Libération Mercredi 25 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 15
Omar Saïd
président
de l’association
Wenka
déshéritée. D’où sa crainte
d’une hécatombe si le Co-
vid-19 se propage dans ce dé-
partement d’outre-mer.
A Mayotte, où 35 personnes
avaient contracté le virus
mardi, dont 4 médecins,
l’habitat insalubre repré-
sente selon l’Insee 40 % des
logements. De quoi inquiéter
Dominique Voynet, la direc-
trice de l’Agence régionale de
santé (ARS). Dans un cour-
rier adressé aux médecins du
département d’outre-mer,
l’ex-ministre de l’Environne-
ment fait part de sa «hantise»
DR
Jean-Paul Mari suit au
jour le jour le combat
d’une équipe médicale
dans un hôpital d’Ile-de-
France.
L’équipe souffre. Malgré ce
grand soleil insultant de
bonne humeur. Surtout ceux
investis à fond depuis le dé-
but de la crise.
Lundi, un mé-
decin, colosse
surpris à pleu-
rer à chaudes
larmes ; un autre soignant,
poumons fatigués de gros fu-
meur, qui sait ce qui l’attend
en cas de contamination.
Et ce jeune toubib, jovial,
compétent dans tous les sec-
teurs, croisé ce matin l’air
furieux : «Depuis cette nuit,
je tousse comme une vieille
femme !» Un dépistage ré-
servé aux soignants présen-
tant un syndrome «grippal»
- une centaine lundi – a
donné 55 % de Covid positif...
Un sur deux!
Lentement, l’hôpital se vide
de ses blouses blanches. Les
nerfs craquent. La nuit der-
nière s’est produite une alter-
cation entre un clinicien et
un patient, non-Covid mais
irritable, pour une histoire de
porte vitrée qui tardait à s’ou-
vrir, une broutille. Soignant à
terre, bras en croix, KO. Le
scanner n’a rien détecté mais
l’homme, très choqué, ne
reviendra pas. Un médecin
perdu. Aux urgences, des
hommes et des femmes au-
dessus de la cinquantaine,
alignés, masque à oxygène
sur le nez. Le
responsable an-
nonce : «On va
avoir 16 lits d’hos-
pitalisation de
plus, dès 16 heures. Bonne
nouvelle, non ?» Devant son
écran, le contrôleur souffle :
«Suffira pas. Regarde la liste
d’attente...» En réanimation,
plus aucun lit. Il faut envoyer
les cas graves à Trappes ou
Orléans. On pense transfor-
mer le stade proche et désert
en hélistation pour les éva-
cuations par hélicoptère.
Alors, quand un petit homme
en civil s’est avancé dans le
bureau d’un cadre médecin,
celui-ci a levé à peine les
yeux. Avant de les écarquiller.
«J’ai une voiture pleine et un
camion qui arrive dans une
heure... Un don.» A l’inté-
rieur, 3 000 masques chirur-
gicaux, 300 autres FFP2, anti-
particules, les meilleurs,
100 bouteilles de gel hydro-
alcoolique et 400 gants. Une
aubaine. Il fait partie d’une
association de médecins
franco-chinois. Pendant la
période noire en Chine, ils
ont envoyé 43 tonnes de ma-
tériel à Wuhan. Maintenant,
les Chinois de Paris et leurs
proches au pays se cotisent
pour aider les Français. «Ils
sont pleins d’enthousiasme,
un formidable élan, dit
l’émissaire. Souvent ils s’excu-
sent : “Nous n’avons pu réunir
que 80 000 euros”.»
En Chine, des entreprises
tiennent à participer à l’ef-
fort. Il est vrai qu’une photo
aux côtés du Docteur Na Na
vaut toutes les pubs. Adèle
Na Na, formée en Chine, spé-
cialiste de médecine interne
à la Pitié-Salpêtrière et char-
gée de l’«Interface médicale
sino -française», est une
source d’information pré-
cieuse de l’expérience chi-
noise. «Nos amis chinois re-
grettent l’agressivité des
Français dans la rue, dit
l’émissaire. Mais ils espèrent
faire encore plus. Peut-être un
jour prochain vous offrir... un
respirateur artificiel.»
Jean-Paul Mari
(1) Le prénom a été modifié.
«J’ai un camion plein
de masques... Un don»
Vu de
l’hôpital
Dans les entrailles du bidon-
ville de «Manga Télé», l’un
des plus vastes de Mayotte,
et donc de France, 5 000 per-
sonnes s’entassent dans des
conditions pitoyables. Les
taudis de ce quartier de Ka-
wéni, dans la banlieue de
Mamoudzou, ne disposent
ni d’eau courante ni d’élec-
tricité. «Les gens vivent dans
la promiscuité, dans des
conditions sanitaires déplo-
rables», se désespère Omar
Saïd, président de l’associa-
tion Wenka, qui intervient
auprès de cette population
de voir la maladie se diffuser
«dans les bangas» de tôle et
de planches. Le risque est
d’autant plus sérieux que
les habitants ne respectent
pas vraiment les mesures
de confinement. Plusieurs
communes ont instauré un
couvre-feu nocturne. En ce
début de semaine, des en-
fants jouent encore sur les
terrains vagues, des habi-
tants discutent sur les trot-
toirs. Pour certains, «c’est
une maladie de Blancs» ;
pour d’autres, «Allah nous
protège»... Voynet déplore
cet incivisme, «y compris
par des politiciens pourtant
bien informés des gestes bar-
rières». Le département, en
stade 2 de l’épidémie, ne
compte qu’un centre hospi-
talier, doté de 16 lits de
réanimation pour une popu-
lation estimée à plus de
350 000 personnes.
