Le Monde - 09.04.2020

(Brent) #1

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JEUDI 9 AVRIL 2020 coronavirus | 3


Vue aérienne d’une
rue de Bordeaux,
samedi 4 avril.
NICOLAS TUCAT/AFP

La pression perdure


sur le confinement


La France a passé, mardi 7 avril, la barre des
10 000 morts depuis le début de l’épidémie

C


hangement total de bra­
quet. Après avoir évoqué la
perspective d’un « déconfi­
nement » début avril, l’exécutif ne
veut plus en entendre parler. Pas
question d’aborder dès maintenant
la sortie de crise, au risque de don­
ner l’impression aux Français qu’ils
pourraient se relâcher. Le gouver­
nement les exhorte à respecter
avec la même rigueur les disposi­
tions en vigueur depuis le 17 mars,
tout en préparant les esprits à des
mesures de restriction de liberté
sur le temps long.
« Aujourd’hui, c’est l’heure du
confinement, et l’heure du confine­
ment va durer », a déclaré le premier
ministre, Edouard Philippe, mardi
7 avril, à l’occasion de la séance des
questions au gouvernement à l’As­
semblée nationale. Impossible, à
ses yeux, d’assouplir la stratégie de
distanciation sociale, qui demeure
pour l’instant le seul moyen de limi­
ter la propagation de l’épidémie de
Covid­19 : « Aujourd’hui, l’impératif,
c’est de faire en sorte que le confine­
ment fonctionne, que le virus circule
suffisamment lentement pour que le
nombre de cas sévères qui justifient
l’admission dans les services de réa­
nimation ne soit pas supérieur aux
capacités globales de notre système
hospitalier. »
Interrogé sur les conditions du dé­
confinement, M. Philippe a jugé
« très largement prématurée » toute
question sur ce sujet. Une manière
de rectifier le tir, alors qu’il avait lui­
même évoqué cette perspective, six
jours plus tôt, devant la commis­
sion d’information des députés. Ce
qui lui avait valu des critiques acer­
bes de l’opposition, celle­ci lui re­
prochant d’avoir « prononcé le mot
déconfinement trop tôt » et d’avoir
ainsi entraîné « un relâchement
dans le confinement ».
Un relâchement coupable ob­
servé dans certains endroits, no­
tamment à Paris, ces derniers jours,
avec le retour du beau temps. Le vi­
rus, pourtant, « continue sa progres­
sion », a mis en garde le directeur gé­
néral de la santé, Jérôme Salomon,
mardi soir, au terme d’une journée
où la France a passé la barre des
10 000 morts depuis le début de
l’épidémie. Entre lundi et mardi,
597 décès supplémentaires ont été
enregistrés en milieu hospitalier. Et
7 131 cas graves restent hospitalisés
en réanimation.

Sortie de crise progressive
« Il ne faut pas parler trop tôt du dé­
confinement, sinon on a l’impression
que c’est fini », a reconnu le ministre
de la santé, Olivier Véran, mardi, en
estimant, sans plus de précision,
que le confinement « durera aussi
longtemps qu’il est nécessaire qu’il
dure ». Instaurée jusqu’au 15 avril, la
mesure devrait certainement être
repoussée. « Il est probable que ce
confinement sera prolongé », a indi­
qué la porte­parole du gouverne­
ment, Sibeth Ndiaye, mardi, sur RTL.
Reste à savoir jusqu’à quand. Ni
l’exécutif ni les autorités sanitaires
ne sont pour l’instant en mesure de
donner une date précise.
Seule certitude : la sortie de crise,
qui devrait être progressive, n’est
pas pour demain. Le gouvernement
l’envisage plutôt dans plusieurs se­
maines, voire plusieurs mois.
Mardi 7 avril, le secrétaire d’Etat
aux transports, Jean­Baptiste Djeb­
bari, a même conseillé aux Français
d’« attendre » avant de réserver
pour les vacances d’été, la situation
liée à l’épidémie étant « encore trop
incertaine ».

Même volonté de temporiser du
côté de l’Elysée, alors qu’Emmanuel
Macron est retourné mardi au
contact des soignants, à l’occasion
d’un déplacement en Seine­Saint­
Denis. « Il serait prématuré de parler
de date de sortie. On doit déjà atten­
dre que le stock de patients en réani­
mation baisse, ce qui n’est pas encore
le cas », estime un proche du chef de
l’Etat, en soulignant que « le virus est
encore loin de disparaître ». Tant
qu’il n’existera pas « un vaccin ou
une immunité collective », l’entou­
rage de M. Macron juge impossible
de se passer du confinement.

