passé de près de 110.000 vols com-
merciaux par jour à 26.000 vols en
ce début de semaine. Soit l’équiva-
lent de 15 ans de croissance effacée
en quelques semaines. Et le trans-
port aérien n’a probablement pas
encore touché le fond. Car si
l’Europe est aujourd’hui la plus tou-
chée, avec plus de la moitié de ses
compagnies aériennes à l’arrêt et un
effondrement du trafic de 86 %, la
crise ne fait, semble-t-il, que com-
mencer aux Etats-Unis, où la baisse
de trafic n’était « que » de 21 % en fin
de semaine dernière.
Des pertes abyssales
Le transport aérien est coutumier
des crises. Mais aucune n’avait
approché, même de loin, une telle
ampleur, depuis le déclenchement
de la Seconde Guerre mondiale. Le
11 septembre 2001 s’était seulement
traduit par une baisse du trafic de
6 %. Au pire de la crise du SRAS, en
avril 2003, le trafic mondial avait
chuté de 15 % à 25 %, pour terminer
l’année en recul de 1 % seulement. En
2009, le virus H1N1, ajouté à la crise
financière de 2008, s’étaient traduit
par une baisse de 3,5 %. Mais cette
fois, la baisse du trafic mondial sur
l’année 2020, pourrait atteindre
38 %, selon la dernière estimation de
l’Association internationale du
transport aérien (Iata) et même 43 %
en Europe.
Les pertes des c ompagnies
aériennes s’annoncent tout aussi
abyssales. Pour l’heure, aucune esti-
mation n’est disponible. L’Iata évo-
que un manque à gagner qui devrait
atteindre 252 milliards de dollars en
2020, soit environ 30 % du chiffre
d’affaires de 2019 (883 milliards de
dollars). Mais le précédent record de
2008, qui s’était soldé par une perte
nette cumulée de 16,8 milliards de
dollars pour un chiffre d’affaires en
recul de 17 %, sera sans aucun doute
pulvérisé.
Selon l’Iata, la différence entre ce
qui reste de recettes aux compagnies
aériennes et leurs coûts résiduels se
traduirait déjà par une perte nette de
39 milliards de dollars pour le seul
deuxième trimestre 2020. La perte
du deuxième trimestre s’élèverait
même à 61 milliards de dollars, en
intégrant les dépréciations d’actifs et
fin d ’ici u n à deux mois avec le retour
des beaux jours, le trafic aérien res-
terait en baisse de 45 % au troisième
trimestre e t de 10 % au quatrième tri-
mestre. Même chose dans les autres
régions du globe, où le trafic ne
devrait pas retrouver son niveau
d’avant-crise avant 2021.
Le trafic « affinitaire »
sera le moteur de la reprise
Certains analystes sont moins opti-
mistes. Dans sa note du 1er avril, UBS
ne prévoit pas de retour à la normale
avant 2022. D e son côté, HSBC a ima-
giné trois scénarios pour les compa-
gnies européennes. Le plus opti-
miste table sur une offre quasi-nulle
en avril et en mai, avec une reprise à
50 % en juin et en juillet, à 70 %
d’août à novembre et un retour au
niveau d’avant la crise en décembre.
Dans le scénario le plus sombre, la
période d’hibernation se prolonge-
rait jusqu’en juillet inclus, suivie par
une reprise à 30 % d’août à octobre et
à 50 % en novembre et décembre.
Un sondage informel réalisé par
le cabinet d’étude spécialisé dans le
voyage OAG auprès de 5.000 partici-
pants à ses deux récentes webconfé-
rences sur l’impact de la crise,
apporte une vision intermédiaire.
La majorité de ces professionnels et
experts du secteur ne voit pas de
retour à la normale du voyage
d’affaires, cœur de cible des compa-
gnies, avant au mieux, l’an prochain,
du fait des conséquences économi-
ques globales de la pandémie. En
revanche, une petite majorité des
sondés mise sur un retour plus
rapide du trafic loisir, basé sur le tra-
fic « affinitaire » et les promotions
tarifaires qui ne manqueront pas de
se multiplier à la reprise.
