Le Monde - 09.04.2020

(Brent) #1

4 |coronavirus JEUDI 9 AVRIL 2020


0123


HOSPITALISATIONS PAR DÉPARTEMENT
pour 100 000 habitants

Martinique

Mayotte

La Réunion

Guadeloupe

Guyane

de 100 à 150

de 150 à 189

de 50 à 100
de 25 à 50
de 10 à 25
moins de 10

2 972 Petite couronne

(^816771)
29 871
7 004
19 336
18 mars 7 avril 18 mars 7 avril
RETOUR À DOMICILE
Personnes
hospitalisées
En réanimation
et en soins intensifs
DÉCÈS À L’HÔPITAL HOSPITALISATION
ET RÉANIMATION
depuis le 1er mars
7 091
0
2 500
5 000
7 500
10 000
12 500
15 000
COMPARATIF EUROPÉEN
Italie France
Allemagne Royaume-Uni
Espagne
Les données
commencent au 10e décès.
Jour 0 Jour 10 Jour 23 Jour 31 Jour 42
14 045 morts
en Espagne
17 127 morts
en Italie
10 328 morts
en France
6 171 morts
au Royaume-Uni
(jour 24)
2 016 morts
en Allemagne
Infographie Le Monde Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University
Chire comprenant 7 091 décès à l'hôpital et au moins 3 237 décès en Ehpad
Epidémie de Covid-19 : situation au 7 avril, 14 heures
De sombres modélisations pour l’Europe
Selon des chercheurs américains, l’épidémie pourrait faire 150 000 morts, dont près de 15 000 en France


L’


Italie et l’Espagne ont
passé le pic de leur épi­
démie de Covid­19 et
pourraient, au bout du
compte, avoir chacune un total
d’environ 20 000 morts. Le
Royaume­Uni n’en est pas encore
là et devrait être le pays où le
nombre cumulé de 66 000 décès
dus au SARS­CoV­2 serait de loin
le plus élevé dans l’Espace écono­
mique européen.
Cette zone de trente pays totali­
serait plus de 150 000 morts, soit
près du double du nombre de dé­
cès prédits aux Etats­Unis. La
France est en train d’atteindre
l’apogée du nombre d’infections
et pourrait déplorer un bilan d’en­
viron 14 500 décès.
Telles sont quelques­unes des
conclusions auxquelles sont par­
venus les chercheurs de l’Insti­
tute for Health Metrics and Eva­
luation (Institut de métrologie
médicale et d’évaluation, univer­
sité de Washington, Seattle). Ils les
présentent pays par pays sur leur
site, mardi 7 avril. Bien entendu,
comme toute modélisation et
prédiction, elles comportent une
part d’incertitude.
Ces chercheurs avaient précé­
demment effectué la même
étude sur les Etats­Unis, en la dé­
taillant Etat par Etat, autour de
deux volets : les besoins en res­
sources hospitalières (nombre de
lits hospitaliers, lits de soins in­

tensifs et de réanimation, respira­
teurs artificiels) et les décès prévi­
sibles. La base de leur modèle a été
la modélisation du pic des décès
et des ressources hospitalières
utilisées à Wuhan, la métropole
chinoise où le SARS­CoV­2 a été
identifié pour la première fois,
ainsi que sept villes ou régions
d’Espagne et d’Italie : Madrid, Cas­
tille­La Manche, Toscane, Emilie­

Romagne, Ligurie, Piémont et
Lombardie. Elles ont toutes déjà
dépassé l’apogée de la mortalité.
« Nous nous attendons à des se­
maines sombres pour les habi­
tants de nombreuses régions d’Eu­
rope », prévient le directeur de
l’IHME, Chris Murray.
Dans beaucoup de pays de cette
zone, le nombre de décès est ag­
gravé par les besoins en ressour­

ces hospitalières spécifiques – en
plus de celles nécessaires pour les
autres pathologies – qui dépas­
sent de loin celles qui sont dispo­
nibles. Ainsi, la demande en lits
d’hôpital au Royaume­Uni attein­
drait, à son maximum, quelque
102 000 lits alors que moins de
18 000 sont disponibles pour des
patients atteints du Covid­19,
24 500 lits en soins intensifs se­
raient nécessaires pour ces mala­
des quand 744 existent.