Inquiétude au sommet de l’Etat
Un point de vue partagé par le prési­
dent du conseil scientifique, Jean­
François Delfraissy. « Dans son avis
du 2 avril, le conseil scientifique sou­
ligne un point essentiel : si la ré­
flexion sur la sortie du confinement
et les stratégies post­confinement
sont nécessaires, la priorité demeure
la poursuite d’un confinement ren­
forcé sur plusieurs semaines. Sans
quoi, nous allons perdre le bénéfice
des trois semaines écoulées », pré­
vient­il. Or, « grâce aux trois semai­
nes de confinement, nous avons
évité que le système de soins soit dé­
bordé et nous avons fait baisser la
circulation du virus. »
Lui aussi a jugé prématuré d’évo­
quer une hypothétique fin du con­
finement. « La sortie du confine­
ment ne peut avoir lieu qu’une fois
que nous disposerons des outils de
protection (masques, tests, suivi des
contacts des personnes infectées...)
et d’une stratégie claire de sortie,
juge M. Delfraissy. Cela implique
des décisions, et pas seulement au
niveau français, mais au niveau
européen. »
Le sommet de l’Etat n’est pas le
seul à s’inquiéter d’un potentiel re­
lâchement du confinement. Pour
l’éviter, plusieurs communes ont
commencé à durcir les mesures mi­
ses en œuvre jusque­là. A partir de
mercredi, il devrait être ainsi inter­
dit de faire son jogging à Paris, en­
tre 10 heures et 19 heures, ont an­
noncé la maire de la capitale, Anne
Hidalgo, et le préfet de police, Di­
dier Lallement.
Certains élus, de leur côté, ne relâ­
chent pas la pression sur l’exécutif.
En matière de politique de gestion
des masques, la présidente de la ré­
gion Ile­de­France, Valérie Pécresse
(élue Libres !, divers droite), milite
ainsi pour que l’Etat définisse ce
qu’elle appelle des « zones d’équipe­
ment prioritaire », à savoir des por­
tions du territoire dans lesquelles
tous les agents effectuant des mis­
sions de service public – comme les
salariés du transport – seraient sys­
tématiquement équipés de mas­
ques de protection. Ces zones cor­
respondraient aux régions les plus
touchées comme l’Ile­de­France ou
le Grand­Est.
éric béziat,
paul benkimoun
et alexandre lemarié

Quelle proportion de la population
devrait télécharger l’application?
Pour être efficace, il faudrait que
des millions de Français l’aient dans
leur téléphone...
C. O. : Les études épidémiologiques
sont très diverses sur ce sujet. Or, nous
ne savons aujourd’hui ni si l’application
fonctionnera ni quelle sera la stratégie de
déconfinement. De ces deux éléments
dépendra évidemment la réponse à vo­
tre question. Ce que je tiens à rappeler,
c’est que nous ne travaillons pas sur un
autre principe que celui d’une installa­
tion volontaire de l’application.

Comment comptez­vous procéder
pour ceux qui ne disposent pas
de smartphone?
C. O. : La fracture numérique, qui con­
cerne près de 13 millions de nos conci­
toyens aujourd’hui, nous préoccupe évi­
demment. Nous travaillons sur diverses
possibilités d’aide à l’équipement, ou à
des alternatives aux smartphones pour
ceux qui n’en disposent pas. Et un cer­
tain nombre de paramètres sont pris en
compte sur l’ergonomie pour que l’appli­
cation soit simple à utiliser et accessible
aux personnes en situation de handicap.

Plusieurs membres du gouverne­
ment, vous compris, se déclaraient
il y a encore quelques jours opposés
à ces méthodes de tracking.
Pourquoi avoir changé d’avis?
O. V. : Je me suis déclaré très sceptique
sur l’utilisation d’un tracking numérique
avec un modèle qui informerait systéma­
tiquement de toute personne de votre
entourage ou de vos contacts présentant
des symptômes de la maladie.
Aujourd’hui, notre réflexion est sur
la base du volontariat. Elle est compati­
ble avec le droit européen des données
personnelles, avec des données
anonymisées. C’est une réflexion préli­
minaire pour savoir si des outils numé­
riques, dans des conditions conformes
à la tradition française de sécurité et de
garantie des libertés individuelles et
collectives, peuvent être un appui pour
les médecins dans une démarche
épidémiologique. Ne pas se poser la
question aujourd’hui, c’est prendre le
risque de ne pas être prêts demain, si
d’aventure on se rendait compte que
c’était nécessaire.

