale de la littérature latino-américaine. La réédition de son
roman-phare, publié en 1970 (et en France en 1972), est un hommage
amplement mérité.

«Cerépugnantcorps noueux se tordant sur sa bosse, ce visage ouvert
en un sillon brutal où lèvres, nez et palais étaient l’obscénité des os et des
tissus en une incohérence de traitsrougeâtres... tout n’était que confusion,
désordre, une forme différente mais pireencoredelamort.»Ça, c’est Boy,
fils de Jerónimo et Inés, et dernier des Azcoitía, une lignée qui, durant plus
d’un siècle, n’a engendré que des êtres destinés au pouvoir:politiciens,
militaires, hommes d’Église. Que faire alors du monstre?S’en débarrasser?
Non. Créer un mondeàson image. Un monde de monstres.

Et monstrueux estL’Obscène Oiseau de la nuit.Porté par un rythme
vertigineux, le récitchangecontinûmentets ans transition de narrateur,de
temps. La trameelle-mêmefluctue:les personnages se confondent, les
épisodes se contredisent. Ainsi émergent la Chimba, un couvent délabré où
s’entassent vieilles, religieuseseto rphelines dans une atmosphère d’hôpital
psychiatrique, et la Rinconada, l’enclos de luxe où Boy granditentouré de
géantsacromégaliques et autres«anormaux»censés lui voiler son anomalie.
Entre ces univers parallèlessejoue le destin des Azcoitía. Seul Humberto,
ancien secrétaire de Jerónimo, qui doit écrire la chronique de la vie de son
fils, connaît ses moindres recoins et, en conséquence, les secrets des maîtres.

Donoso se disaitapolitique.Après avoir vécu en Espagneune quinzaine
d’années, il retourne en 1981 au Chili, où il se retrouve aux prises avec la
dictature;ile st brièvement arrêté en 1985. Mais cet apolitisme n’empêche
pas une fine dissection des rapports de classe, ni la mise en scène constante
de personnages en rupture. Ainsi,L’Obscène Oiseau de la nuitest aussi une
satiresociale. La description de l’élite chilienne est impitoyable:frivole,
souffrant d’un complexe d’infériorité vis-à-vis de l’Europe, rapace, endogame.
Il n’est pas fortuit que le dernier rejeton de la lignée soit un monstre. La
dégradation semble envahir l’ensemble du corps social. Le couvent en ruine
devient l’image d’une société en plein effondrementàcause de cette élite
inepte :«Tout lereste n’est qu’ordure, incroyableque l’oligarchie de ce pays
n’ait été capablederassemblerici que des saletés.»

L’implosion s’inscrit dès lors dans la composition même du roman. Le
changement incessant de point de vue, la fusion de plusieurs scènes ou la
ramification exponentielled’un épisode sapent toute certitude.L’engendrement
de Boy,point nodal, est l’objet de multiples versions qui se superposent et
s’annulent;toutes les combinatoiress’avèrent vraisemblables.Àforce, la
prolifération du récit reproduit ce chaos qu’est la vie, selonWilliam Shakespeare,
auquelWilliam Faulkner fera écho :«Une histoiredite par un idiot, pleine
de bruit et de fureur,etq ui ne signifie rien.»

Astrid5 4.

AFRIQUE


Tourbillons du labyrinthe


L’Obscène Oiseaudelanuit


de José Donoso


Traduit de l’espagnol (Chili) par Didier
Coste, Belfond, coll.«Vintage», Paris,
2019, 640 pages, 18 euros.

