Le Monde - 28.03.2020

(Chris Devlin) #1
0123
SAMEDI 28 MARS 2020 coronavirus| 13

Reprise dans le BTP : « Vous préférez


votre fric ou la vie des ouvriers? »


Malgré la pression du gouvernement, les conditions pour reprendre
les chantiers ne sont pas réunies, estiment nombre de professionnels

N


ous n’avons pas envie
d’envoyer nos salariés à
l’abattoir. » Le message
de Jean­Luc Tuffier, le président
de la Fédération française du
bâtiment (FFB) pour le Grand
Paris, et des autres patrons du BTP
est limpide. Malgré la pression du
gouvernement, les profession­
nels jugent extrêmement difficile
de redémarrer à court terme les
innombrables chantiers arrêtés
à cause de l’épidémie de Covid­19.
« Reprendre sans masques, puis­
qu’ils sont destinés en priorité au
personnel soignant, sans gants ni
gel hydroalcoolique, et alors que
les règles de confinement se dur­
cissent de jour en jour ?, demande
Jean­Luc Tuffier. Honnêtement,
je ne vois pas bien comment
on peut faire. »
Après quelques passes d’armes,
le gouvernement et les repré­
sentants du BTP ont commencé,
le 21 mars, à préparer ensemble
un « guide de bonnes pratiques »
précisant les conditions dans
lesquelles certains chantiers
pourraient repartir. Mais s’en­
tendre sur ces recommandations
n’a rien d’évident.
Le texte, attendu initialement le
24 mars, n’est toujours pas fina­
lisé. Surtout, il n’est pas dit que,
une fois diffusé, ce guide suffira à
relancer vraiment l’activité.
Depuis l’instauration du confi­
nement, le 16 mars, de 80 % à 90 %
des chantiers de l’Hexagone sont
à l’arrêt. De nombreux clients
l’ont imposé, qu’il s’agisse de par­
ticuliers, d’entreprises ou de col­
lectivités. Et quand les maîtres
d’ouvrage ne le demandaient pas,
les entreprises de BTP elles­mê­
mes ont pris l’initiative de stop­
per l’activité, pour des raisons
tant sanitaires que pratiques.

C’est ainsi que de grands chan­
tiers comme la rénovation de
Notre­Dame de Paris, la restaura­
tion de l’opéra d’Avignon, l’exten­
sion du tramway de Bordeaux
vers l’aéroport de Mérignac, ou
encore le maillage du pays en fi­
bre optique sont suspendus.
L’essentiel des chantiers main­
tenus concerne des artisans qui
travaillent seuls, par exemple
pour rénover un appartement en
l’absence de ses occupants. Et
ceux liés à des urgences.

« Profiter du chômage partiel »
Faut­il redémarrer toute cette
activité? Le sujet a suscité un
étonnant bras de fer. Les patrons
de l’artisanat et du BTP, qui ne
passent pas pour les patrons les
plus humanistes, ont été les
premiers à juger intenable la
poursuite des chantiers, en raison
des ordres des clients et de la dé­
sorganisation soudaine de leurs
approvisionnements, mais aussi
pour protéger leur personnel.
Et c’est l’exécutif qui les a poussés
à travailler malgré tout, en les ac­
cusant de vouloir mettre leurs sa­
lariés à l’arrêt pour « profiter du
chômage partiel ».
Pour le gouvernement, sou­
cieux de limiter la crise économi­
que, rien n’impose que les chan­
tiers soient stoppés. Au contraire,
les personnes qui travaillent « en
extérieur − chantiers de bâtiments
et travaux publics notamment −
doivent poursuivre » leur activité,
a affirmé clairement le ministre
de l’intérieur, Christophe Casta­
ner, dans un courrier adressé le
18 mars aux préfets. Le lende­
main, la ministre du travail, Mu­
riel Pénicaud, s’en est violem­
ment prise à la Capeb, l’organisa­
tion des artisans du bâtiment.

« Quand un syndicat patronal dit
aux entreprises : “ Arrêtez d’aller
bosser, arrêtez de faire vos chan­
tiers ”, ça, c’est du défaitisme » , a­t­
elle déclaré sur LCI.
L’élaboration commune d’un
« guide de bonnes pratiques »
pour la reprise du travail était
censée calmer la polémique. Mais
les experts réunis se sont vite
heurtés à la réalité du terrain.
Comment construire des loge­
ments, des équipements publics
en toute sécurité?
Secrétaire général de 3LM Bâti­
ment, une PME de l’Essonne, De­
nis Maupas a retourné la ques­
tion dans tous les sens au début
du confinement. La complexité
commence dès le trajet pour aller
sur place, dont l’employeur est
responsable : impossible de certi­
fier qu’il n’y aura pas de contact
avec le virus dans les transports
en commun. Même doute pour
les vestiaires, souvent d’étroits
préfabriqués où se côtoient 40 ou
50 ouvriers.
Puis vient la question du chan­
tier proprement dit. « C’est un mé­
tier qui se fait à plusieurs, constate
Denis Maupas. Pour prendre du
béton dans la toupie, le couler, le
coffrer, les ouvriers se touchent for­
cément. Et certaines tâches ne se
prêtent guère à l’usage de gants. »
Au bout du compte, le chef d’en­
treprise a enjoint à toutes ses
équipes de rester chez elles. « Les
règles de confinement nous impo­
sent des protections que nous
sommes incapables de garantir à
nos salariés », juge Denis Maupas.
Il ajoute : « Aux compagnons qui
me demandent “ Vous préférez vo­
tre fric ou la vie de vos ouvriers? ” ,
je ne peux répondre qu’une seule
chose, “ Restez chez vous ”. » 
denis cosnard

