Le Monde - 28.03.2020

(Chris Devlin) #1

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SAMEDI 28 MARS 2020 argent| 15


Bourse : y a­t­il un bon moment pour investir?


Alors que des valeurs ont perdu jusqu’à 20 % en quelques jours, il peut être tentant de racheter des actions. Ce n’est pas aussi simple


A


vec un indice CAC 40
qui a dégringolé de
près de 38 % par rap­
port à son plus haut at­
teint le 19 février, les épargnants
les plus aguerris peuvent vouloir
profiter de la chute des actions et
vendre lorsqu’elles auront bien re­
monté. Piloter son portefeuille en
fonction des anticipations de
hausse et de baisse des cours, c’est
ce que l’on appelle le « market ti­
ming » dans le jargon. Or, les ré­
sultats sont rarement à la hauteur.
Pire, cette technique détruit de
la valeur. Dans une étude publiée
en décembre 2019, intitulée
« Mind the gap », le cabinet d’ana­
lyses Morningstar a comparé les
performances réalisées par les
fonds commercialisés en Europe
avec celles réellement obtenues
par les investisseurs particuliers.
Ces derniers font moins bien que
les gérants professionnels. Ils ac­
cusent une perte de 0,53 point de
pourcentage par an en moyenne
sur la période 2010­2018, soit un
manque à gagner de près de 5 %
au total. Pourtant, sur cette du­
rée, le contexte a été relative­
ment calme. « Les études menées
sur des périodes plus longues, in­
tégrant d’importantes crises fi­
nancières, montrent que les écarts
augmentent dans ces situations » ,
explique Mara Dobrescu, ana­
lyste chez Morningstar.
De nombreux biais comporte­
mentaux pénalisent les investis­
seurs, les incitant à agir à l’opposé
de leurs objectifs. « L’être humain a
tendance à prolonger les droites
et les tendances, explique Nicolas
Mouttet, responsable des rela­
tions partenaires chez Amiral Ges­
tion. Résultat, quand les marchés
montent, il achète, et quand les
marchés baissent, il vend. » Mais il
existe aussi le biais d’activité, qui
se révèle très pénalisant en pé­
riode de crise : l’investisseur va
avoir envie d’intervenir pour do­
miner la situation en cédant un ti­
tre pour un autre. « Il prend alors
des décisions irrationnelles, en

étant victime de ses émotions ou
d’une perception biaisée des faits » ,
résume Bertrand Lamielle, direc­
teur général de Portzamparc Ges­
tion. Pour lutter contre ces méca­
nismes, il faut en préambule avoir
adopté la bonne allocation entre
les actifs (actions, obligations...).
Cette dernière se détermine en
fonction de son horizon de temps.
Cela permet d’évaluer la part d’ac­
tions à détenir : plus on a du temps
devant soi, plus elle peut être im­
portante. « Nous recommandons à
nos clients de lister leurs échéances
financières et ensuite d’adopter la
bonne allocation pour chacune , dé­
taille Albert d’Anthoüard, direc­
teur de la clientèle privée de la fin­
tech Nalo. Sur deux ou trois ans, on
prendra très peu de risques mais,
sur vingt ans, il sera possible de dé­
tenir de 70 % à 100 % d’actions. »

Supports diversifiés
L’appétence au risque est aussi à
prendre en compte. « Quand nous
recevons un client, nous testons sa
capacité à accepter les aléas de
marché, explique Bertrand La­
mielle. Certains pourraient investir
davantage en Bourse étant donné
leur horizon de temps, mais ils ne
le supporteraient pas, donc nous
réduisons la voilure. »
Car la première consigne, lors­
que les marchés baissent, c’est de
faire preuve de patience... et d’im­
mobilisme! « Une société est un
actif réel, doté d’une valeur intrin­
sèque, rappelle Etienne Guicherd,
gérant analyste au sein de la so­
ciété Amiral Gestion. La Bourse
donne un prix quotidien à cet ac­
tif, alors que la valeur réelle n’évo­
lue pas aussi vite. Plutôt que de se
focaliser sur les cotations boursiè­
res à court terme, il convient de
déterminer où je place mon épar­
gne à long terme. Car, in fine, la
performance boursière va suivre
la performance économique des
entreprises. » D’ailleurs, l’étude
Morningstar démontre que les
fonds dont les investisseurs ti­
rent le meilleur sont les supports

diversifiés, combinant plusieurs
classes d’actifs. « Ces produits d’al­
location sont souvent utilisés
comme base de leur portefeuille et
il y a moins de mouvement
d’achat et de vente dessus » , souli­
gne Mara Dobrescu. Autre ensei­
gnement : les produits les plus
risqués sont aussi les plus mal
utilisés. Sur les fonds pour les­
quels les variations de cours peu­
vent être brutales, les investis­
seurs perdent leur sang­froid et
prennent de mauvaises décisions
d’achat et de vente, perdant ainsi
beaucoup de performance.
Pour réussir à prendre des déci­
sions rationnelles, mieux vaut
s’extraire du bruit ambiant plutôt