Toutefois, même dans les scéna-
rios les plus sombres, personne ne
veut croire que la croissance du
transport aérien serait durablement
enrayée. L’hypothèse d’un double-
ment du trafic aérien sur les 15 pro-
chaines années n’a pas été démentie
à ce stade. Quant aux conséquences
financières de la crise, il faut se sou-
venir que dans ce secteur, les remon-
tées sont souvent aussi rapides que
les descentes. Les pertes record
de 2008 et 2009 avaient été suivies
par un bénéfice record en 2010.n
lDepuis début avril, la plupart des compagnies aériennes européennes sont quasiment à l’arrêt.
lLe secteur n’avait pas connu pareil coup de frein depuis 1940, et le retour à la normale n’est pas attendu
avant 2021, voire 2022.
L’ incroyable descente aux enfers
du transport aérien mondial
Bruno Trévidic
@BrunoTrevidic
Pour mesurer l’énormité de la crise
qui bouleverse le transport aérien, il
suffit de jeter un œil sur les sites de
suivi des vols en temps réel. Lundi
matin, vers 10 heures, seulement
7 avions de passagers volaient dans
ciel français, dont 2 à destination de
Paris-CDG, contre plus d’une cen-
taine en temps ordinaire.
Air France et KLM n’avaient que
18 vols en cours à travers le monde,
contre près de 2.000 par jour l’an
dernier à la même époque. Qatar
Airways alignait plus de vols au
départ de l’Europe qu’A ir France. Et
vendredi dernier, la première com-
pagnie européenne n’était plus
Ryanair, mais la petite compagnie
régionale norvégienne Wideroe
- avec 192 vols prévus ce jour-là,
contre 20 pour la low cost irlandaise
et 109 pour le groupe Lufthansa.
Et c’est partout pareil! En un
mois, le trafic aérien mondial est
AÉRIEN
CORONAVIRUS
semaine dernière, prévoit de leur
octroyer 25 milliards de dollars
d’aide directe pour payer les salaires
et les pensions, ainsi que des garan-
ties de prêts pour 25 milliards
supplémentaires.
Ces aides sont conditionnées
à l’acceptation de certaines
contraintes, comme l’interdiction
des plans de licenciement d’ici au
30 septembre et le maintien des
lignes intérieures pendant les deux
prochaines années. Mais les mon-
tants en jeu devraient permettre aux
transporteurs de laisser passer la
crise. Selon son directeur général,
American Airlines serait ainsi éligi-
ble à une enveloppe totale – aides et
prêts garantis –, de 12 milliards de
dollars, soit près de dix fois son béné-
fice net de 2019 et plus de trois mois
de chiffre d’affaires. Le partenaire et
actionnaire d’Air France-KLM,
Delta Air Lines, pourrait toucher
jusqu’à 11 milliards de dollars.
gouvernement. La compagnie, qui a
cloué au sol la quasi-totalité de sa
flotte jusqu’à fin avril, explique avoir
ainsi de quoi faire face à la crise et
« saisir les opportunités » à la sortie.
Dans la même région Asie-Pacifi-
que, la Chine, Hong Kong, la Corée,
l’Australie, la Nouvelle-Zélande ont
annoncé des aides d’Etat, sous f orme
de prêts et d’exonérations de taxes et
redevances. Au Moyen-Orient,
l’émir de Dubaï a promis une « injec-
tion de capital » à Emirates.
En Europe, en revanche, les aides
spécifiques accordées au transport
aérien sont encore modestes. Plu-
sieurs gouvernements ont annoncé
des mesures fortes, comme la rena-
tionalisation d’Alitalia ou de Brus-
sels Airlines. Mais le premier mem-
bre de l’Union européenne à avoir
demandé et obtenu le feu vert de la
Commission européenne pour une
aide d’Etat à ses compagnies est la
France. Et cette aide se limite au
report de paiement de trois taxes et
redevances (taxe de l’aviation civile,
taxe de solidarité sur les billets et
redevances sur les services de navi-
gation aérienne), pour la période de
mars à décembre, dont le règlement
pourra être étalé sur 2021-2022.
