MondeLe - 2020-03-29-30

(Grace) #1

DIMANCHE 29 - LUNDI 30 MARS 2020 coronavirus | 3


Lecture :
dans le Haut-Rhin,
le nombre de décès
du 1er au 16 mars
2020 est en hausse
de 38 % par rapport
au nombre de décès
du 1er au 16 mars
2019

Evolution du nombre de décès du 1er au 16 mars 2020
par rapport à la même période en 2019
+ 40 %
De + 20 % à + 40 %
De + 10 % à + 20 %
Inférieure à + 10 %

Guyane

La Réunion

Guadeloupe

Martinique

Haut-Rhin
+ 38 %

Vosges
+ 16 %

Haute-Saône
+ 13 %

Aisne
+ 15 %

Oise
+ 14 %

Corse-du-Sud
+ 31 %

Mayotte
+ 40 %

Creuse
+ 17 %

Deux-Sèvres
+ 27 %

Infographie : Le Monde Source : Insee

La surmortalité


est la plus forte


dans le Haut-Rhin


Selon des données de l’Insee publiées


vendredi, les foyers épidémiques


sont les départements les plus touchés


L’


Institut national de la sta-
tistique et des études éco-
nomiques (Insee) a publié
exceptionnellement, vendredi
27 mars, des chiffres sur les décès
en France, extraits du Répertoire
national d’identification des per-
sonnes physiques. Il le fera désor-
mais chaque semaine en réponse
aux interrogations montantes
sur le nombre de morts liés à l’épi-
démie de Covid-19. Seuls les décès
en hôpitaux faisaient jusqu’ici
l’objet d’un décompte public.
Ces statistiques comptabilisent
tous les morts, liés à l’épidémie ou
pas. La variation d’une année sur
l’autre peut permettre de mesurer
un surcroît de mortalité mais doit
s’analyser avec prudence. Pour
comparer les chiffres de 2020 avec
ceux des années précédentes, il
faut prendre en compte plusieurs
paramètres. Par exemple, la rela-
tive faiblesse de la grippe saison-
nière cette année, explique Valé-
rie Roux, chef du département dé-
mographie de l’Insee : « En 2018, la
grippe avait causé une surmorta-
lité estimée à 13 000 décès, en 2019,
l’épidémie était moins forte,
autour de 8 000 décès. En 2020, de-

puis le début de l’épidémie de
grippe, il n’a pas été observé d’excès
de mortalité. »
Autre paramètre important à
prendre en compte, les condi-
tions de collecte de ces données.
« L’Insee reçoit l’ensemble des actes
d’état civil transmis par les mairies
grâce à deux modes différents : par
voie dématérialisée, c’est-à-dire
via des logiciels, pour 88 % des cas
environ, et 12 % qui sont encore des
envois de bulletins papier, qui
prennent plus de temps. » Or, con-
finement aidant, l’Insee a de-
mandé aux communes de passer
au dématérialisé, ce qu’ont fait
600 d’entre elles. « Cette hausse
du taux de dématérialisation peut
créer des variations dans les sé-
ries », rendant les comparaisons
difficiles. C’est ce qui explique les
hausses fortes constatées dans les
Deux-Sèvres, un département qui
n’est que peu concerné par le Co-
vid-19, par exemple, ou dans la
Creuse. Enfin, dans les Bouches-
du-Rhône, la comptabilisation
n’a pu se faire en raison d’un pro-
blème informatique à la mairie de
Marseille, ville qui compte la moi-
tié des décès du département.

avant de s’en écarter nettement :
le 20 mars, le département enre-
gistre ainsi (sur les seuls cas dé-
matérialisés) 417 décès, contre 263
en 2019 et 327 en 2018.