que de rester collé aux informa­
tions de marché. Les investisseurs
professionnels (caisses de retraite,
assureurs, etc.) regardent peu les
chiffres à court terme. Ils cher­
chent des performances prévisi­
bles et compréhensibles. Pour
cela, ils s’intéressent à la stabilité
de l’équipe qui pilote les fonds
dans lesquels ils investissent. Ils
vérifient que les résultats sont co­
hérents avec l’objectif et le proces­
sus de gestion. Quand ces critères
sont réunis, ils évitent de changer
d’investissement, car le long
terme doit être privilégié pour ti­
rer profit des meilleurs fonds.
Ainsi, un célèbre gérant de
fonds américain, Joel Greenblatt,
professeur à l’université Colum­
bia, a réalisé une étude sur les pro­
duits d’actions américaines entre
2000 et 2010. Il a analysé les résul­
tats des 25 % les plus performants
sur la période. Résultat, 97 % d’en­
tre eux s’étaient retrouvés dans la
mauvaise moitié pendant au
moins trois ans et 47 % d’entre

eux avaient été dans le dernier dé­
cile (les 10 % les plus mauvais)
pendant le même laps de temps.
Enfin, pour entrer progressive­
ment sur les marchés, il est possi­
ble de recourir aux versements
programmés. Cela consiste à ver­
ser régulièrement et automati­
quement une somme définie à
l’avance. Cette technique est utili­
sée pour lisser ses entrées sur les
marchés, c’est­à­dire ne pas ache­
ter au plus haut. Un bienfait
qu’Albert d’Anthoüard relativise.

« En investissant progressivement,
on augmente la possibilité de per­
dre de la performance. » Une ap­
proche que ne renierait pas le cé­
lèbre investisseur Warren Buffett,
à qui l’on attribue cette citation :
« Le meilleur moment pour inves­
tir était il y a vingt ans ; le
deuxième meilleur moment, c’est
maintenant. » Mais tout le
monde n’est pas Warren Buffett
et n’a pas forcément vingt ans de­
vant lui.
aurélie fardeau

F I N A N C E M E N T PA R T I C I PAT I F
Collecte record pour le crowdfunding en 2019
Une hausse de 56 % des fonds collectés a été observée
en 2019 sur le crowdfunding. Elle a atteint 629 millions
d’euros, selon le baromètre Mazars­Financement parti­
cipatif France, publié le 20 février. Toutes plates­formes
confondues (financement participatif, fonds de prêt
aux entreprises, cagnotte en ligne et « solidarité em­
barquée »), la collecte a représenté 1,4 milliard d’euros.
« Le crowdfunding confirme son rôle de financeur alter­
natif », observe Bertrand Desportes, associé, responsa­
ble de la plate­forme FinExp chez Mazars.

QUESTION  À  UN  EXPERT


Comment concilier les intérêts d’un


nouveau conjoint et ceux des enfants?


jean­françois lucq , directeur de l’ingénierie patrimoniale
de Banque Richelieu France

Si le ménage recomposé est une réalité grandissante, le nouveau
conjoint reste, aux yeux de la loi, un tiers vis-à-vis des enfants, ce
qui place son conjoint devant un dilemme délicat : favoriser une
transmission à ses descendants excluant son conjoint, ou trans-
mettre un patrimoine à ce dernier, avec le risque d’une taxation à
60 % lors de la retransmission à ses descendants. Pourtant, des
stratégies d’optimisation existent.
D’abord, en cas d’entente familiale excellente, une adoption sim-
ple permet aux enfants de devenir héritiers en ligne directe du
conjoint, sans perdre leurs droits dans leur famille de sang.
Ensuite, la transmission au profit du conjoint peut se limiter à l’usu-
fruit des biens. A l’extinction de celui-ci, les enfants deviendront pro-
priétaires en franchise de droits. Avec les transmissions graduelles ou
résiduelles, le conjoint peut léguer un patrimoine à son époux, avec
faculté (ou obligation) de le redonner à ses enfants dans un second
temps. Au second décès, la transmission s’opérera avec des droits de
succession en ligne directe. Enfin, l’emploi des sociétés civiles est
également utile, car les clauses d’agrément peuvent permettre au
conjoint survivant de s’opposer à l’entrée des enfants au capital,
à charge pour lui de les indemniser de la contre-valeur des parts.

LA PREMIÈRE CONSIGNE, 


C’EST DE FAIRE PREUVE 


DE PATIENCE... 


ET D’IMMOBILISME


1  045 %
C’est la performance cumulée qu’un investisseur aurait réalisée
en misant sur le S&P 500 (l’indice basé sur 500 grandes entreprises
cotées sur les Bourses américaines) entre janvier 1993 et juin 2019,
selon une étude de Fidelity International. En passant à côté des
cinq meilleurs jours de Bourse sur les 6 671 séances de la période,
la performance descend à 659 %. En ratant les trente meilleures
séances, elle tombe à seulement 133 %.

CLIGNOTANT

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