Le Monde - 28.03.2020

(Chris Devlin) #1
0123
SAMEDI 28 MARS 2020 coronavirus | 9

Maternité : des contraintes qui angoissent les parents


Face à l’afflux de malades, les établissements doivent jongler entre protection des soignants et souhaits des patientes


L’


angoisse qui la tenaillait
depuis des jours s’est
doublée d’un sentiment
d’abandon. Betty (son
prénom a été modifié), enceinte
de huit mois, s’est d’abord inquié­
tée pour sa santé et celle de ses en­
fants, alors que son conjoint conti­
nuait à se rendre au travail, à Col­
mar (Haut­Rhin), l’un des princi­
paux foyers de l’épidémie de
Covid­19. Puis elle a appris, coup
sur coup, l’annulation de l’ensem­
ble de ses rendez­vous gynécologi­
ques, de ses cours de préparation à
l’accouchement et l’interdiction
des visites après la naissance. Mais
c’est un post Facebook qui a
achevé de la « vider » : Betty y a dé­
couvert, lundi 23 mars, que l’hôpi­
tal Pasteur de Colmar n’acceptait
plus la présence des conjoints lors
de la mise au monde.
« J’ai pleuré deux jours non­stop.
Pour moi, c’est inenvisageable
d’accoucher sans mon mari, sur­
tout en cette période de grande an­
xiété. J’ai besoin de m’accrocher à
lui si je vacille » , témoigne la jeune
femme de 34 ans, dont la gros­
sesse doit arriver à terme le
28 avril. Après avoir envisagé l’ac­
couchement à domicile, cette
mère au foyer a fini par trouver
une clinique privée qui maintient
la présence des pères. « On est sou­
lagés même si je me prépare à ce
que ça ne soit plus possible. »
Un « ascenseur émotionnel per­
pétuel » que ressent également Ju­
liette, 32 ans, qui doit accoucher le
20 mai aux Bluets, à Paris. « La se­
maine dernière, on m’a dit que mon
conjoint ne pourrait pas assister à

l’accouchement, lundi qu’il pour­
rait être présent quelques jours,
mardi qu’il ne resterait finalement
que deux heures après la nais­
sance », confie cette responsable
dans la communication. Florence,
28 ans, dont le terme est prévu le
12 mai à Maubeuge (Nord) et qui
risque une césarienne en raison
d’un bébé « en siège », s’est faite à
l’idée qu’elle ne vivra pas « l’accou­
chement dont elle avait rêvé pour
[son] premier enfant ».
Comme elles, des milliers de
femmes enceintes oscillent entre
angoisse et soulagement, détresse
et colère. Leurs interrogations et
leurs inquiétudes tournent en
boucle dans leurs conversations,
sur les réseaux sociaux ou sur les
forums. Comment va se dérouler
le suivi de grossesse? Et l’accou­
chement? Si on est contaminée, le
bébé est­il en danger?
« Les femmes enceintes n’ont pas
plus de risques d’avoir une forme
grave de Covid­19, rassure d’em­
blée Philippe Deruelle, chef du
pôle de gynécologie obstétrique
des hôpitaux universitaires de
Strasbourg. Mais, si elles sont
contaminées, elles peuvent avoir
plus de difficultés à respirer puisque
l’utérus empêche le diaphragme de

descendre correctement, ce qui
augmente légèrement le risque de
césarienne. » La fièvre peut égale­
ment provoquer des fausses cou­
ches en fin de grossesse. En revan­
che, aucune transmission placen­
taire du coronavirus de la mère au
bébé n’a été observée.

Sorties précoces
Pour le reste, les réponses aux
questions que les femmes encein­
tes se posent sont d’autant plus
difficiles à obtenir que les hôpi­
taux, qui ont dû bouleverser leurs
protocoles, s’adaptent au jour le
jour. Toutes les maternités ont an­
nulé les cours de préparation à
l’accouchement, remplacés par
des visioconférences ou transférés
aux sages­femmes libérales. Les
examens de suivi de grossesse,
lorsqu’ils sont maintenus à l’hôpi­
tal, sont réalisés en présence de la
femme seule. Enfin, les visites
sont interdites après la naissance.
Mais pour la question de la pré­
sence du partenaire, qui cristallise
le plus les angoisses des parturien­
tes, les situations diffèrent selon
les établissements.
L’enjeu est complexe alors que
les maternités, qui font face à un
afflux de malades du Covid­19,
doivent jongler entre protection
des soignants et respect des sou­
haits de leurs patientes. A Stras­
bourg, malgré une situation « ten­
due » depuis le 20 mars, les équi­
pes ont maintenu la présence des
partenaires lors de l’accouche­
ment, y compris pour les femmes
enceintes testées positives au
SARS­CoV­2, grâce à un protocole