Hausse spectaculaire
Le Monde a demandé à plusieurs
mairies de communiquer leurs
chiffres d’état civil. Là aussi, ces in-
dicateurs doivent être pris avec les
précautions nécessaires : la popu-
lation des communes augmente,
et il faut tenir compte de certains
biais, par exemple l’ouverture
d’un nouvel Ehpad amenant une
population âgée.
Néanmoins, dans les zones tou-
chées, on retrouve le même phé-
nomène de mortalité en hausse.
Ainsi, à Mulhouse (Haut-Rhin), on
comptait 267 décès du 1er au
22 mars, contre 162 sur la même
période en 2019. A Colmar, chef-
lieu du département, la hausse est
également spectaculaire, avec
203 décès entre le 24 février et le
22 mars, contre 115 en 2019 et 140
en 2018 pour la même période.
Ailleurs en France, la hausse est
moins sensible, mais parfois
présente. Si certaines villes ne
montrent aucune variation signi-
ficative sur une période d’un
mois, à l’instar de Boulogne-
Billancourt (66 décès contre 69
en 2019) ou de Rouen (236 décès
contre 241 en 2019), ailleurs, les
hausses sont parlantes.
Ainsi, en Corse, à Ajaccio, qui
concentre un cluster de malades
du Covid-19, on comptabilise
103 décès en mars, contre 84 en
mars 2019 et 88 en mars 2018.
Dans l’Oise, autre département
touché, la ville de Compiègne an-
nonce 145 décès en mars 2020,
contre 110 durant la même pé-
riode de 2019. Sur la seule se-
maine du 18 au 24 mars, la hausse
est de 80 %, avec 49 décès contre
27 l’an passé.p
samuel laurent

COMPARATIF EUROPÉEN


Italie France
Allemagne Royaume-Uni

Espagne


2 972


771


816


15 701


3 758


5 698


18 mars 27 mars 18 mars 27 mars


Les données
débutent au 10e décès.

Infographie Le Monde Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University

Epidémie de Covid-19 : situation au 27 mars, 14 heures

RETOUR À DOMICILE

Personnes
hospitalisées

En réanimation

1 995 morts
en France

9 134 morts
en Italie

Jour 0 Jour 5 Jour 11 Jour 15 Jour 20 Jour 31

2 000

4 000

6 000

8 000

4 934 morts
en Espagne

HOSPITALISATIONS PAR DÉPARTEMENT
pour 100 000 habitants Progression du bilan humain
selon le stade de l’épidémie

Guadeloupe

Petite couronne

de 100 à 126

267 morts
en Allemagne

580 morts
au Royaume-Uni
(jour 12)

de 50 à 100
de 25 à 50
de 10 à 25
moins de 10

Martinique

Mayotte

La Réunion

Guyane

DÉCÈS À L’HÔPITAL HOSPITALISATION
ET RÉANIMATION

depuis le 1er mars

1 995

Crainte d’une saturation des morgues au pic de la crise


Le ministère de l’intérieur a demandé aux préfets de recenser des lieux provisoires dans chaque département pour y entreposer les morts


C’


est l’étape suivante.
Alors que l’afflux excep-
tionnel de malades du
Covid-19 menace d’engorger plus
d’hôpitaux − c’est le cas dans les
zones les plus touchées −, la
hausse du nombre de décès liés à
l’épidémie fait désormais peser un
risque de saturation sur les mor-
gues. « Depuis plusieurs jours, le su-
jet est évoqué à quasiment toutes
les réunions interministérielles » ,
indique Camille Chaize, porte-pa-
role du ministère de l’intérieur, où
l’on n’a toutefois, pour l’heure,
reçu « aucun signalement » d’hôpi-
taux ou de communes dont les
structures seraient saturées.
« Les morgues ne débordent pas
encore , affirme Cédric Ivanes, pré-
sident du syndicat professionnel
des thanatopracteurs. Il reste des
places partout parce que les per-

sonnes décédées du Covid-19 sont
inhumées ou crématisées dans un
délai extrêmement court. Ce n’est
pas encore un problème parce
qu’on n’est pas encore au pic de la
crise. » Il faut cependant s’y prépa-
rer. Dans chaque département,
l’heure est au recensement. « On a
demandé aux préfets d’identifier
des lieux où, en cas de décès nom-
breux, les corps pourraient être
conservés dans la dignité, en atten-
dant une inhumation, une créma-
tion ou un rapatriement à l’étran-
ger », explique Camille Chaize.
Entrepôts, excavations naturel-
les ou artificielles (grottes, caver-
nes, galeries), tentes, containers
ou camions réfrigérés : à condi-
tion de remplir un certain nom-
bre de critères, tous ces abris où la
température ne devra pas excéder
5° C pourront être mobilisés en cas

d’activation – on n’y est pas – du
volet « gestion des décès massifs »,
inclus au plan Orsec après la cani-
cule de 2003. Cette année-là, en
raison de la saturation de toutes
les structures habituelles en Ile-
de-France, un hangar de 4 000 m^2
au marché de Rungis était devenu
la plus grande morgue du pays.

