Les Echos Mardi 7 avril 2020 ENTREPRISES// 17
longues et complexes. « Pour un
stockage actif, il faut compter environ
150 heures de main-d’œuvre selon le
type d’avion, en incluant le temps
nécessaire pour sa remise en service,
précise G éry Mortreux. Pour un stoc-
kage prolongé, il faut compter environ
800 heures. » Au total, un millier de
salariés de la maintenance Air
France restent ainsi mobilisés sur le
terrain, essentiellement pour ces
opérations. Air France n’en est heu-
reusement qu’à la phase 2 de stoc-
kage actif. « Nous préparons nos
appareils pour un arrêt complet d’un
à trois mois, indique Géry Mortreux.
Nous avons commencé il y a quinze
jours et nous d evrions a voir fini vers la
fin de la semaine prochaine. » Sur les
180 appareils long et moyen-cour-
riers, 125 sont à Roissy-CDG, 37 à
Orly et 10 au centre de maintenance
de Toulouse.
10 % à 20 % de carburant
dans les réservoirs
« Nous avons aussi 8 appareils qui
étaient partis chez des sous-traitants
pour des opérations de maintenance
ou de peinture et qui y sont encore »,
précise-t-il. La crise sanitaire a en
effet interrompu tous les travaux de
maintenance et de réaménagement
des cabines, afin de ne pas exposer
inutilement les salariés.
Les préparatifs de stockage com-
mencent, comme pour le simple
parking, par la mise en place des
Une fois mis sous cocon, les appa-
reils ne restent pas livrés à eux-mê-
mes. « Une visite de vérification des
protections est faite tous les sept à
quinze jours selon les flottes, avec un
test du conditionnement d’air et des
drains. Et tous les quinze à trente
jours, nous procédons à des tests des
commandes de vol, des systèmes élec-
triques et hydrauliques ainsi que des
moteurs et de l’APU. »
Anticiper la reprise
Les opérations de déstockage sont
globalement plus rapides – de
l’ordre d’une cinquantaine d’heu-
res, voire plus selon les types d’avi-
ons et la durée de stockage –, mais
doivent être anticipées. « Avant de
remettre l’avion en service, nous
devons nous assurer que les tâches
d’entretien réglementaires ont été
réalisées, afin de ne pas avoir à l’arrê-
ter quelques jours après », explique
Géry Mortreux. Compte tenu de ces
contraintes, le déstockage des pre-
miers appareils commencera pro-
bablement dès la fin du mois d’avril,
pour un retour en service en mai.
Reste à savoir si tous ces avions
reprendront la voie des airs. « Aucun
stockage prolongé n’est prévu »,
affirme Géry Mortreux. Mais cer-
tains s’interrogent sur une éven-
tuelle sortie anticipée des A340 et de
certains A380, en cas de reprise trop
lente du trafic, qui nécessiterait une
réduction durable de la capacité.n
Comment Air France s’y prend
pour stocker 180 avions inutilisés
Bruno Trévidic
@BrunoTrevidic
Chez Air France, il n’y a pas que les
salariés q ui sont confinés. Les avions
aussi! Avec l’arrêt de 95 % des vols, la
compagnie a en effet dû immobiliser
180 avions sur 224, pour ne conser-
ver que le strict nécessaire aux vols
de rapatriements, à quelques lignes
essentielles et au transport de fret.
Un défi sans précédent pour les ser-
vices de maintenance d’Air France,
qui ont dû préparKer les appareils à
un sommeil de plusieurs semaines,
comme le raconte le directeur géné-
ral adjoint engineering & mainte-
nance d’Air France, Géry Mortreux.
« On distingue trois niveaux de
stockage selon la durée, explique-t-il.
Le parking normal, pour u ne durée de
deux à quatre semaines, le stockage
actif, pour un à trois mois, et le stoc-
kage prolongé, au-delà de trois mois. »
Avec, dans chaque cas, des recom-
mandations à appliquer p our les avi-
ons et les motoristes, plus ou moins
Avec seulement 5 %
de son programme de vol
maintenu, Air France
a entrepris de stocker
l’essentiel de sa flotte long
et moyen-courriers
pour une durée d’au moins
un mois. Une opération
totalement inédite
à cette échelle.
« Il faudra baisser
la fiscalité
sur les billets d’avion »
L
e président de l’Union des
aéroports français, Tho-
mas Juin, plaide pour une
action proactive des pouvoirs
publics, afin de permettre aux
compagnies aériennes et aux
aéroports français d’affronter
une concurrence a ccrue lors de la
reprise du trafic aérien.
Quel est le niveau d’activité
des aéroports français?
Roissy-CDG, Nice, Toulouse,
Lyon et Marseille maintiennent
encore un semblant d’activité,
mais il s’agit essentiellement de
vols cargo et de rapatriements.
D’autres, comme Orly, n’ont plus
de vol commercial, mais conser-
vent une activité liée à la gestion
de la crise, pour des vols sanitai-
res ou gouvernementaux.