Selon la plupart des sondages,
les Français sont réceptifs à ce type
de mesures. La restriction des libertés
peut­elle être engagée dans la mesure
où ils y seraient favorables?
O. V. : C’est une question fondamentale.
Les Français ont accepté de renoncer
temporairement, le temps de l’épidémie,
à une part de liberté individuelle et
collective à travers le confinement. Le
civisme dont ils font preuve est tout sim­
plement remarquable. Il s’agit de sauver
des vies, et ils l’ont compris.
C. O. : Notre approche est respectueuse
des libertés publiques et proportionnée.
Nous agissons en toute transparence de­
puis le début de cette crise : ce à quoi nous
réfléchissons, et sur ce que sont nos dou­
tes. Par ailleurs, notre approche est évi­
demment temporaire. Le projet « StopCo­
vid » dont nous parlons n’a pas vocation à
aller au­delà de la crise sanitaire.

Une partie de la majorité comme
de l’opposition se tient vent debout
contre de telles mesures. N’allez­vous
pas fragiliser davantage une union
nationale déjà chancelante?
O. V. : Une partie de l’opposition et de la
majorité est opposée à une démarche qui
contreviendrait au respect de la vie pri­
vée, qui serait obligatoire et restreindrait
les libertés individuelles. Ce n’est pas ce
que nous faisons. Si nous ne menions pas
cette réflexion, et s’il s’avérait le moment
venu que cet outil était précieux dans la
lutte, les mêmes qui aujourd’hui nous
font un procès seraient les premiers à
venir nous dire que la France ne s’est pas
préparée. Nous avons une stratégie qui
est dans l’intérêt général et dans l’antici­
pation. Le reste, je laisse ça au débat poli­
tique, qui est légitime.

UN RELÂCHEMENT 


A ÉTÉ OBSERVÉ DANS 


CERTAINS ENDROITS, 


NOTAMMENT À PARIS, 


AU COURS DES DERNIERS 


JOURS, AVEC LE RETOUR 


DU BEAU TEMPS


Le corollaire à une application
de tracking est de pouvoir tester
la population. Où en sommes­nous
à ce niveau?
O. V. : Les tests sérologiques représen­
tent un enjeu majeur. C’est ce qui permet
de savoir si quelqu’un est immunisé ou
non contre la maladie. Nous avons des
pistes françaises intéressantes en ma­
tière de recherche et d’innovation.
Lorsqu’un produit avec une bonne sensi­
bilité et une bonne spécificité sera identi­
fié, on lancera les chaînes de production
massive pour être capables de faire face à
toute la demande.

Vous n’excluez pas le port obligatoire
du masque. La France en a­t­elle
les moyens?
O. V. : Nous n’avons pas attendu l’avis
de l’Académie de médecine ou d’organis­
mes internationaux. Le premier minis­
tre a annoncé, il y a plusieurs semaines,
que nous avions lancé une grande
stratégie nationale de production de
masques destinés aux non­soignants
avec les industries textiles, de papeterie,
etc. Nous avons une industrie produc­
tive et mobilisée.
La réflexion sur les masques destinés
au public est ouverte, je n’ai pas parlé
d’obligation. L’Organisation mondiale
de la santé considère d’ailleurs que re­
commander le port du masque fait
courir le risque de moins respecter les
gestes barrières.

Jean­François Delfraissy,
le président du conseil scientifique,
a évoqué un confinement prolongé
jusqu’à début mai. Qu’en est­il?
O. V. : Le conseil scientifique avait déjà
exprimé une piste concernant un confi­
nement durant six semaines. Ils sont
complètement fondés à le faire, mais cela
n’engage pas la décision politique. La
seule date que je peux vous donner, c’est
celle qui a été donnée par le premier mi­
nistre la semaine dernière, à savoir le
15 avril. S’il devait y avoir une prolonga­
tion du confinement, ce serait une an­
nonce d’une autorité politique, comme
cela a toujours été le cas.
propos recueillis par
françois béguin,
olivier faye,
chloé hecketsweiler,
et martin untersinger

« L’APPLICATION VOUS 


INFORMERA QUE VOUS 


AVEZ ÉTÉ EN CONTACT 


AVEC QUELQU’UN 


IDENTIFIÉ POSITIF 


AU SARS­COV­2 »
CÉDRIC O
secrétaire d’Etat au numérique
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