« Six cercueil alignés par terre »
En mars 2020, à Madrid, la pati-
noire olympique a été transfor-
mée en morgue. A Bergame, les
cercueils s’alignent par dizaines à
même le sol de l’église du cime-
tière, faute de place dans des
chambres funéraires adéquates. A
New York, une morgue temporaire
se dresse devant l’hôpital Bellevue.
Bientôt en France? « Malheureuse-
ment, c’est ce qui nous attend dans
certains endroits en début de se-

maine prochaine » , redoute-t-on
Place Beauvau. Déjà, certains si-
gnaux inquiètent. « A Mulhouse,
les corbillards font la queue devant
l’hôpital pour aller chercher les
corps. Le crématorium reçoit un
cercueil toutes les demi-heures » ,
assure Florence Fresse, déléguée
générale de la Fédération française
des pompes funèbres. Cette se-
maine, un de ses adhérents situé
dans un foyer épidémique des
Hauts-de-France lui a envoyé une
photo : « Six cercueils alignés par
terre dans une chambre funéraire
prévue pour une personne. »
De nombreux établissements
ont déjà pris leurs dispositions.
Des containers frigorifiques ont
fait leur apparition devant les hô-
pitaux de Créteil et de Villeneuve-
Saint-Georges (Val-de-Marne),
pour permettre à la fois d’entrepo-

ser les personnes décédées du
Covid-19 à l’écart des autres cada-
vres et de faire face à l’éventuelle
saturation des morgues dans les
bâtiments. C’est aussi le cas à
Gonesse, Argenteuil (Val-d’Oise)
et Corbeil-Essonnes (Essonne),
selon des sources syndicales.
Au CHU de Strasbourg, qui
compte 59 places dans les mor-
gues réparties sur ses trois sites,
« on craignait d’être saturé bien
plus tôt. On ne l’est pas encore,
mais on anticipe , explique Yas-
mine Sammour, directrice de l’hô-
pital civil. On voit bien que certains
jours, il n’y a plus de place dans
l’une ou l’autre des trois morgues ».
La préfecture du Bas-Rhin a donc
réquisitionné le pôle funéraire de
la ville de Strasbourg : 45 places
supplémentaires. Jeudi, il restait
20 places sur 59 dans les morgues

du CHU. Particulièrement touché,
l’hôpital de Mulhouse (Haut-
Rhin) pourra, lui aussi, entreposer
dans le centre funéraire munici-
pal – 73 places sur 146 disponibles
jeudi – les cercueils qui n’entre-
ront plus dans sa propre chambre
mortuaire.
La capacité des morgues à éviter
l’engorgement dépendra de la ra-
pidité des familles des défunts à
effectuer les démarches, et de
celle des opérateurs funéraires à
faire leur travail. Le ministère de
l’intérieur vient de les inscrire sur
la liste des bénéficiaires prioritai-
res d’équipements de protection,
alors que la pénurie de gants, de
masques ou de blouses dont ils
souffrent menace de les empê-
cher d’intervenir, et donc de blo-
quer toute la chaîne funéraire.p
henri seckel

« Ce sont des données qui ne sont
pas encore complètes » , insiste
Mme Roux.
L’Insee les affinera au cours des
semaines qui viennent, notam-
ment pour mieux distinguer les
lieux de décès – à l’hôpital ou en
établissement d’hébergement
pour personnes âgées dépendan-
tes (Ehpad), par exemple – et les
âges des décédés. Il faudra égale-
ment prendre en compte d’autres

facteurs, par exemple une proba-
ble diminution des morts dus à
des accidents de la route à la fa-
veur du confinement, avertit
l’institut.
Malgré ces nombreux éléments
de précaution, les données provi-
soires montrent bien une hausse
parfois importante des décès
dans les départements les plus
touchés par l’épidémie. Ainsi, le
Haut-Rhin compte 38 % de décès

supplémentaires du 1er au 16 mars
par rapport à la même période de


  1. Même phénomène, mais de
    moindre ampleur, dans l’Oise
    (+ 14 %), dans les Vosges (+ 16 %) et
    l’Aisne (+ 15 %).
    Les données plus détaillées
    montrent en outre la progression
    épidémique. Ainsi, dans le Haut-
    Rhin, la courbe des décès suit celle
    des années précédentes jus-
    qu’aux alentours du 13 mars,

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