Libération - 07.04.2020

(Nancy Kaufman) #1

18 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mardi 7 Avril 2020


L'œil de Willem


qu’ailleurs. Les inégalités socia-
les et territoriales se trouvent im-
briquées.
La population de notre départe-
ment a régulièrement été pointée
du doigt pour sa supposée «négli-
gence» dans l’application des me-
sures de distanciation sociale.
Les plus riches qui ont fui l’Ile-
de-France pour rejoindre leur ré-
sidence secondaire n’écopent pas
d’amende pour manque de vigi-
lance dans la propagation du vi-
rus mais les jeunes des quartiers
populaires qui ont mis quelques
jours avant de rester confinés
chez eux et de ne plus sortir de-
hors n’ont pas échappé aux
amendes. Contrairement aux
idées reçues, les habitants de la
Seine-Saint-Denis respectent,
comme les autres, la discipline
de confinement. Le préfet lui-
même l’a rappelé. Nous regret-
tons que des reportages pointent
du doigt les populations du 93,
présentées comme décidément
incapables de respecter les règles
de la République, alors même
que c’est la République qui ne
tient pas sa promesse d’égalité...
Les quartiers populaires ne sont
pas à égalité de situation devant
le confinement. La surpopulation
de nombreux logements, quand
ces derniers ne sont pas carré-
ment insalubres, rend l’expé-
rience particulièrement éprou-
vante pour des milliers de
familles. Combien de personnes
âgées se sont-elles déjà retrou-
vées confinées chez elles à cause
des pannes récurrentes d’ascen-
seurs? Quant au télétravail,
il n’est pas la norme dans le dé-
partement le plus pauvre de la
métropole. Aides-soignantes,
caissières, éboueurs, livreurs,
femmes de ménage, ouvriers sont
appelés à tenir bon et à poursui-
vre leur activité, au risque d’attra-
per le virus et de contaminer
leurs proches. Les images du quai
bondé du RER B cette semaine
donnent à voir cette réalité et une
dangereuse promiscuité. C’est
ainsi qu’est décédée jeudi dernier
Aicha Issadounène, 52 ans, em-
ployée et syndicaliste dans un
Carrefour de Saint-Denis. Proté-
ger celles et ceux qui travaillent
pour assurer l’indispensable et
cesser toutes les activités non es-
sentielles est absolument vital,
notamment pour les populations
de notre territoire.
La fracture éducative, nourrie par
celle du numérique, va quant à
elle laisser des milliers de jeunes
sur le carreau. Et concernant les
structures de soin, certains redé-
couvrent combien elles sont dra-
matiquement sous-armées :
le département compte trois fois
moins de lits en réanimation que
les Hauts-de-Seine, et 37 villes
sur 40 sont déclarées déserts
­médicaux par l’ARS.
Face à la crise sanitaire, le désen-
gagement massif de l’Etat depuis
des décennies nous saute à la
gorge. Loin d’être le «territoire
perdu» que certains fantasment
de l’autre côté du périphérique, le
département de la Seine-Saint-

Par
Clémentine
aUTAIN,
Marie-george
Buffet,
éric coquerel,
aLEXIS
corbière,
Bastien
Lachaud,
sTÉPHANE PEU
et Sabine Rubin
Députés de la Seine-Saint-Denis

Denis prend aujourd’hui plus que
sa part dans la lutte contre la pan-
démie. Ses habitants sont parmi
les premiers à subir les effets de
notre impréparation nationale. Le
Covid-19 amplifie aujourd’hui des
inégalités territoriales déjà gon-
flées par des années de néolibéra-
lisme et d’austérité. Les catégories
populaires seront les premières
menacées par la crise économi-
que qui pointe, et la fermeture des
services sociaux, des banques ali-
mentaires, agrandit encore un
peu plus le trou dans la raquette
d’un maillage social qui permet
pourtant à beaucoup de «tenir».
Pour résister à la pandémie, la
Seine-Saint-Denis a pour elle sa
jeunesse, son dynamisme et la
formidable solidarité qu’elle s’est
forgée. Nous sommes impres-
sionné·e·s par l’énergie et la créa-
tivité qui se déploient pour assu-
rer une solidarité. Les initiatives
d’entraide se multiplient, portées
par des citoyens qui ont grandi
avec l’amère conviction qu’ils ne
peuvent compter que sur eux-mê-
mes, puisque l’Etat et ses services
publics ont déserté. Depuis des
années, associations, citoyens, et
élus, nous nous battons pour ob-
tenir de l’Etat un plan d’urgence à
la mesure des inégalités territo-
riales que nous éprouvons cha-
que jour.
Le département de la Seine-Saint-
Denis, avec ses villes mondes et
son formidable maillage associa-
tif, ses fonctionnaires compétents
et engagés, se révèle donc avec
ses forces et ses fragilités, en tout
cas très loin de la caricature vio-
lente à laquelle beaucoup vou-
draient le réduire. Nous tiendrons
le choc, coûte que coûte, puisque
nous n’en avons pas le choix. Mais
dès maintenant, nous rappelons
l’Etat à ses engagements. De l’hô-
pital à l’école, en passant par le lo-
gement, la pandémie agrandit
des fractures sur lesquelles nous
n’avons eu de cesse d’alerter, et
qu’il devient chaque jour plus vi-
tal de colmater.
Il faut conjurer le pire. Et pour
cela, commencer à changer de re-
gard pour basculer, tout de suite,
dans le monde d’après, celui qui
sera soucieux d’égalité et de jus-
tice sociale. Nous avons la convic-
tion que pour penser les normes
nouvelles d’une société refondée
post-Covid-19, la Seine-Saint-De-
nis est un point de repères uni-
versels et un atout dans la
reconstruction.•

Idées/


Covid-19, miroir des


inégalités territoriales


et sociales dans le 93


La Seine-Saint-Denis


est un des


départements


les plus touchés par


l’épidémie : décès en


forte hausse, manque


cruel d’équipements


sanitaires,


surpopulation


dans de nombreux


logements.


L’Etat doit s’engager.


N


otre société n’a pas
changé de regard sur la
Seine-Saint-Denis et nous
payons cher des décennies de
rupture d’égalité. La crise sani-
taire que nous traversons révèle
les inégalités sociales et territo-
riales. Quant à l’engorgement
déjà constaté des hôpitaux, mal-
gré le formidable engagement du
personnel soignant, il braque une
lumière tragique sur l’importance
de nos alertes répétées.
Entre les 21 et 27 mars, les décès

ont bondi de + 63 % en Seine-
Saint-Denis par rapport à la se-
maine précédente. Bien plus que
dans les autres départements
d’Ile-de-France. Il faut dire que
non seulement les personnes qui
travaillent, et donc restent expo-
sées, sont plus nombreuses
qu’ailleurs dans notre départe-
ment mais les cas d’obésité, de
diabète et de maladies cardiovas-
culaires, qui rendent plus fragiles
face au Covid-19, y sont aussi net-
tement plus nombreux
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