Prêts garantis
et injection de capital
Cependant, Air France-KLM
comme les autres compagnies ont
largement bénéficié des mesures
générales de chômage partiel, qui
leur ont permis de réduire de 80 %
leur principal poste de dépense. Ce
mécanisme n’existe pas aux Etats-
Unis. Les gouvernements français et
néerlandais ont aussi mis leurs dis-
sensions de côté pour étudier
ensemble différentes aides financiè-
res à Air France-KLM. La première
devrait se concrétiser sous la forme
de crédit garantis par les deux Etats,
pour un total de 6 milliards d’euros,
dont 4 milliards pour la France.
Une injection directe de capitaux
dans Air France-KLM par les deux
Etats reste envisagée à moyen terme
pour accompagner la reprise.
Cela sera-t-il suffisant pour assu-
rer l’avenir d’Air France-KLM dans
le monde d’après? Les taxes repor-
tées et les prêts contractés, ainsi que
le chômage partiel, permettent d’évi-
ter des faillites à court terme en sou-
lageant la trésorerie des entreprises.
Mais ils devront être remboursés. Ce
qui suppose que l’activité revienne
rapidement à un niveau suffisant
pour le permettre. Plutôt que des
reports de taxe, les professionnels
français du transport aérien
auraient donc préféré des baisses
durables, afin de réduire l’écart de
compétitivité. —B. T.
(
Lire l’éditorial
de David Barroux
Page 14
Quand les Etats font office de parachute pour tout un secteur
Pour les compagnies aériennes du
monde entier, la question n’est pas
de savoir si elles auront besoin de
l’aide de leur gouvernement, mais
plutôt quand et comment se
concrétisera cette aide. Face à une
crise sans précédent, même les plus
hostiles aux aides publiques se sont
en effet convertis à l’intervention-
nisme étatique.
L’exemple le plus spectaculaire de
cette conversion est donné par les
compagnies américaines, qui ont
été les premières à appeler à l’aide et
qui sont aussi, pour l’heure, les
mieux servies. Le plan de soutien à
l’économie américaine, voté la
Les compagnies aériennes
du monde entier
se sont tournées vers
leurs gouvernements.
Les plus grands gagnants
sont, pour l’heure, les
compagnies américaines.
la dette virtuelle de 35 milliards de
dollars que représente l’ensemble
des billets d’avion des vols annulés,
non utilisés mais non remboursés
par l es compagnies. Soit 10 milliards
de plus que la totalité des pertes
cumulées du secteur de 2001 à 2009.
Reste à savoir quelle sera la durée
de la crise. De toute évidence,
l’impact sur l’économie mondiale
durera plus longtemps que la pan-
démie de coronavirus. L’Iata estime
que si l’épidémie en Europe prenait
En un mois, le trafic
aérien mondial
est passé de près
de 110.000 vols
commerciaux par
jour à 26.000 vols.
Soit l’équivalent de
15 ans de croissance
effacée en quelques
semaines.
Mais les Américains ne sont pas
les seuls à sortir le chéquier. En Asie,
Singapore Airlines a obtenu de son
principal actionnaire, le fonds sou-
verain singapourien Temasek,
l’autorisation de lever jusqu’à
9,6 milliards d’euros (15 milliards de
dollars singapouriens) sous forme
d’actions nouvelles (pour 3,4 mil-
liards d’euros) et d’obligations con-
vertibles (6,2 milliards d’euros),
assorti d’un prêt relais de 2,5 mil-
liards d’euros. Par ailleurs, 75 % des
salaires des employés de SIA mis au
chômage partiel sont financés par le
25
MILLIARDS DE DOLLARS
L’aide publique directe
octroyée aux compagnies
aériennes américaines.
ENTREPRISES
Mardi 7 avril 2020Les Echos