Libération Lundi 23 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 11
Les faits
du jour
nEn Iran, d’après les données
fortement contestées du
gouvernement, le Covid-
a fait 1 685 morts et contaminé
20 600 personnes. Jeudi,
le porte-parole du ministère de
la Santé, Kianouche Jahanpour,
avait pourtant évoqué un
rythme de 50 nouveaux cas
chaque heure, pour «un mort
toutes les dix minutes».
nIrak : un couvre-feu général
a été déclaré jusqu’au 28 mars.
nSur le continent africain :
le confinement devient général
en Tunisie et au Rwanda.
L’Ouganda et l’Erythrée ont
annoncé ce week-end leurs
premiers cas. Et la Tanzanie,
l’Ethiopie et Maurice ont fait
état de cas supplémentaires. Le
Kenya, qui a fait état dimanche
de huit nouveaux cas (quinze au
total), a annoncé la suspension
des vols internationaux
dès mercredi, à l’exception des
vols cargo. Au Nigeria,
deux aéroports internationaux
et des liaisons ferroviaires
ont été fermés samedi.
nAu Royaume-Uni, la
propagation du Covid-
«s’accélère», prévient le
gouvernement alors que la
population a été nombreuse
à fréquenter parcs et bords
de mer ce week-end. Les plus
fragiles sont appelés à rester
confinés pendant trois mois.
nAmérique latine : après
le Venezuela, l’Argentine et le
Salvador, la Bolivie est entrée en
confinement dimanche, et sera
suivie à partir de mardi par la
Colombie. Tout comme l’Etat
brésilien de São Paulo pendant
quinze jours.
nEtats-Unis : un plan d’aide
économique de plus de
1 000 milliards de dollars
est actuellement négocié entre
les chefs républicains
et démocrates du Congrès,
et l’administration Trump.
A 17 heures dimanche, plus
de 27 000 cas de coronavirus
étaient recensés dont 347 morts.
nAu Canada, l’aide d’urgence
de 80 milliards de dollars
débloquée n’est qu’un «premier
pas». La progression de
l’épidémie s’est nettement
accélérée avec près de 1 400 cas
et 19 morts dimanche matin.
nLa Thaïlande a recensé
dimanche 188 nouveaux cas,
la plus forte augmentation
quotidienne depuis le début
de la pandémie.
nEn Inde, un couvre-feu d’une
journée a été établi dimanche.
Jusqu’ici, 320 cas ont été
recensés, un chiffre qui serait
largement sous-estimé.
nA la demande de l’Union
européenne, le débit des
vidéos sur Facebook et
Instagram va être bridé
pour éviter une congestion
de l’Internet en Europe. Jeudi
et vendredi, Netflix et YouTube
avaient annoncé la même
décision pour trente jours.
I
mpossible d’accéder dans la maison de re-
traite Casasolar, un immeuble moderne si-
tué près du Paseo de la Florida et de la ri-
vière Manzanares, dans un Madrid récemment
réaménagé : «On ne laisse entrer personne, dé-
solé !» nous dit-on à l’hygiaphone. Ce matin-là,
on peut cependant voir des assistants sani-
taires s’en extraire à toute vitesse. L’un d’eux,
un quadragénaire à l’air apeuré, laisse échap-
per : «C’est une situation de fous. Les assistants,
nous nous en allons les uns après les autres car
nous n’avons pas de matériel de protection, ni
masques ni gants. Et les seniors, eux, restent
tout seuls, livrés à leur sort.» Au téléphone, la
directrice, Tamara, est au bord de la crise de
nerfs, ayant décidé de rester dormir sur place
ces dernières nuits : «Nous sommes totalement
abandonnés par la santé publique, les hôpitaux,
les aides extérieures. Je ne sais pas comment on
va s’en sortir !» Elle a essayé d’avertir la Fonda-
tion Jiménez-Díaz, un grand hôpital voisin
bien équipé, mais personne n’est venu à ce jour
prêter main-forte.
Sans illusions
Dans cette maison de retraite hébergeant une
centaine de pensionnaires, les symptômes ty-
piques du coronavirus, toux sèche et fièvre, ont
été détectés jeudi chez six personnes âgées. Et
bien qu’elles aient été isolées, on comptait di-
manche matin 27 contaminés. «Et cela va
continuer à coup sûr, dit un infirmier à l’inté-
rieur, joint par téléphone. Nous n’avons aucun
moyen de freiner la contagion. On a tiré la son-
nette d’alarme au ministère régional de la
Santé, et ils nous disent qu’ils ne peuvent rien
faire et que les hôpitaux de la ville sont débor-
dés !» Nuria Vaquero, une maîtresse d’école
dont le père, âgé de 79 ans et atteint de la mala-
die d’Alzheimer, se trouve à Casasolar avec des
symptômes avancés, ne se fait pas d’illusions :
«Je sais déjà que mon papa va mourir ici et que
je ne pourrai pas le voir pour un dernier adieu.