MÉMOIRE SUR LA PAMPAETLES
GAUCHOS.–AdolfoBioyCasares
Héros-Limite,Genève,
2019, 72 pages, 14 euros
Peut-on contredire l’écrivain argentinAdolfo Bioy
Casares lorsqu’il déclare :«Quand j’étais enfant,
il n’ yavait pasdegauchos»?L’assertion étonne,
car le monde entier associe l’Argentineàlap ampa
et àses gauchos (gardiens de troupeau). Pourtant,
lesArgentinseux-mêmesnesemblentconnaître
ni l’unenil es autres ...Leparadoxejustifiaitce
Mémoirequel’auteu rdeL’Invention de Morelfit
paraître en 1970 aux éditions Sur pour accompa-
gner ses photographies decaballeros.Il avait pris
ces images de présumés«gauchos»dans la cam-
pagne de son pays après son voyage de 1967 en
Europe, où, avait-il constaté, unArgentin émigré
en France ressemblait fortàunArgentin sur sa
terre natale. Interrogeantl’identité nationale, Bioy
Casares, traduit par Julia Azaretto et Paul
Lequesne, démythifiehardiment cette double
figure d’un espace et de son cavalier qui traverse
la littérature argentine, de la poésie du XIXesiècle
auDésert de pierred’HugoWast (1925) et au
chef-d’œuvre de Ricardo GüiraldesDon Segundo
Sombra(1926)–des classiques qui, en revanche,
ignorent largement le mot«pampa».
ÉRIC DUSSERT
L’HOMME LE PLUSDANGEREUX D’AMÉ-
RIQUE.–Bill Minutaglio et StevenL.Davis
Nevicata, Bruxelles,
2019, 476 pages, 22 euros.
«L’homme le plus dangereux d’Amérique»:c’est
ainsi que le président Richard Nixon qualifiait
Timothy Leary (1920-1996), psychologueclini-
cien, ex-professeuràHarvard devenu apôtre des
drogues hallucinogènes et de la contre-culture
hippie. Condamnéàdix ans de prison pour deux
joints de marijuana, il s’évade en septembre 1970.
Ce livre raconte sa cavale, sur fond de guerre du
Vietnam, deWatergate, d’amour libre, de rock et
de tripsàl’acide. Munis de faux papiers et de
LSD, Leary et son épouse gagnent l’Algérie, qui
arompu ses relations diplomatiques avec
Washington et offre l’asileaux Black Panthers.
Les fugitifs sont hébergés par les révolutionnaires
afro-américains, avant de filer en Suisse. Là,
Leary fait la connaissance du chimiste qui a
découvert les propriétés psychédéliques du LSD.
Sous la pression deWashington,Berne finit par
l’expulser.Enj anvier 1973, il est arrêté enAfgha-
nistan (alors un paradis pour hippies);ils era
ensuite extradé. On lui imposera pendant plusieurs
mois comme voisin de cellule Charles Manson.
Il sera libéré en 1976.
CÉDRIC GOUVERNEUR

FAUT-IL FAIRE LA GUERRE ÀLA
RUSSIE?–Bastien Lachaud
Les Éditions du Cerf,Paris,
2019, 160 pages, 15 euros.
Dans un essai court et pédagogique, Bastien
Lachaud se demande«siles manquements au droit
qu’on imputeàlaRussie d’une part sont vrais, et
d’autrepart s’ils justifient d’entrer militairement
en conflit avec elle».Sar éponse est«non». Des
«manquements»plus graves ne troublent en rien
nos relations avec l’autocrate tchadien Idriss Déby,
avec lespétromonarchiesdu Golfe ou avec les
États-Unis, qui s’embarrassent peu des résolutions
onusiennes et espionnent entreprises et dirigeants
européens. Pour le député La France insoumise,
«bien d’autres faits ont conduitàladéstabilisation
du monde que les provocations réelles ou suppo-
sées de la Russie»,àcommencer par l’expansion
de l’Alliance atlantique en Europe (à l’origine de
la crise ukrainienne), les guerres unilatéralesau
Proche-Orient (qui ont produit l’Organisation de
l’État islamique) ou le changement climatique.Il
convient de s’attaqueràces causes, sans se laisser
divertir par la fausse menace russe. Loin des hypo-
crites croisades morales, cet ouvrage rappelle
qu’une politique extérieure fondée répondàdeux
questions:«Où se situe l’intérêtdelaFrance?»
et «Comment contribuer pratiquementàlap ré-
servation de la paix?».
HÉLÈNE RICHARD

DICTIONNAIRE ENJOUÉ DES CUL-
TURES AFRICAINES.–Alain Mabanckou
et AbdourahmanWaberi
Fayard,Paris, 2019, 344 pages, 20 euros.
Drôle de livre,hétéroclite, jalonné d’anecdotes,
«abécédairebuissonnier»,comme disent les deux
auteurs, l’écrivain franco-congolais Alain
Mabanckou et son homologue franco-djiboutien
AbdourahmanWaberi. Mais l’adjectif«enjoué»
ne concerne pas la composition (sérieuse), ni le
propos (fin). Il viseàcélébrer la pluralité des
Afriques, toutesprêtes, par contacts, migrations
et métissages,àconstituer de nouveaux objets
d’analyse et de nouvelles sources de sociabilité.
Les entrées sont des plus diverses:hommage aux
grands ancêtres (Frantz Fanon, Mongo Beti, Ham-
pâté Bâ ou Thomas Sankara);idéologies (afro-
futurisme) et mouvements sociaux commeYena
marre au Sénégal;références culturelles, de l’aba-
cost, la veste sans col du temps de Joseph Mobutu,
aux zémidjans (motos-taxis)...Autant d’éclats du
quotidien dont les auteurs veulent dresser une
mythographie plus qu’un inventaire. Du sérieux
du fond au plaisir de la forme, un pari réussi d’une
transmission joyeuse de la culture foisonnante du
continent noir.
MICHEL GALY