Pétrole : Riyad sous pression américaine


La baisse des cours du baril menace l’industrie de l’or noir aux Etats­Unis


C


omment sortir de la
spirale de la guerre des
prix? En plus de la crise
sanitaire et de sa gestion
erratique par Donald Trump, les
Américains doivent faire face à un
choc pétrolier majeur. Celui­ci in­
tervient à un moment inédit de
l’histoire : depuis 2018, les Etats­
Unis étaient devenus le premier
producteur mondial, et ils
s’attendaient à devenir, dans les
prochains mois, exportateurs
nets – une véritable révolution
géopolitique. Donald Trump avait
même fait de l’indépendance
énergétique l’un de ses objectifs.
Mais la guerre des prix lancée
par les Saoudiens, alors que la de­
mande mondiale était en baisse
pour cause de crise sanitaire, a
bousculé ces plans. Depuis l’ex­
plosion, début mars, de l’alliance
entre l’Arabie saoudite et la Rus­
sie, le marché est sens dessus des­
sous. Le royaume saoudien, allié
historique de Washington, s’est
lancé dans une augmentation
spectaculaire de sa production.
Résultat : les cours du baril
s’établissaient à 22,80 dollars
(20,80 euros), vendredi 27 mars,
contre 68 dollars début janvier.
« Ce qui se passe est l’équivalent nu­
cléaire de la guerre des prix », ana­
lysait, il y a quelques jours, le con­
sultant Roger Diwan. « Ce n’est pas
une exagération de dire que l’in­
dustrie pétrolière fait face à sa crise
la plus grave des cent dernières
années » , a écrit le Financial Times.
Les Américains ont annoncé
qu’ils n’avaient pas l’intention
d’être des observateurs impassi­

bles de ce jeu de massacre. La
baisse des cours a déjà mis au
chômage des dizaines de milliers
de travailleurs au Texas, et risque
de conduire des dizaines de socié­
tés à la faillite – 70 % des acteurs
du pétrole de schiste pourraient
être concernés.
L’administration Trump multi­
plie les pressions sur Riyad et
sur le prince Mohammed Ben
Salman, dit « MBS », pour qu’il
cesse d’augmenter sa production.
Mercredi 25 mars, lors d’une con­
versation téléphonique avec le
prince héritier, le secrétaire
d’Etat américain Mike Pompeo a
pressé Riyad « de s’élever à la hau­
teur de la situation ».
Mais, pour les Saoudiens, ce
chaos est l’occasion rêvée de se
débarrasser des concurrents amé­
ricains. Le développement fulgu­
rant du pétrole de schiste, au
Texas notamment, a remis les
Etats­Unis au centre du jeu et créé
une situation inextricable pour le
royaume. Depuis 2014, l’augmen­
tation de la production améri­
caine est telle qu’elle menace tou­
jours de faire baisser les cours.

Pour éviter cette situation,
Riyad et Moscou ont dû s’impo­
ser, depuis 2016, des quotas
stricts, et perdre des parts de
marché. Un « piège du schiste »
pour les Saoudiens, contraints de
se placer eux­mêmes en varia­
ble d’ajustement du marché, au
risque de laisser une place à ces ri­
vaux américains – qui, eux, n’ont
jamais envisagé de réduire la
voilure. Or la guerre des prix peut
être sanglante pour le schiste
américain, parce que ses coûts
sont bien supérieurs, surtout si
le prix du baril s’installait dura­
blement sous les 30 dollars.