Mardi, le préfet a décidé, à la
demande des maires, de
décréter un couvre-feu sur
tout le territoire. Le dé-
puté LR Mansour Kamar-
dine, lui, réclame l’envoi
du porte-hélicoptères le Mis-
tral, qui croiserait actuelle-
ment dans l’océan Indien et
dispose d’une soixantaine de
lits médicalisés. Il demande
également à Paris d’installer
un hôpital de campagne et
d’envoyer «un stock de pré-
caution» de chloroquine.
Laurent Decloitre
(à la Réunion)
«Si le virus
rentre ici
[à Mayotte],
ça va être
l’hécatombe.»
Les JO de Tokyo reportés à 2021 C’était attendu
et inévitable : le Comité international olympique a officialisé
mardi le report des Jeux prévus à Tokyo à partir du 24 juillet.
«Le président du CIO et le Premier ministre du Japon ont conclu que les JO de Tokyo
devaient être reprogrammés après 2020 et au plus tard à l’été 2021, afin de sauvegarder la
santé des sportifs et tous ceux impliqués, ainsi que la communauté internationale», indique
le communiqué. Les Jeux de Tokyo seront «le témoignage de la défaite du virus» face
à l’humanité, a lancé le Premier ministre japonais, Shinzo Abe. La gouverneure de la capitale
japonaise, Yuriko Koike, a précisé qu’ils s’appelleraient toujours «Tokyo 2020». Photo AP
LIBÉ.FR
5 000
C’est le nombre de détenus en fin de peine qui
devraient être libérés pour désengorger les
prisons face au risque de propagation du corona-
virus, a indiqué lundi soir FO pénitentiaire à la sor-
tie d’une audioconférence avec Nicole Belloubet,
la garde des Sceaux. Les conditions sont strictes :
avoir été condamné à une peine de cinq ans d’em-
prisonnement maximum et à l’exception de cer-
tains types d’infractions (terrorisme, violences
conjugales...). Ce chiffre a été jugé «très insuffi-
sant» par l’Observatoire international des prisons
(OIP), selon lequel il faudrait «en sortir au moins
12 000 pour atteindre l’encellulement individuel».
Bien souvent à Tel-Aviv,
l’«Arabe du coin» n’est pas
épicier mais pharmacien.
L’émergence d’une minorité
palestinienne
à la fois inté-
grée, surdi-
plômée et indispensable au
fonctionnement de l’Etat
n’a jamais été aussi flagrante
qu’au temps du Covid-19,
coïncidant avec la montée
en puissance des députés
arabes, devenus faiseurs de
roi à la Knesset.
Si «les Arabes ne font pas par-
tie de l’équation» au Parle-
ment, comme l’a déclaré le
Premier ministre Benyamin
Nétanyahou, dans les cou-
loirs des hôpitaux, personne
n’imagine faire sans eux.
Selon les chiffres du minis-
tère de la Santé, 17 % des mé-
decins du pays, 25 % des
i n f i r m i è r e s
et près de 50 %
des pharma-
ciens sont arabes, lesquels
représentent environ 20 % de
la population israélienne.
«Pendant que le Premier mi-
nistre nous traite de terro-
ristes ou de complices, nous
sommes des milliers à sauver
des vies», s’insurge Abed Sa-
tel, directeur du département
d’obstétrique du centre hos-
pitalier Sourasky de Tel-Aviv.
A l’hôpital Hillel Yaffe de Ha-
dera, dans le nord du pays,
c’est un Palestinien d’Israël,
Jamil Moshen, qui a pris la
tête du «service coronavirus»
monté à la hâte. Le directeur
de l’hôpital, Mickey Dudkie-
wicz, dit ne «jamais se poser la
question de qui est arabe ou
qui est juif, que ce soit pour les
médecins ou les patients». Les
témoignages de soignants pa-
lestiniens rejetés par certains
patients juifs? Rarissime, as-
sure-t-il : «On a tous le même
sang et, dans le cas du virus,
les mêmes poumons. Pendant
la seconde intifada, nos méde-
cins arabes soignaient les vic-
times juives des attentats...»
La lutte contre la pandémie
fera-t-elle tomber quelques
barrières entre Juifs et Ara-
bes? Quand Nétanyahou a
proposé à son principal oppo-
sant, Benny Gantz, de former
un gouvernement d’union sa-
crée «anticoronavirus», l’ex-
général qui bombarda Gaza a
répondu en exigeant que les
partis arabes en fassent par-
tie. Micro-séisme politique
qui a fait écrire au romancier
David Grossman que, «par-
fois, au milieu des ténèbres,
surgit un point de lumière».
En Israël, plus de 1 600 cas de
coronavirus ont été dépistés,
avec 2 morts recensés. Le Co-
vid-19 a fait sa première vic-
time ce week-end, un octogé-
naire de Jérusalem qui avait
survécu à la Shoah.
Guillaume Gendron
(à Tel-Aviv)
Face à l’épidémie comme en politique,
les médecins arabes en première ligne
Vu d’Israël