Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1

08 // EVENEMENT Mercredi 25 mars 2020 Les Echos


le tumulte des klaxons. Les
artères et venelles de cette
mégalopole de 20 millions
d’habitants se sont progressi-
vement vidées... jusqu’à
l’annonce du Premier minis-
tre. Quelques minutes après la
fin de son allocution, le bruit
des automobilistes ayant pris
le volant dans l a précipitation a
repris le dessus. Le tweet du
Premier ministre, envoyé sur
les réseaux à 21h10 en lettres
capitales – « Il n’y a absolument
pas de raison d e paniquer » – n’y
aura rien changé. De longues
files se sont immédiatement
formées devant les magasins
d’alimentation.
« Il ne fait aucun doute que ce
confinement aura un coût écono-
mique pour le pays, mais sauver
la vie de chaque Indien est la pre-
mière priorité pour moi », a
estimé Narendra Modi, qui a
également annoncé une alloca-
tion supplémentaire de 1,83 mil-
liard d’euros aux services de
santé. Face à l’afflux de malades,
les faibles infrastructures de
santé indiennes seraient très
rapidement dépassées : le pays
ne compte qu’un médecin pour
11.600 personnes et un lit d’hôpi-
tal pour 1.826.

Allégements pour
les entreprises
Plus tôt mardi, la ministre des
Finances, Nirmala Sitharaman
avait annoncé une série de
mesures visant à alléger certai-
nes procédures légales pour les
entreprises. L es ménages
indiens bénéficieront d’un délai
supplémentaire pour effectuer
leur déclaration de revenus. Un
plan de soutien économique
plus important devrait suivre
sous peu. Si toute l’économie
indienne risque de souffrir, les
populations les plus démunies
seront les plus durement tou-
chées par ce confinement.n

Carole Dieterich
— Correspondante à New Dehli

« A partir de minuit, le pays tout
entier sera confiné » , a déclaré
le Premier ministre Narendra
Modi, lors d’une allocution
télévisée mardi soir. « Pour
sauver l’Inde, pour sauver cha-
cun de ses citoyens, vous, votre
famille... chaque rue, chaque
quartier est placé en confine-
ment » , a-t-il martelé face à
l’écran.
Pendant vingt et u n jours, les
Indiens seront donc assignés à
résidence. Mardi, en début de
soirée, le coronavirus avait
infecté, officiellement, 519 per-
sonnes et avait coûté la vie à 1 0
autres. Des chiffres probable-
ment en deçà de la réalité,
selon les spécialistes, notam-
ment en raison du faible nom-
bre de dépistages menés dans
ce pays de 1,3 milliard d’habi-
tants, particulièrement vulné-
rable, notamment en raison de
la densité de population.

Retranchement
en plusieurs étapes
L’Inde , qui avait commencé à se
barricader du reste du monde
dès le début du mois, a accéléré
le pas la semaine dernière. Les
vols internationaux n’o nt plus
été autorisés à se poser sur le
territoire indien, puis les vols
intérieurs ont été interdits. Le
réseau ferroviaire du pays, l’un
des plus grands au monde, ainsi
que les bus reliant les Etats
indiens entre eux, ont été égale-
ment mis à l’arrêt. Objectif :
contenir les mouvements de
population q ui pourraient favo-
riser la progression du virus.
Plusieurs Etats i ndiens
avaient déjà annoncé un confi-
nement total de leur popula-
tion ces derniers jours. A New
Delhi, depuis lundi matin, le
chant des oiseaux a remplacé

Le Premier ministre
Narendra Modi a frappé
fort mardi soir : pour
combattre la progres-
sion du coronavirus,
le nationaliste hindou a
ordonné le confinement
total, pendant trois
semaines, du deuxième
pays le plus peuplé
au monde.

L’ Inde assigne


à résidence son


1,3 milliard d’habitants


en bref


Pays vulnérables : un « paquet
financier » va être mis en place

AIDE INTERNATIONALE Le ministre français des Affaires
étrangères Jean-Yves Le Drian a annoncé mardi qu’un « paquet
financier » a llait être mobilisé pour aider les pays l es plus vulné-
rables, notamment en Afrique, à faire face à la pandémie de
Covid-19. « Nous aurons l’occasion de mobiliser un vrai paquet
financier, d’assistance, pour éviter que l’épidémie ne mute vers d es
régions ou des sous-continents qui aujourd’hui ne sont pas conta-
minés mais demain pourraient être un nouveau risque pour
nous », a-t-il déclaré à l’Assemblée nationale.