Urgence
La chercheuse de la Brookings
Institution Suzanne Maloney a
rappelé, sur Twitter, que les Etats­
Unis s’étaient déjà retrouvés dans
une situation similaire : « En 1986,
le président Reagan avait envoyé le
vice­président Bush à Riyad pour
plaider pour une fin de la guerre des
prix. Cela n’avait pas fonctionné à
l’époque, il y a encore moins de
chances que cela fonctionne
aujourd’hui. » L’Arabie saoudite a
pourtant intérêt à ne pas abîmer
sa relation avec Washington,
modère la spécialiste du pétrole
saoudien Ellen Wald, soulignant
« les intérêts économiques person­
nels de “MBS” aux Etats­Unis ».
Pour l’instant, Riyad n’a aucune
intention de se pénaliser pour
faire remonter les cours. D’autant
que Donald Trump s’est félicité de
la baisse des prix dans les sta­
tions­service et n’a pas mis en
place de plan important de sou­

tien à l’industrie du schiste en pé­
ril. Au point que, pour la première
fois, des contacts directs ont eu
lieu entre le secrétaire général de
l’Organisation des pays exporta­
teurs de pétrole (OPEP), le Nigé­
rian Mohammed Barkindo, et le
régulateur texan du pétrole, la
Railroad Commission of Texas.
Avec pour objectif de convaincre
les Américains de participer à une
réduction de production.
Cette perspective semble peu
réaliste : la loi américaine interdit
ce type de cartel, et le plus im­
portant lobby pétrolier aux Etats­
Unis, l’American Petroleum Insti­
tute, s’est opposé à cette option.
Mais l’existence même de ces
échanges montre l’urgence de la
situation pour les industriels
américains. D’autant que, selon
les analyses de la compagnie de
trading Vitol, l’ampleur de la
surproduction est telle qu’il fau­
drait que la Russie et l’Arabie
saoudite cessent totalement de
produire pour rétablir l’équilibre
du marché. Et que de nombreux
pays ont profité des prix bas pour
remplir leurs stocks.
Une situation alarmante pour le
directeur exécutif de l’Agence in­
ternationale de l’énergie, Fatih Bi­
rol, qui s’en est inquiété, jeudi,
dans un entretien aux Echos : « Les
citoyens du monde se souvien­
dront que des grandes puissances
qui avaient le pouvoir de stabiliser
l’économie de nombreux pays dans
une période de pandémie sans pré­
cédent ont décidé de ne pas l’exer­
cer. L’histoire les jugera. » 
nabil wakim

Le royaume
saoudien
a augmenté sa
production pour
accaparer le plus
de parts de
marché possible

Quand ils ont appris que le pre­
mier ministre voulait fermer les
marchés ouverts, c’était un peu
le dernier clou dans le cercueil.
Le rideau tombe sur les profes­
sionnels du petit commerce.
Bien sûr, ils ne sont pas les seuls,
mais leur capacité de rebond est
tellement faible. Depuis un an et
demi, le ciel leur tombe périodi­
quement sur la tête. Il y a d’abord
eu les « gilets jaunes », qui impo­
saient de fermer tous les week­
ends, puis les grèves qui ont pa­
ralysé les grandes villes. Et main­
tenant, le virus. Après l’appel
d’Edouard Philippe à la ferme­
ture des bars et restaurants, puis
de tous les commerces non ali­
mentaires, huit établissements
sur dix ont cessé toute activité,
en même temps que les rues
se vidaient de leurs passants.
Les petits commerces indépen­
dants représentent 600 000 éta­
blissements, plus de 1 million de
salariés et 3 millions d’actifs au
total. A eux seuls, ils fournissent
20 % de la richesse nationale, le
produit intérieur brut, soit deux
fois plus que l’industrie. On en
parle pourtant moins que de l’aé­
ronautique ou de l’automobile,
plus concentrée, donc plus visi­
ble. Laminés par seize mois de
troubles, beaucoup sont fragili­
sés à l’extrême. La confédération
qui les représente, Commerçants
de France, assure que 40 % de ses
adhérents n’ont aucun salarié.
Sans chiffre d’affaires et avec des
loyers qui tombent, et une tréso­

rerie parfois limitée à une
quinzaine de jours, leur survie
ne tient qu’à un fil.
Francis Palombi, le président de
Commerçants de France, recon­
naît que, sans soutien public,
plus de 50 % des établissements
et magasins pourraient mettre la
clé sous la porte.

Une tâche immense
Depuis, l’Etat a assuré qu’il n’y
aurait aucune faillite et a déployé
un arsenal de mesures, du fonds
de solidarité de 1 500 euros à
l’accès au chômage partiel dès le
premier salarié, le tout assorti de
la possibilité d’emprunter facile­
ment, avec la garantie de l’Etat
pour payer les charges qui tom­
bent, en dépit de l’absence de
revenus. Selon un sondage de la
confédération, près de 90 % des
commerces indépendants encore
ouverts ont formulé une de­
mande de chômage partiel.
L’exécutif, qui travaille à recapi­
taliser Air France, qui s’inquiète
de l’avenir de Renault ou de PSA,
doit donc aussi assurer les fins de
mois des marchands de bijoux ou
de chaussures, et celles du café du
coin. Une tâche immense, qui im­
pose de voir grand et de travailler
petit pour s’adapter à toutes les
situations. Nous voilà tout à coup
si loin du small state thatchérien,
qui a engagé la révolution libérale
des quarante dernières années.
Comme dans la guerre, l’Etat
se confond avec la nation. Il lui
reste à ne pas décevoir.

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