14 u Libération Mercredi^25 Mars 2020
Expresso
Lundi, à Madrid. Le Palacio de hielo, patinoire de 1 800 m^2 , accueille les dépouilles des malades du Covid-19. Photo PIERRE-PHILIPPE MARCOU. AFP
M
ardi, c’est sous des
applaudissements
des professionnels
de la santé que les agents de
l’Unité militaire d’urgence
(UME) ont été accueillis à
l’hôpital de la Paz, un des
établissements de référence
de la capitale. Les soldats
Par
François Musseau
Correspondant à Madrid Le ministre
de la Santé a
annoncé l’achat
d’1,5 million
d’uniformes de
protection pour
les soignants.
A Madrid, une patinoire en guise
de morgue géante
En Espagne, les
victimes du virus se
multiplient. Pompes
funèbres, hôpitaux
et maisons de
retraite, la situation
devient dramatique
par manque
d’équipement
de protection.
les corps vont être en contact
avec un froid permettant de
les «conserver au mieux»
avant leurs in-
humations et in-
cinérations ulté-
rieures. Si les
pompes funèbres municipa-
les n’acceptent plus que des
morts «non liés au Covid-19»,
c’est parce que leurs person-
nels manquent cruellement
de matériels de protection,
une situation funeste qui
touche aussi les profession-
nels de la santé, les différen-
tes polices et la garde civile,
entre autres corps de métier
cruciaux engagés dans cette
guerre sanitaire.
A l’hôpital de la Paz, on s’es-
time heureux, mais ce n’est
pas le cas dans d’autres
grands centres de Madrid, tels
que le Doce de Octubre ou le
Ramón y Cajal où, mardi, des
dizaines de patients morts de
la pandémie attendaient en-
core leur transfert vers la «pa-
tinoire», faute de suaires, de
personnel soignant et de mili-
taires suffisants pour les y
acheminer.
L’immense majorité des vic-
times décédées dans les hô-
pitaux – mardi on a enregis-
tré près de 500 morts en une
seule journée dans le pays, le
plus touché en Europe après
l’Italie – sont des personnes
âgées. Une population esti-
mée à 8 millions d’habitants
(sur 47) qui, touchée par de
nombreuses pathologies, est
de loin la plus vulnérable à
cette pandémie. Selon diver-
ses sources, on estime que
près d’un tiers des 355 mai-
sons de retraite de la région
de Madrid – le principal foyer
de contamination – sont in-
fectées. Les victimes se
comptent par dizaines, et
beaucoup d’entre elles ont
été abandonnés à leur sort
avant de périr, par manque
de médecins et d’aides-soi-
gnants, qui ont eux-mêmes
quitté le navire par manque
de matériel de protection élé-
mentaire, masques, gants et
combinaisons. «C’est compré-
hensible, ils sont des soldats
désarmés envoyés au front»,
s’indigne la Centrale syndi-
étaient chargés de pénétrer
dans les chambres, d’empor-
ter les cadavres des malades
qui s’y trou-
vaient (et ainsi
de libérer des
lits), avant de les
transporter vers ce qui est de-
venu la nouvelle grande mor-
gue de Madrid : la patinoire.
Alors que les services des
pompes funèbres se refusent
désormais à prendre en
charge les victimes de corona-
virus, c’est le Palacio de hielo,
une patinoire de 1 800 m^2 et
de 16 mètres de hauteur –
dans le quartier de Fuencar-
ral, dans le nord-est de la ca-
pitale – qui va les recevoir.
Situation funeste. D’après
le maire conservateur José
Luis Martínez-Almeida, l’en-
droit serait le «moins mauvais
possible», dans la mesure où
L'histoire
du jour
cale indépendante de fonc-
tionnaires (CSIF).
Plusieurs pensionnaires de
maisons de retraite ont ra-
conté aux forces de l’ordre
avoir passé la nuit avec des
cadavres. Le parquet de
l’Etat mène une enquête
concernant le sort de 17 per-
sonnes âgées dans le centre
madrilène de Monte Her-
moso, retrouvées sans vie
dans leurs lits respectifs.
Ceux-ci, et d’autres, ont été
découverts par des agents de
l’UME, combattante de pre-
mière ligne dans les situa-
tions d’urgence. En Catalo-
gne, le parquet régional a
aussi été saisi d’une plainte
pour une vingtaine de morts
dans deux maisons de re-
traite, à Capellans et Olesa,
près de Barcelone.
Désespérées. Le grand
responsable, pointé du doigt
par tous, est donc le manque
criant de matériel de protec-
tion, en particulier pour les
soignants, incapables dans
ces conditions d’exercer leurs
fonctions, ainsi que des sacs
mortuaires. Fernando Si-
món, le coordinateur natio-
nal face à la crise sanitaire, a
admis «de graves carences
dans ce domaine» et promis
de fournir ce matériel, sans
plus de précisions. Sa prio-
rité, à l’en croire, est l’acquisi-
tion d’un million de tests
pour dépister la contagion du
virus. Quant au ministre de la
Santé, Salvador Illa, il a an-
noncé l’achat d’1,5 million
d’uniformes de protection
pour les soignants.
Désespérées et sans garanties
de la part du ministère de la
Santé, les 17 régions espagno-
les sont livrées à elles-mêmes
sur les équipements de pro-
tection. De sa propre initia-
tive, le gouvernement de Ma-
drid a affrété deux avions en
provenance de Chine avec
notamment à son bord des
respirateurs. C’est aussi le cas
de l’Aragon qui a vu atterrir
mardi un avion à Saragosse et
dont le chargement devrait
surtout alimenter la région
valencienne. Parallèlement,
la production nationale est
relancée, comme celle de
masques protecteurs. Le quo-
tidien El Mundo indique que
les prisonniers de six centres
pénitentiaires s’y consacrent,
tout comme des dizaines de
PME reconverties, voire des
religieuses dans certains
couvents.•
Le Covid, occasion pour
le Hongrois Orbán de
renforcer son autocratie?
Le gouvernement hongrois a soumis au Parlement
un projet de loi qui l’autoriserait à prolonger l’état
d’urgence et à gouverner par décrets sans limite
de temps. Il pourrait aussi permettre de poursuivre
les journalistes accusés de répandre des fake news.
Photo Tamas Kovacs. AP
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