D’autres, enfin, sont fermés, mais
ont la possibilité de rouvrir en
une ou deux heures, si besoin.
Quel pourrait être l’impact
financier de la crise?
Si l’on se réfère à l’an dernier, la
perte de trafic est de 18,7 millions
de passagers pour le seul mois
d’avril. Les a éroports se s ont r api-
dement efforcés de réduire leurs
dépenses. Mais les coûts fixes
sont très i mportants, de l’ordre de
80 % des coûts globaux. Même
avec le recours au chômage par-
tiel, les pertes resteront abyssa-
les. Pour un grand aéroport
régional, on peut s’attendre à plus
de 30 millions de p erte nette dans
l’hypothèse d’une reprise d’acti-
vité à l’été. A l’échelle nationale, le
manque à gagner pour les aéro-
ports et leur écosystème se chif-
frera en milliards d’euros.
Les mesures gouverne-
mentales de soutien
au transport aérien
sont-elles satisfaisantes?
Les reports de paiement de taxes
et de r edevances vont u n peu sou-
lager la trésorerie des compa-
gnies aériennes. C’est une bonne
chose, mais cela n’aura aucun
impact sur les coûts de touchée
(temps d’immobilisation au sol,
NDLR). En particulier, la fiscalité
sur les billets d’avion reste
inchangée. Par ailleurs, avec la
baisse du trafic, le financement
de la sûreté qui, en France, est à la
charge des passagers, n’est plus
assuré. Pour rétablir l’équilibre, il
faudrait augmenter les redevan-
ces. A la reprise des vols, les com-
pagnies françaises risquent donc
de se retrouver avec des coûts de
touchée plus élevés, mais avec
moins de passagers et moins de
recettes, dans un contexte de
concurrence accrue.
Comment voyez-vous
la sortie de crise?
Une crise d’une telle ampleur
sera n écessairement suivie d’une
baisse de la connectivité
aérienne en Europe. Au redé-
marrage, les compagnies se
concentreront sur les lignes les
plus rentables. Or le niveau de
connectivité a une incidence
directe sur l’attractivité écono-
mique d’un pays. Il faudrait donc
que le gouvernement baisse la
fiscalité sur le transport aérien,
afin d’encourager les compa-
gnies à reprendre leurs pro-
grammes de vols aussi large-
ment que possible. Quand le
transport aérien lutte pour sa
survie, il serait choquant que le
gouvernement maintienne des
taxes comme taxes dites de
« solidarité » et « l’écocontribu-
tion », destinées à financer
d’autres secteurs.
— Propos recueillis par B. T.
THOMAS JUIN
Président
de l’Union des
aéroports français
tion pourrait bientôt céder la place à
une seconde phase plus doulou-
reuse : celle de l’adaptation à l’effon-
drement de la demande d’avions
neufs. Avec, à la clé, une révision à la
baisse des cadences de production et
des objectifs de livraisons.
« Discussions »
avec les compagnies
Pour l’heure, ni Airbus ni Boeing
n’ont encore dévoilé l’impact de la
crise sur les livraisons et leurs car-
nets de commandes. Lors d’une
conférence de presse, le 23 mars, le
PDG d’Airbus, Guillaume Faury,
reconnaissait que des « discussions »
étaient en cours avec les compagnies
pour reporter ou annuler des com-
mandes. Mais il assurait qu’il était
encore « trop tôt pour donner plus de
précisions ». Le patron d’Airbus
insistait alors sur sa volonté de pour-
suivre la production sur l’ensemble
des sites de l’avionneur, fût-elle au
ralenti. Du côté de Boeing, en revan-
che, le choix est différent. L’avion-
neur a en effet décidé de prolonger,
pour une durée non précisée, la fer-
meture de ses sites de l’Etat de
Washington, décidée pour 15 jours,
le temps de mettre en place les
mesures sanitaires. Après la chaîne
d’assemblage du 737 MAX, à l’arrêt
depuis janvier, c’est donc la produc-
tion de long-courriers – 777, 767, 747
et une partie de 787 – qui restera en
sommeil. Pendant cette période, la
production d’avions commerciaux
se limitera à la douzaine de 787
assemblés à Charleston.
Si Boeing a pris cette décision, ce
n’est pas par crainte du virus, mais
plutôt pour ne pas voir d’autres
appareils s’ajouter aux quelque 400
B737 MAX en attente de livraison.
En effet, cette mesure est interve-
nue juste après l’annonce de l’annu-
lation d’une commande d e
75 Boeing 737 MAX et de quatre
Airbus A330 par le loueur d’avions
Avolon. Une annulation qui sera
probablement la première d’une
longue série. Comme le soulignait
récemment le directeur de l’Iata,
Alexandre de Juniac, « je ne connais
personne qui soit prêt à prendre des
avions supplémentaires d ans les p ro-
chains mois, neufs ou d’occasion ».