Fabrice Coffrini/AFP

519

CAS DÉCLARÉS
C’était le nombre de
personnes infectées en Inde,
pour 10 décès, mardi. Mais
le nombre de dépistages est
très faible dans le pays.

Yv es Bourdillon
@yvesbourdillon


Un c onfinement à la fois inévitable et
impossible. Pour juguler une épidé-
mie qui mettrait vraisemblablement
à genoux leur système de santé, les
pays africains se résolvent les uns
après les autres à interdire à leur
population d e sortir de c hez elle, sauf
pour s’approvisionner, travailler, ou
se faire soigner. Une mesure insup-
portable, au vu des spécificités du
continent.
Après le Maroc, dès vendredi, le
Rwanda, la Tunisie et Maurice ce
week-end, c’est l’Afrique du Sud, le
pays le plus touché sur le continent,
qui a instauré, lundi, un confine-
ment généralisé pour trois semaines
à partir de jeudi. Le Rwanda semble
même interdire les sorties du domi-
cile pour raison professionnelle,
sauf métier stratégique, comme à
Wuhan en Chine en janvier. Ont été
aussi instaurés l’état d’urgence et un
couvre-feu nocturne au Sénégal, en


Côte d’Ivoire, en Egypte, au Gabon,
un confinement en Algérie dans la
capitale et la région de Blida, ainsi
que dans la capitale économique du
Congo-Kinshasa, Lubumbashi, et les
deux premières villes de Madagas-
car, Antananarivo et Toamasina. Au
Nigeria, les habitants d’Abuja, la
capitale, et de Lagos sont « ferme-
ment invités » à rester chez eux.
D’autres pays, comme le Burkina
Faso, envisagent la même mesure.
Même les pays excluant, pour
l’heure, cette mesure radicale, fer-
ment leurs frontières en cascade
(sauf au fret stratégique, car l’essen-
tiel des médicaments est importé
d’Asie), ainsi que les lieux publics,
écoles, restaurants, bars, aéroports
et lieux de culte. Des mesures géné-
ralement très suivies, même si des
rassemblements ponctuels en Afri-
que du Nord ont défié les autorités.
Le Covid-19, dont la létalité « natu-
relle » peut dépasser 10 % dans cer-
taines zones, pourrait provoquer
un bilan humain vertigineux sur le

continent africain, vu la fragilité des
infrastructures de santé. En Afrique
subsaharienne, on compte seule-
ment un médecin pour 10.000 habi-
tants, c ontre 37 e n Europe et une pré-
conisation de l’Organisation
mondiale de la santé de 7. On ne
dénombre aussi que 10 lits d’hôpital
pour 10.000 habitants, contre 52 en
Europe. L’Allemagne a elle seule
compte plus de lits en réanimation
que tout le continent. Et les E tats afri-
cains dépensent pour la santé publi-
que environ un quart de ce qui se
pratique dans le reste du monde,
selon la Banque mondiale. Les
médecins en Afrique manquent
encore plus de masques qu’ailleurs.

Be soin vital de sortir
Le drame est que beaucoup d’Afri-
cains ont un besoin vital de sortir tra-
vailler tous les jours. Les ménages
africains ont en moyenne quatre
enfants à nourrir et ne disposent sou-
vent que d’une trésorerie équivalente
à quelques dizaines d’euros d’avance.

lLes premiers pays africains ont instauré des confinements, partiel ou total,


pour contrer le Covid-19.


lL’épidémie peut mettre à genoux un système de santé fragile,


mais le confinement est impossible en de nombreux endroits.


L’Afrique s’achemine vers


un confinement impossible


La quasi-totalité ne peut pas bénéfi-
cier, en outre, d’indemnisation du
chômage technique, faute de disposi-
tif étatique, ou parce qu’environ 40 %
travaillent dans le secteur informel,
hors de tout cadre réglementaire.
En outre, peu d’Africains peuvent
s’adonner au télétravail comme en
Occident o u une partie importante de
l’Asie, faute d’ordinateurs et de con-
nexion Internet ; seulement un quart
de la population d’Afrique subsaha-
rienne a accès au Web et la moitié au
Maghreb, contre les quatre cinquiè-
mes en Europe. En outre, l e télétravail
est adapté aux activités de services,
mais pas à l’agriculture, à l’industrie,
à l’artisanat et aux « petits boulots »
(négoce divers, réparation) qui
emploient la majorité des Africains.
La Commission économique pour
l’Afrique des Nations unies a estimé
mardi qu’il faudrait mobiliser
100 milliards de dollars pour soutenir
l’économie du continent, via notam-
ment une suspension du paiement
des intérêts de la dette de ces pays.n

Les marchés en plein air, comme ici à Kigali, au Rwanda, sont la norme en Afrique, où ils entraînent une promiscuité contraire
aux recommandations des autorités.
Photo Maggie Andresen/Reuters


« Il faut une prise de conscience collective »


Propos recueillis par
Michel De Grandi
@MdeGrandi


Quels sont les principaux
risques auxquels est confronté
le continent africain face
au coronavirus?