Des pays encore loin du pic
La France est moins mal lotie en
la matière, tous services confon­
dus : plus de 25 000 lits requis
pour les patients infectés par le
SARS­CoV­2 pour près de 75 000
existants mais, selon les calculs
de l’IHME, les lits de réanima­
tion disponibles pour les formes
graves de cette infection n’at­
teindraient que le nombre de
1 761 quand il en fallait 5 888 au
sommet de la demande, début
avril. Des chiffres qui ne cadrent
pas avec ceux fournis par Santé
publique France (SpF) selon les­
quels il y avait, au lundi 6 avril,
7 072 personnes hospitalisées
en réanimation, une augmenta­
tion de 478 patients en vingt­
quatre heures
La courbe du nombre de décès
quotidiens dans l’Hexagone de­
vait atteindre son apogée diman­
che 5 avril, avec 865 décès, avant

de décliner au long du mois
d’avril. Le bulletin de situation
quotidien mis à jour le 6 avril à
20 heures par SpF indiquait
833 décès, 605 recensés à l’hôpital
et 228 dans les établissements
d’hébergement pour personnes
âgées dépendantes (Ehpad).
Dans le bilan établi le 6 avril, le
ministère de la santé faisait état,
depuis le 1er mars, d’un total de
6 494 décès en milieu hospitalier
et 2 417 survenus en établisse­
ments sociaux et médico­so­
ciaux. Le total cumulé des décès
dus au Covid­19 en France attein­
drait un plateau à 14 572 morts
(ou, dans le pire des scénarios,
jusqu’à 27 727 décès) fin avril­dé­
but mai et ne devrait pas s’accroî­
tre jusqu’au 1er août, limite des
projections de l’IHME.
Parmi les pays qui approche­
raient leur pic épidémique,
l’IHME cite les Pays­Bas, l’Irlande,

l’Autriche et le Luxembourg. La
République tchèque et la Rouma­
nie seraient à mi­chemin dans
la phase ascendante. Le Royau­
me­Uni, l’Allemagne, la Norvège
et la Grèce seraient encore dans
une phase précoce de leur tra­
jectoire et devraient voir s’éle­
ver rapidement le nombre de
morts jusqu’au pic que ces pays
devraient atteindre au cours de
la deuxième ou troisième se­
maine d’avril.
« Sans conteste, il est évident que
la distanciation sociale, quand elle
est bien mise en œuvre et mainte­
nue, peut contrôler l’épidémie, en­
traînant une diminution du taux
de mortalité », affirme Chris Mur­
ray. Mais le directeur de l’IHME
met en garde contre l’assouplisse­
ment prématuré de ces mesures
durant ce qu’il qualifie de « pre­
mière vague » de la pandémie, es­
timant que cela conduirait à de
nouvelles infections, hospitalisa­
tions et à de nouveaux décès.
L’IHME considère que la fin de la
vague actuelle serait marquée
par un taux de 0,3 décès par mil­
lion d’habitants.
D’autres modélisations, éma­
nant d’équipes françaises, vont
être très prochainement disponi­
bles et leurs résultats pourront
être confrontés aux estimations
et prévisions de l’IHME. L’avenir
dira si elles avaient vu juste.
paul benkimoun

L’altération de l’odorat et du goût, marqueur important du Covid­


Ces symptômes, observés chez la quasi­totalité des patients européens, devraient aider à comprendre le fonctionnement du nouveau virus


D’


abord considérées
comme secondaires
ou anecdotiques, l’al­
tération ou la perte d’odorat et/
ou de goût, consécutives à l’in­
fection par le SARS­CoV­2, s’avè­
rent, en réalité, un marqueur im­
portant du Covid­19. C’est la con­
clusion majeure d’une étude
conduite par Jérôme Lechien
(Hôpital Foch, Suresnes) et Sven
Saussez (université de Mons,
Belgique), à paraître dans la re­
vue European Archives of Oto­
Rhino­Laryngology.
Ces travaux montrent que de
telles altérations sensorielles sur­
viennent dans 80 % à 90 % des cas
étudiés en Europe et régressent
rapidement pour près de la moi­
tié des sujets. Les chercheurs re­
crutent toujours des patients vo­
lontaires pour obtenir plus de
données sur le plus long terme.
Les auteurs ont interrogé
417 malades développant des
symptômes légers ou modérés
du Covid­19, issus d’une dizaine
d’hôpitaux européens. Respecti­
vement 85,6 % et 88 % rappor­
tent une altération de l’odorat ou

du goût, les femmes étant signi­
ficativement plus touchées que
les hommes.
La grande majorité des patients
ne présentant pas d’obstruction
nasale ont, également, connu de
telles manifestations de la mala­
die. Environ 12 % ont d’ailleurs
vu les perturbations de l’odorat
et du goût survenir avant les
autres symptômes de la maladie


  • toux sèche, fièvre, courbatures,
    troubles respiratoires. L’anos­
    mie (perte totale de l’odorat) et
    la dysgueusie (altération du
    goût) devraient ainsi être consi­
    dérées comme des marqueurs
    précoces de la maladie, plaident
    les auteurs.