précis. « Le père, qui ne peut être
présent en cas de césarienne, est
confiné en salle d’accouchement,
ne peut sortir pour boire, manger
ou fumer, et doit repartir deux heu­
res après la naissance » , détaille
Philippe Deruelle. La maternité fa­
vorise par ailleurs les sorties pré­
coces de la mère et de l’enfant lors­
que tout s’est bien passé, le plus
souvent dès le lendemain − contre
trois jours auparavant.
Le dispositif est identique à la Pi­
tié­Salpêtrière, à Paris. « A la mater­
nité, tout le monde (soignants, pa­
tients et accompagnants) porte un
masque. Mais on a mis trop de
temps pour prendre ces mesures
drastiques ainsi que le confinement
en salle de naissance » , regrette le
gynécologue obstétricien Jacky
Nizard, qui déplore une dizaine de
soignants contaminés. Comme à
Strasbourg, une équipe est consa­
crée à l’accouchement des fem­
mes positives au SARS­CoV­2. « Ce
personnel reste en tenue de protec­
tion toute la journée, et ne va pas
voir d’autres femmes non contami­
nées » , précise­t­il. Le médecin, ac­
compagné par une collègue ou
une sage­femme, diffuse tous les
jours des vidéos sur YouTube pour
informer et rassurer.
Si les chefs de service de l’AP­HP
sont convenus de ne pas interdire
la présence des pères de manière
systématique, leur maintien n’est
pas toujours possible. A l’hôpital
Bichat, à Paris, les conjoints ne
sont plus autorisés tandis qu’à
l’hôpital Louis­Mourier, à Colom­
bes (Hauts­de­Seine), leur pré­
sence a été suspendue, « en atten­

dant de voir si l’on peut trouver un
protocole permettant d’assurer les
conditions de sécurité nécessaires à
nos personnels, mais aussi aux pa­
tientes et à leurs conjoints » , expli­
que Laurent Mandelbrot, le chef
du service de gynécologie obsté­
trique, qui déplore déjà six soi­
gnants malades dans son équipe.
Dans les maternités d’Epinal et de
Remiremont (Vosges), le parte­
naire n’est accepté que lors de
« l’expulsion » de l’enfant.
« Chaque maternité essaie de
s’organiser comme elle peut, mais
il est important de proposer rapi­
dement un accompagnement aux
mères , estime Kristelle Cardeur,
doula (accompagnatrice de fem­
mes enceintes) à Avignon. Le fait
que le seuil de stress reste bas est
nécessaire au bon déroulé de la
naissance. Sans bonne prépara­
tion et écoute, on s’avance vers des
problèmes de santé physique et
psychique pour les femmes, avec
un risque de dépression. » L’OMS a
rappelé, le 21 mars, que les fem­
mes avaient le droit à un accou­

chement « sûr et positif » , ce qui
implique d’être accompagnée par
la personne « de leur choix ».
Pour les conjoints, l’interdiction
d’accès à la maternité est doulou­
reuse. C’est ce qu’a expérimenté
Lionel, le 21 mars, lors de la nais­
sance de son fils à l’hôpital Trous­
seau, à Paris. Quarante minutes de
peau à peau, soixante­quinze mi­
nutes tous les trois – « c’était magi­
que » –, puis le brutal retour à la
réalité et à la maison. « Ma compa­
gne est épuisée après quarante heu­
res d’un accouchement qui a fini en
césarienne, elle n’arrive pas à allai­
ter et je ne peux rien faire pour
l’aider, souffle­t­il. Même si le per­
sonnel est top, c’est très dur de lais­
ser mon fils à la sage­femme alors
que ce serait à moi de le garder. »
Si tous comprennent la nécessité
de protéger le personnel de santé,
ils déplorent la manière dont la
communication est réalisée. « Ce
que je ne comprends pas, c’est la
violence des annonces – souvent un
simple e­mail automatique – , le peu
d’espace laissé au dialogue et la dif­
ficulté à vérifier les informations » ,
souligne Juliette, qui se félicite
malgré tout que les Bluets aient
fini par mettre en place un forum
pour répondre aux interrogations.
Jeudi 25 mars, le Collectif interas­
sociatif autour de la naissance a
mis en place une écoute télépho­
nique bénévole et gratuite pour ré­
pondre aux questions des femmes
qui ont accouché ou qui sont pro­
ches du terme. Juliette, elle, a dé­
sormais décidé de prendre de la
distance, pour se « protéger » .
audrey garric

« Pour moi, c’est
inenvisageable
d’accoucher
sans mon mari »,
témoigne Betty

Si les parents
comprennent
la nécessité
de protéger
le personnel,
ils déplorent
la manière dont
la communication
est réalisée

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