A ce stade de l’expansion du virus,
nous pensons, rationnellement, que
l’Afrique va connaître une courbe épi-
démique similaire à celle des autres
pays. En tout cas nous devons nous
préparer à un tel scénario. Pourquoi?
Essentiellement parce que nous ne
disposons d’aucun élément scientifi-
que capable de démontrer que le
développement du virus peut être
freiné par des éléments comme la
température de l’air par exemple. En
se basant sur les données statistiques
dont nous disposons, on peut suppo-
ser que 15 % des cas seront sévères et
5 % critiques, nécessitant un traite-
ment lourd. Or, l’Afrique de l’Ouest et
l’Afrique centrale, les plus fragiles, ne
disposent que de 0,3 lit d’hospitalisa-
tion pour 1.000 habitants, contre 7 lits
en France. Le déficit en personnel soi-
gnant est tout aussi criant. Il y a, par
exemple, cinquante fois moins de
médecins au Burkina Faso qu’en


Est-ce que l’expérience
acquise avec Ebola peut servir
pour le Covid-19?
En 2014, Ebola ne touchait que trois
pays, mais les a menacés jusque dans
leur existence propre. La crise
d’Ebola a, cependant, déclenché une
solidarité internationale d’envergure.
La France avait, par exemple, installé
un hôpital de campagne en Guinée
pendant que des centaines de méde-
cins et personnels soignants étaient
allés prêter main-forte aux 70 méde-
cins que comptait la Sierra Leone. On
voit bien aujourd’hui qu’une telle soli-
darité est battue en brèche par les dif-
ficultés auxquelles les pays doivent
eux-mêmes faire face. La France ne
peut pas en ce moment envoyer du
personnel en Afrique. Mais peut-être
la Chine, avec du personnel et du
matériel médical, la Corée et plus tard

les pays européens pourront à leur
tour aider le continent africain. On a
besoin de tout le monde.

De quelle façon?
Ce qu’il faut, c’est une prise de cons-
cience collective. L’Afrique seule ne
pourra pas lutter contre cette épidé-
mie. Elle regarde aujourd’hui le coro-
navirus comme la France regardait la
Chine quelques semaines plus tôt. Si
les Etats européens parviennent à
endiguer le virus à l’intérieur de leurs
frontières, ils prennent le risque de le
voir revenir après avoir été meurtrier
sur le continent africain. Une straté-
gie globale est indispensable. La crise
est certes sanitaire mais elle est tout
autant géostratégique car le retour de
flamme touchera tout le monde.

La jeunesse de la population
est-elle le rempart le plus
efficace à l’expansion du virus?
Ce n’est pas à mon sens un argument
déterminant. Essentiellement parce
qu’en France, 50 % des patients hospi-
talisés ont moins de soixante ans.
D’autant plus qu’en Afrique, à la diffé-
rence de la France, les patients avec
d’autres pathologies sont le plus sou-
vent ni identifiés ni stabilisés.n

France. Partant de ce constat, la mor-
talité probable sur le continent afri-
cain sera sans doute très supérieure à
celle o bservée dans le reste du
monde.

Est-ce que l’hypothèse
du confinement est réaliste?
A la faiblesse des systèmes de santé
s’ajoutent des spécificités locales con-
tre lesquelles il est difficile de lutter.
Beaucoup de ces pays fonctionnent
grâce à une économie de survie. Cela
signifie que la population mange le
soir ce qu’elle a gagné dans la journée.
Comment voulez-vous confiner des
gens au-delà de quelques jours? Il n’y
a pas dans les pays africains un Etat
qui, comme en France, allège les
charges des entreprises et indemnise
les employés en chômage partiel. Ce
qui manque aujourd’hui, vis-à-vis de
l’Afrique, c’est une stratégie globale
face à des Etats très fragiles.

AUGUSTIN AUGIER
Directeur général de
Alima (The Alliance for
International Medical
Action)

« En 2014, la crise
Ebola a déclenché
une solidarité
internationale
d’envergure. »
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