Des relevés surprenants
Parmi les patients interrogés par
les auteurs de l’étude, 44 % ont
retrouvé l’odorat et/ou le goût
moins de deux semaines après
la fin des symptômes majeurs
de la maladie.
« La première chose surprenante
est le fait que ce coronavirus pro­
duise aussi fréquemment une
anosmie chez les patients. Ce n’est

pas quelque chose de commun
pour les autres maladies virales
qui produisent éventuellement ce
genre d’effet, explique l’oto­rhino­
laryngologiste Stéphane Hans,
coauteur de ces travaux. La se­
conde surprise est que ces anos­
mies puissent régresser aussi vite.
Là encore, c’est relativement inha­
bituel. Certains virus grippaux
peuvent par exemple induire des
anosmies irréversibles. »
Quant à la moitié des patients
touchés par le Covid­19 et n’ayant
pas rapidement recouvré l’odorat
ou le goût, « il est raisonnable de
penser qu’un grand nombre d’en­
tre eux retrouveront leurs fonc­
tions olfactives et gustatives dans
les semaines suivantes », écrivent
les chercheurs.
Si l’anosmie et la dysgueusie ap­
paraissent caractéristiques du Co­
vid­19 en Europe, tel ne semble
pas être le cas en Asie. « En Asie, se­
lon les données dont nous dispo­
sons, seuls 5 % environ des mala­
des étudiés jusqu’à présent présen­
taient de tels symptômes, précise
M. Hans. A l’heure actuelle, nous
ne connaissons pas les causes de

ces différences. Cela peut­être des
différences de génétique des popu­
lations, une fragilité plus impor­
tante des fosses nasales en Europe
ou encore, peut­être, le fait que le
virus a pu muter depuis le début de
sa propagation. »
L’intérêt des chercheurs pour
ces symptômes vient de ce qu’ils
pourraient révéler sur le fonc­
tionnement du nouveau corona­
virus. En se fondant sur la con­
naissance accumulée sur son
cousin le SARS­CoV­1 (qui a circulé
en Asie en 2002), certains cher­

cheurs font l’hypothèse qu’il
pourrait être neurotrope, c’est­à­
dire susceptible de s’attaquer au
système nerveux central. L’infec­
tion des neurones olfactifs et
peut­être du bulbe olfactif – la
zone du cerveau qui traite ces in­
formations – pourrait ainsi être
une explication à la perte de
l’odorat et du goût.
Non encore passés par le filtre
de la publication, des travaux
conduits par le neurobiologiste
Sandeep Robert Datta (Harvard
Medical School) plaident plutôt
contre cette hypothèse.

Les neurones pas attaqués
Selon M. Datta et ses coauteurs,
les neurones olfactifs n’expri­
ment pas les deux gènes clés qui
permettent au SARS­CoV­2 d’en­
trer dans la cellule pour l’infecter.
Deux autres types de cellules de la
muqueuse nasale (les cellules ba­
sales et les cellules dites de « sou­
tien ») expriment bel et bien ces
deux gènes et seraient ainsi sus­
ceptibles à l’infection. Le virus
pourrait ainsi altérer la fonction
olfactive sans s’attaquer aux neu­

rones, réduisant ainsi sa capacité
à s’en prendre au système ner­
veux central.
D’après M. Datta, les observa­
tions cliniques des chercheurs
européens sont « cohérentes »
avec son propre travail. « Il est in­
téressant de noter que de nom­
breux cas d’anosmie signalés
dans cet article n’étaient pas asso­
ciés à une congestion nasale, ob­
serve­t­il. Cela correspond au fait
que ce virus cible des types de cel­
lules spécifiques associés à la
fonction olfactive, ainsi que nous
le soulignons. »
De son côté, Stéphane Hans
note également la cohérence des
deux approches, clinique et mo­
léculaire. « La capacité, observée
chez de nombreux patients, à re­
trouver rapidement la fonction ol­
factive témoigne sans doute du
fait que ce ne sont pas les neuro­
nes eux­mêmes qui sont infectés,
car ils mettent longtemps à se re­
constituer, dit­il. Mais il faut de­
meurer prudent tant la physiolo­
gie fine de l’olfaction est encore
méconnue. »
stéphane foucart

Parmi
les malades
interrogés, 44 %
ont retrouvé
leurs sens moins
de deux semaines
après la fin
des symptômes
majeurs

Nombre de morts du Covid-19 cumulés, en milliers

Prévisions de l’institut américain IHME*


sur l’épidémie de Covid-19 en France


Infographie : Le Monde Source : *Institute for Health Metrics and Evaluation

0

4

2

8

6

10

12

14

16

18

1 er mars 1 er avril 1 er mai 1 er juin 1 er juillet 1 er août

prévisions

Au 4 août, le total de morts du Covid-
est estimé à 14 572 personnes.

6 494 morts
au total
au 6 avril

Dans beaucoup
de pays
du continent, le
nombre de décès
est aggravé par
des ressources
hospitalières
insuffisantes
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