KHARMOHRA.L’Afghanistan au risque de
l’art.–Collectif
Actes Sud-Mucem, Arles-Marseille,
2019, 160 pages, 25 euros.
Malgré quarante ans de guerre–oupeut-être à
cause de cela –, des artistes afghansont déjoué la
peur pour dire leur refus des atrocités et leurs
rêves. Beaucoup ont dû s’exiler,mais certains sont
revenus;d’autres sont restés dans cette société
chaotique, intolérante, fracturée par les attentats.
Le Musée des civilisations de l’Europe et de la
Méditerranée (Mucem),àMarseille,aréuni onze
artistes–peintres, vidéastes, photographes–dans
une exposition intitulée«Kharmohra.L’Afgha-
nistan au risque de l’art ». Le catalogue apporte
leurs témoignages. On peut regretter le peu de
femmes et le manque de diversité ethnique:seuls
les Hazaras, persécutés, sont bien représentés.
Mais là n’est pas l’essentiel, qui réside dans la
force des œuvres:les toiles de MohsinTaasha,
notamment la sérieTavalod-e dobareh-ye sorkh
(«La Renaissance du rouge»), les photographies
de FarzanaWahidy (dontRespirationouPrayers),
ou encore la performance de Kubra Khademi défi-
lant dans les rues de Kaboul en 2015 dans une
armure qui soulignait ses seins–pour ne citer que
quelques exemples.
MARTINE BULARD
THEVANISHING GENERATION.Faith
and Uprising in ModernUzbekistan.–Bagila
Bukharbayeva
Indiana University Press, Bloomington,
2019, 260 pages, 36 dollars.
Quand BagilaBukharbayeva décroche son
diplôme de journaliste, l’Ouzbékistan vient d’ac-
céder àl’indépendance. Entre récit de vie et chro-
nique politique, cet ouvrage raconte sa réislami-
sation après la chute de l’URSS, en 1991.Àcette
époque, les pays du Golfe ouvrent leurs portes
aux imams ouzbeks en formation. Rapidement,
ces derniers et leurs disciples deviennent la cible
privilégiée du régimeàpoigne d’Islam Karimov,
qui se rapproche deWashington au lendemain
des attentats du11 septembre 2001. Après la
répression sanglante de la révolte d’Andijan,
en 2005, la journaliste mène l’enquête, des États-
Unis au Kazakhstan, pour identifier les organi-
sateurs de cette explosion«spontanée».Elle
découvre alors le rôle central qu’y ont joué les
birodarlar(«les frères»), une communauté qui
prône la réconciliation du communisme et de la
religion musulmane.L’auteure, qui fut bannie de
son pays durant cinq ans, doute que l’ancien pre-
mier ministre ChavkatMirziyoyev, éluprésident
en 2016, desserre réellement l’étausécuritaire.
CLAIRE PILIDJIAN
INSIDER/OUTSIDER. Belonging and Unbe-
longing in North-East India.–Sous la direction
de Preeti Gill et Samrat Choudhary
Amaryllis, NewDelhi,
2019, 272 pages, 22,99 dollars.
Comment comprendre les manifestations qui
secouentl’Inde depuis le11 décembre 2019 sans
remonter aux racines de la décolonisation?Lej our-
naliste Samrat Choudhary et l’éditrice Preeti Gill
présentent une anthologie mêlant poésie, témoi-
gnages de militants, récits intimistes et analyses
d’universitairesautou rdes notions d’appartenance
et de citoyenneté. Dans l’ensemble du Nord-Est
indien, foyer de l’agitation sociale et politique
actuelle, cohabitent de longue date des populations
dites «tribales»etd ’autres, plus ou moins séden-
taires, venues des confins de l’ex-colonie britan-
nique. Ces habitants ont été progressivement figés
dans des identités imposées, aux frontières définies
dans«les territoires et l’imagination»par le colo-
nialisme, l’économie marchande et la technologie,
écrit Choudhary.Enr evisitant l’instrumentalisation
politique de l’autochtonie et de la minorité, les
auteurs relatent aussi comment la fluidité des cul-
tures frontalières reflète par jeu de miroirs le mul-
ticulturalisme indien.
CLEA CHAKRAVERTY