« La seule chose qui retient les c om-
pagnies aériennes d’annuler [...] est la
crainte de perdre les avances déjà ver-
sées, explique un expert. Pour les a vi-
ons déjà en cours de fabrication, les
compagnies ont versé 30 % à 40 % du
prix et n’ont donc pas la possibilité
d’annuler. Sauf à avoir un motif légi-
time, c omme pour les 73 7 MAX. Mais
dans la plupart des cas, elles peuvent
seulement tenter d’obtenir un report
de livraison. C ’est ce qui p rotège provi-
soirement Airbus ».
Provisoirement, car la perte des
avances n’est vraiment dissuasive
que pour les appareils déjà en pro-
duction, livrables dans les six pro-
chains mois. Par ailleurs, les avances
ne protègent pas contre les faillites
de compagnies aériennes. Il est donc
possible que le plus gros de la vague
d’annulations arrive bien après la fin
de la pandémie. Surtout si celle-ci
débouche sur une récession écono-
mique mondiale.
Une production à réduire
de moitié?
D’où les réflexions en cours chez Air-
bus, concernant une possible réduc-
tion durable de la production. Selon
l’ancien directeur commercial d’Air-
bus, Eric Schulz, cité dans une note
de Citi, l’avionneur européen pour-
rait être contraint de réduire sa pro-
duction à 30 à 35 A320 monocou-
loirs par mois, au lieu de 60 avant la
crise, d’ici à 2023. Selon lui, les
reports ou annulations de mono-
couloirs pourraient représenter
entre 100 et 200 appareils en 2020
et 2021. Pour les l ong-courriers, pour
lesquels la demande marquait déjà
le pas depuis deux ans, Eric Schulz
suggère une réduction de 30 % à
50 % de la production d’Airbus.
Pour l’heure, l’avionneur s’est
contenté de suspendre la produc-
tion d’A320 de Mobile jusqu’ au
29 avril. Toutefois, une baisse plus
importante serait gérable pour Air-
bus. A condition de pouvoir recourir
à des mesures de chômage par-
tiel. Quant à la solution, évoquée par
certains, d’un soutien public aux
achats d’avions neufs et moins pol-
luants, elle ne serait pas de nature à
convaincre les compagnies. Même
achetés par un autre et loués à bon
prix, les avions doivent être remplis
pour être rentables. Or ce qui man-
que le plus en ce moment, c e sont d es
passagers. —B. T.
(
Lire nos informations
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Airbus et Boeing redoutent une vague d’annulations
et de reports de commandes
Si les compagnies aériennes o nt déjà
pris de plein fouet l’impact de la pan-
démie sur leur activité, Airbus et
Boeing, ainsi que toutes les entrepri-
ses de l’aéronautique civile, sont les
prochains sur la trajectoire de la
vague. Jusqu’à présent, les deux avi-
onneurs et leurs sous-traitants ont
essentiellement dû gérer la mise en
place des mesures de sécurité sani-
taires sur leurs sites industriels.
Mais cette première phase d’adapta-
Après une phase
d’adaptation aux mesures
de sécurité sanitaires,
les deux avionneurs
risquent de faire face
à des annulations et reports
de commandes. Boeing
a déjà pris les devants
en prolongeant la ferme-
ture de ses principaux sites
de production. Airbus
n’a pas encore tranché.
Il a dit
« Pour un grand
aéroport régional,
on peut s’attendre
à plus de
30 millions
de perte nette
dans l’hypothèse
d’une reprise
d’activité à l’été. »
Xavier Leoty/AFP
Sur les 180 appareils long et moyen-courriers mis en sommeil par Air France, 125 sont à Roissy-CDG, 37 à Orly et 10 au centre
de maintenance de Toulouse. Photo Charles Platiau/Reuters.
protections sur toutes les ouvertu-
res, comme les entrées d’air des
moteurs et les sondes, ainsi que sur
les roues, les pneus et les freins.
« Nous procédons également au net-
toyage de certaines zones, comme les
trains d’atterrissage, ainsi qu’à une
inspection générale de l’avion. »
A ces opérations de base s’ajou-
tent, en cas de stockage actif, des
opérations de « sécurisation » des
commandes de vol, des éléments de
voilure, du système de conditionne-
ment d’air et du système hydrauli-
que. « Nous réalisons aussi des opéra-
tions de graissage des commandes de
vol et des éléments de voilure, ainsi q ue
des mesures destinées à lutter contre
la corrosion, en commençant par
vérifier les drains », détaille le direc-
teur de la maintenance d’Air France.
« Nous plaçons des déshumidifica-
teurs dans les cabines et nous recou-
vrons de protection certaines zones
non peintes. » Les réservoirs de car-
burant sont remplis à 10 % ou 20 %,
pour « éviter l’assèchement des joints,
qui peut occasionner des fuites ».
800
HEURES DE MAIN-D’ŒUVRE
sont nécessaires pour préparer
un appareil à un stockage
prolongé.