Mais ce qui me fend le plus le cœur, c’est que lui
et les autres ne sont plus pris en charge, ou si
peu. Lorsque son état sera plus grave, il y a de
fortes chances qu’il ne soit pas intubé et qu’on
ne lui administre pas de sédatifs pour qu’au
moins sa mort soit indolore.»
Dans un pays parmi les plus touchés dans
le monde par le vieillissement de la population
(20 % des citoyens ont plus de 65 ans,
contre 10 % il y a quarante ans), la tragédie
s’abat sur les maisons de retraite, qui hébergent
375 000 pensionnaires et emploient 175 000 soi-
gnants. Tout particulièrement à Madrid, qui en-
registrait dimanche près des deux tiers des dé-
cès causés dans le pays par le Covid-19. L’alerte
avait tout d’abord été donnée mercredi, lorsque
la direction de la residencia («maison de re-
traite») Monte Hermoso parlait de 19 victimes
et 75 personnes contaminées – sur 130 – dans
leur centre. Depuis, les autorités régionales ont
tenté de minimiser l’effet domino dans les dif-
férentes maisons de retraite et autres foyers de
personnes âgées, où les patients présentent des
symptômes. Dimanche, finalement, elles ont
admis que la propagation se produisait à la
vitesse de l’éclair. Sur 455 établissements, au
moins 61 seraient touchés par le coronavirus.
Le quotidien El País a calculé qu’une centaine
de décès auraient déjà eu lieu, dont la moitié en
seulement deux jours, tout en indiquant que le
bilan réel pourrait être bien supérieur, les dé-
pistages ne se faisant pas. Samedi, la municipa-
lité de Madrid a annoncé que 11 residencias fe-
raient l’objet d’une fumigation de la part des
UME, les unités militaires d’urgence, chargées
de porter assistance à la population en cas de
catastrophe.
Obsèques restreintes
Cette situation dramatique pose des cas de
conscience aux fils et petits-fils. Que faire?
Laisser à l’abandon ses parents dans les
centres? C’est l’attitude la plus fréquente, dans
la mesure où il est prohibé d’y pénétrer. Sur la
radio Ser, le garde civil Fernando Collado disait
avoir ainsi dû attendre la mort de son père in-
terné à Valdemoro, au sud de Madrid. «Ils m’ont
dit qu’il est parti sans souffrance. Mais c’est une
sensation étrange parce qu’on peut penser qu’ils
se sont trompés, ou qu’ils ne disent pas la vérité.
Pour moi, et pour tant d’autres, cela va être très
difficile de faire notre deuil, car je n’ai pas pu le
voir s’en aller.» Lorsque les enterrements peu-
vent se faire, ils sont limités à une assistance de
dix personnes. Pour la majorité des décès dans
les maisons de retraite, il faut procéder à la va-
vite, de façon protégée, et la plupart des pro-
ches optent pour une incinération dans l’un des
24 crématoriums de la capitale. Face à l’afflux
de morts, les services funéraires recomman-
dent de rediriger les proches de victimes vers
les crématoires de Ségovie et de Tolède.
Certains refusent par ailleurs de laisser leurs
parents livrés à eux-mêmes. Ainsi Rebecca Gu-
tiérrez, dont la mère de 78 ans, atteinte d’un
début d’Alzheimer, est internée dans la maison
de retraite de Campo Real. Elle s’est portée vo-
lontaire auprès de la résidence pour le soin des
patients, dont sa mère, et cherche depuis un
endroit où se faire tester au coronavirus. «Ma
mère ne peut pas mourir avant que je la voie,
c’est impossible. D’une manière ou d’une autre,
je vais réussir à entrer.»
François Musseau
Correspondant à Madrid
En Espagne, les maisons
de retraite touchées de plein fouet
Malrgé des mesures de
confinement, l’épidémie
progresse rapidement dans
les foyers de seniors, causant
de nombreux décès en raison
du manque de moyens.
Un hôpital provisoire installé dans le centre de congrès Ifema, à Madrid. Photo Communauté DE MADRID. AFP