16 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mardi 7 Avril 2020
Expresso
Bruno Le Maire, vendredi dans son bureau à Bercy. Photo Éric Dessons. JDD. SIPA
U
ne économie fran-
çaise en lambeaux.
Voici le tableau
dressé lundi matin devant le
Sénat par Bruno Le Maire. Se-
lon le ministre de l’Econo-
mie, la France devrait connaî-
tre la pire récession de son
histoire depuis 1945. «Le chif-
fre de croissance le plus mau-
vais qui ait été fait par la
France depuis 1945, c’est
en 2009 après la grande crise
financière : - 2,2 %, a rappelé
le patron de Bercy auditionné
Par
Lilian Alemagna
PIB, la France va crever le plancher
Le record de 2009
(- 2,9 %) va être
pulvérisé en 2020,
où certains
envisagent déjà
une récession
à deux chiffres,
du jamais-vu
depuis 1945.
- 1,4 point de PIB en 2020 pour
l’Europe selon le degré de
contagion et les mesures mises
en place», pouvait-on lire
dans le «rapport sur l’évolu-
tion de la situation économi-
que et budgétaire» placé en
préambule de cette loi.
Mais depuis, d’autres estima-
tions ont fleuri : pour l’Insee,
un mois de confinement coû-
terait environ 3 points de PIB
à la France sur un an, 6 points
pour deux mois.
Fin mars, l’Ob-
servatoire français
des conjonctures économi-
ques (OFCE) avait calculé une
perte de PIB à - 2,6 points sur
un an. «C’est une situation
complètement incroyable [...],
sans commune mesure avec
les chocs qu’on a pu connaî-
tre», avait lancé son prési-
dent, Xavier Ragot. Bruno
Le Maire avait donc déjà,
devant la presse, évoqué une
«situation comparable
à 1929». Dans ses prévisions,
la banque Unicredit est cette
semaine encore plus apoca-
lyptique, prévoyant pour la
France un PIB en chute de
13,8 points en 2020. Le pays
serait dans la moyenne de la
zone euro (- 13 %), mais ferait
moins bien que l’Allemagne
(- 10 %). En revanche, selon le
groupe bancaire italien, le re-
bond serait spectaculaire
en 2021 : la croissance du
PIB pourrait être de + 11,6 %
(+ 10 % pour la zone euro).
Mais dans les rangs de la ma-
jorité, pas question de fan-
faronner sur la suite. «Tant
qu’on n’a pas de vision claire
du déconfinement, on n’a pas
de vision claire du redémar-
rage de l’économie, souligne le
rapporteur général du bud-
get, Laurent Saint-Martin, in-
terrogé par Libération. Il faut
se préparer à une récession
extrêmement lourde et savoir
accompagner notre écono-
mie.» Pour le député LREM
du Val-de-Marne, s’il y a une
raison d’être «optimiste», elle
tient à la spécificité de cette
crise : «Contrairement à un
choc financier, on a volontai-
rement appuyé sur le bouton
stop. Donc normalement, on
devrait pouvoir maîtriser le
redémarrage.» En revanche,
prévient-il, cela ne se fera pas
sans casse. «Nous allons tout
faire pour que le nombre de
par la commission des affai-
res économiques. Nous serons
vraisemblablement très au-
delà. [...] C’est dire l’ampleur
du choc économique auquel
nous sommes confrontés.» Et
encore, Le Maire avait repris
un chiffre issu d’une pre-
mière évaluation. Peu après,
ses équipes ont corrigé, rap-
pelant qu’à l’époque, la réces-
sion avait été de - 2,9 %.
Après trois semaines de
confinement, le
gouvernement de-
vient donc bien
plus réaliste quant aux
conséquences de la mise à
l’arrêt de l’économie française
et mondiale. Dans sa loi de fi-
nances rectificatives votée
en urgence mi-mars, l’exécu-
tif estimait à (à peine) - 1 %
en 2020 le «choc négatif lié à
l’épidémie de coronavirus».
«L’impact économique [...] est
cohérent avec les évaluations
publiées en mars par l’OCDE
et la BCE, qui estiment un
choc négatif allant de - 0,2 à
Analyse
faillites et donc de pertes
d’emplois soit le plus faible
possible, assure-t-il, mais il ne
faut pas se leurrer, il y en
aura.» «Bruno Le Maire a rai-
son au plan de la comptabilité
immédiate : la chute de PIB
va être supérieure à celle
de 2009, abonde celui qui
était rapporteur général du
budget à l’époque, le député
LR Gilles Carrez. La question
réside dans les phénomènes de
rattrapage qu’on ne sait pas
encore mesurer. Il va donc
falloir réfléchir à des moyens
pour aller au-delà de simples
mesures de trésorerie : des
prêts à moyen terme adossés
à la collectivité publique et la
mise en place de quasi-fonds
propres.»
Le gouvernement a pourtant
déjà sorti une partie de son
artillerie : 8,5 milliards d’eu-
ros pour financer le chômage
partiel, 2 milliards pour un
Fonds de solidarité à destina-
tion des petites entreprises
et des indépendants, report
des versements de cotisa-
tions sociales et du paiement
des impôts, garantie bancaire
d’Etat à hauteur de 300 mil-
liards... Mais le tout est fi-
nalement bien inférieur aux
besoins. «Rien que sur le
chômage partiel, on aura
consommé en un mois ce
que nous avions budgété pour
deux», fait remarquer Saint-
Martin. Résultat, l’exécutif
devrait déposer un nouveau
projet de loi de finances
rectificative. Avant un troi-
sième texte qui pourrait,
selon le rapporteur général,
«intervenir en juin-juillet» et
contenir de premières me-
sures de relance.
Avec une promesse faite par
Le Maire : le gouvernement
ne reviendra pas sur les en-
gagements qu’il a déjà pris
(suppression totale de la taxe
d’habitation notamment).
Et même s’il a convenu qu’à
l’automne 2020, à l’occasion
de l’examen du budget 2021,
il sera temps de «redébattre»
de politique fiscale, le mi-
nistre des Finances a répété
lundi que ce n’était «pas une
bonne idée de vouloir relan-
cer la machine économique
en augmentant les impôts».
Et comme on n’imagine pas
Emmanuel Macron, après
ses différentes allocutions,
s’engager dans un plan d’éco-
nomies drastiques, il faut
donc s’attendre à d’autres re-
cords en termes de dette et
de déficits.•
«Il ne me reste plus que 90 euros,
je ne sais pas comment je vais
faire» Chaque jour, Libé donne la parole
à des confinés de tout poil. Chacun envoie une photo «de
dedans». Aujourd’hui, Ehsan, 32 ans. Cet ancien traducteur
de l’armée française en Afghanistan, arrivé en France avec un
visa en novembre, est depuis SDF. Il s’est réfugié en banlieue
parisienne dans le studio de 8 m^2 d’un ami et compatriote,
et n’a «pas de nouvelles de [sa] carte de séjour». Photo DR
LIBÉ.FR
«Contrairement
à un choc
financier, on a
volontairement
appuyé sur le
bouton stop.
Donc, on
devrait pouvoir
maîtriser le
redémarrage.»
Laurent Saint-Martin
rapporteur général
du budget