J’AVOUEQUEJ’AI VÉCU.–Pablo Neruda
Gallimard, coll.«Folio bilingue »,Paris,
2019, 256 pages, 9,10 euros.
«J’ai été un homme trop simple:c’est mon hon-
neur et ma honte.(...)Les seuls ennemis que j’ai
sont les ennemis du peuple.»Les Mémoires du
poète chilien Pablo Neruda (1904-1973), qui fut
consul dans l’Espagne républicaine, choisit d’être
communiste et devint ambassadeur sous la prési-
dence de Salvador Allende, sont parus quelques
mois après sa mort–let exte intégral, dont est
extraite cette première partie, est disponible dans
la même collection (Folio). De son enfance en
Araucanie, dans le sud du Chili,àson arrivée à
Rangoun, où il est nommé consulà23ans, il
évoque l’essentiel:lan ature, la poésie, les atta-
chements,l’engagement. Ila16a ns lorsqu’il part
poursuivre ses étudesàSantiago. Là, il connaît
ses premières amours, ses premières amitiés poé-
tiques et révolutionnaires. Il crève de faim, se
méfie de l’inspiration et publie son premier livre,
Crépusculaire,à19a ns. Neruda raconte avec une
simplicité merveilleuse comment la politique se
mêle àlap oésie etàlav ie, au fil de l’apprentis-
sage et des rencontres.
MARIE-NOËL RIO
ADAOULABEAUTÉ DES NOMBRES.
Lovelace, la pionnièredel’informatique.–
Catherine Dufour
Fayard,Paris, 2019, 300 pages, 18 euros.
Fille de lord Byron, Ada Lovelace (1815-1852)
fait à17a ns la rencontre qui va marquersav ie :
celle du mathématicien Charles Babbage et de son
«moteur analytique». Elle se passionne pour cette
machine ancêtre de l’ordinateur,etd éveloppe une
relation quasi filiale avec son inventeur.Une
dizaine d’années plus tard, elle entreprend d’an-
noter le mémoire du mathématicien Louis-Frédéric
Ménabréa,Notionssur la machine analytique de
M. Charles Babbage(1842). Elle développe dans
ces notes les premiers concepts de variables et de
boucles, qui lui vaudront sa renommée dans le
milieu savant. Femme rudoyée, qui aura mené
plusieurs vies (mondaine, mère, épouse et savante),
elle fut surtout«lapremièreprogrammeuse des
tempsmodernes, et aussi la première personne au
mondeàavoir rêvé la puissancedel ’informatique
–avec cent ans d’avance».Catherine Dufour,
elle-même ingénieure en informatique, auteure
réputée d’ouvrages de fantasy et de science-fiction,
lui consacre cette précieuse biographie d’une viva-
cité réjouissante, la première en langue française.
SUZY GAIDOZ

COMPAÑEROS.–ÁlvaroBrechner
Le Pacte,2019, 117 minutes, 10 euros.
Le titre original du troisième long métrage d’Ál-
varo Brechner estLa Noche de 12 años.Cette
«nuit de douze ans»dure de 1973, date de l’avè-
nement de la dictature en Uruguay et de l’arres-
tation des principaux dirigeants desTupamaros,
jusqu’à 1985, date de la fin de la junte militaire
et de leur libération. Pour le pouvoir,capturer
les trois principaux chefs de la guérilla urbaine
d’extrême gauche, M. José Mujica, Eleuterio Fer-
nández Huidobro et Mauricio Rosencof, c’était
détenir des otages qui pourraient être exécutés si
leurs compagnons s’avisaient de reprendre la
lutte armée. DansCompañeros,on découvre ce
que leurs tortionnaires ont inventé pour leur faire
perdre la raison. Et on voit la force morale qu’ils
ont su déployer pour contrecarrer ce dessein.
Principalement construitautour de la personnalité
hors du commun de José«Pepe»Mujica, inter-
prété par l’acteur espagnol Antonio de laTorre,
le film évite cependant d’être une hagiographie
de celui qui deviendra en 2010 le quarantième
président de la République uruguayenne.
PHILIPPE PERSON

DVD

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