Libération - 23.03.2020

(National Geographic (Little) Kids) #1

Libération Lundi 23 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 7


gnant, mais cette information me
paraît essentielle.
Cela est-il transposable?
Tout est transposable, ou adaptable.
Ce que je veux pointer, c’est que ce
qui a été réalisé en Chine ne renvoie
pas à des pratiques d’extraterres-
tres. Bien sûr, il peut y avoir d’autres
considérations, culturelles, poli­-
tiques, de moyens aussi. Les Anglais
ont, ainsi, pris une approche diffé-
rente, ce qui est légitime en soi.
C’est une question qui se pose pour
chaque pays. En France, il a été dé-
cidé un confinement, qui est très
important. Cela suffira-t-il pour ar-
rêter l’épidémie, et dans quels dé-
lais? Ce qui est sûr, c’est que le mo-
dèle chinois reposait aussi sur ce
micromanagement. Mais je ne vis
pas en France, il y a des contraintes
particulières que je ne connais pas.
Je répondais à une question ;
peut-on arrêter l’épidémie? Oui, on
peut l’arrêter, comme l’atteste
l’exemple de la Chine.
Quels sont les scénarios envisa-
geables en France?
La France a maintenant pris des
mesures de confinement strict. On
sait qu’il est trop tard pour limiter
l’épidémie comme cela a été le cas
en Chine hors Hubei ou en Corée
du Sud. Mais l’épidémie peut être
stoppée dans quatre à six semaines,
entre la mi et la fin avril. Cela dé-
pendra de l’application des me­-
sures de confinement généralisé et
de la gestion des cas symptoma­-
tiques et autour d’eux, selon la dis-
ponibilité des tests. Pour autant,
au-delà des prévisions, il faut être
patient, ne pas se décourager de-
vant la multiplication des cas. Et
ne pas baisser les bras. Je le redis,
l’exemple chinois montre qu’il est
parfaitement possible de l’arrêter
et de l’endiguer complètement si
on ne se contente pas de tenter de
vouloir «l’écrêter» ou de «l’étaler».
Comment expliquez-vous les
fortes différences épidémiques
entre la France, l’Allemagne,
l’Italie et l’Espagne?
Il y a une foule de raisons. Prenons
la question des tests. On peut tester
pour quatre raisons. Pour des rai-
sons cliniques, c’est-à-dire pour soi-
gner individuellement. Ou bien
pour avoir des données dans l’opti-
que d’une surveillance globale. Ou
encore pour tester dans un but, là,
de micromanagement autour de
chaque cas symptomatique. Ou en-
fin pour effectuer du dépistage assez
librement. C’est cette dernière ap-
proche que les Allemands ont choi-
sie, dépistant des personnes infec-
tées qui restent asymptoma­tiques et
qui sont ainsi beaucoup plus jeunes,
ce qui explique le faible taux de
mortalité observé ; tout cela joue.
Les Espagnols ont été dé­passés, ils
veulent désormais, par exemple, ré-
quisitionner les hôtels pour les per-
sonnes peu symptomatiques pour
ne pas engorger les hôpitaux nor-
maux. C’est une bonne idée pour
soulager les foyers où une personne
est malade. En France, il y a la mé-
decine de ville, c’est un atout consi-
dérable. Chaque pays ne peut gérer
cette guerre qu’en s’adaptant avec
ses propres forces.
Recueilli par
Éric Favereau

La promenade
des Anglais
à Nice,
samedi, après
l’instauration
du couvre-feu.


I


l est 23 heures samedi. Sur l’avenue
Jean-Médecin, l’axe le plus passant
de Nice, des bruits insoupçonnés
­réapparaissent. Le ronron d’une armoire
électrique, la soufflerie de l’aération d’un
magasin et les chats qui se battent au
loin. Seuls Haikel et Jeff (1) se baladent
encore. Le premier rentre du travail, le
second sort son chien. Si le centre-ville
est silencieux et désert, c’est qu’un arrêté
municipal impose désormais le couvre-
feu de 23 heures à 5 heures, à trois excep-
tions près : les déplacements profession-
nels, les raisons de santé et l’assistance
d’urgence à une personne vulnérable.
Exit donc les attestations pour faire du
sport ou descendre les poubelles : à Nice,
elles ne fonctionnent plus la nuit.

Drone. «C’est trop. On dirait une ville de
zombies, ça fait peur, estime Haikel. C’est
abusé.» Jeff tient la laisse d’une main et
son portable de l’autre. Il filme : «On se
croirait dans un autre monde, c’est hallu-
cinant, dit-il. Ce n’est pas le virus qui fait
peur, c’est l’ambiance.» Jeff rentre chez
lui «avec onze minutes de retard» : il s’ex-
pose à une amende de 38 euros pour
non-respect du couvre-feu.
A Nice, les plages, la promenade des
­Anglais et les marchés sont déjà fermés.

Un drone survole la ville pour s’assurer
du respect de ces nouvelles règles. Sortir
la nuit fait désormais partie de ces inter-
dits. «On a eu pas mal de signalements té-
léphoniques ou par mail qui nous ont fait
état de personnes qui déambulaient en-
core le soir, justifie auprès de Libération
Richard Gianotti, directeur de la ­police
municipale niçoise. Et dans cer-
tains quartiers, des trafics généraient
des attroupements.» Pourquoi ne pas
­commencer le couvre-feu à 20 heures,
comme prévu initialement? «Les maga-
sins alimentaires ferment à 22 heures, des
vols arrivent à 22 h 30, des trains aussi,
explique-t-on au cabinet du maire. Les
gens ne doivent pas se rassembler et traî-
ner mais rentrer chez eux.»
Christian Estrosi a été le premier à dé-
gainer. D’abord évoqué dans une inter-
view au JDD puis confirmé au 20 heures
de France 2, le maire LR de Nice a an-
noncé son couvre-feu dès vendredi, et
l’a mis en place samedi. «Je pense que
Christian Estrosi veut occuper l’espace,
raille le président de la section niçoise
de la Ligue des droits de l’homme, Henri
Busquet. Il veut être présent et il est très
fort pour ça.» C’est que le maire LR de
Nice est un habitué des arrêtés chocs :
il a déjà pris des mesures contre la «men-
dicité agressive», «anti-bivouac» ou en-
core contre les drapeaux et les instru-
ments à la sortie des mariages. Depuis
vendredi, une dizaine de villes, dont
Montpellier, Perpignan ou Béziers, ont
instauré un couvre-feu dans la foulée
d’Estrosi (qui a obtenu 47,62 % des
voix au premier tour des municipales

le 15 mars). Et dimanche, la préfecture
des Alpes-Maritimes a signé un arrêté
de couvre-feu s’appliquant aux com-
mune du littoral et aux villes de plus de
10 000 habitants du dépar­tement.
«Couvre-feu : le terme rappelle des pério-
des plus sombres, admet le députe LREM
des Alpes-Maritimes Cédric Roussel. Il
n’y a pas de polémique à avoir. Au-
jourd’hui, très clairement, ma position
c’est l’unité et la réactivité. Moi qui ne
sors pas, quand je vois qu’on est ­cités en
contre-exemple avec les personnes qui se
baladent sur la promenade des Anglais...
Il faut faire preuve de civisme. Après le
temps de l’autoresponsabilité ­nécessaire
vient le temps de la sanction. Il serait
même souhaitable d’avoir une ­vision plus
large, au niveau des ­bassins de vie.»

«Cités». Certains responsables po­-
litiques souhaitent, eux, des mesures
­nationales, telle Marine Le Pen qui de-
mande «l’instauration d’un couvre-feu
à partir de 20 heures» sur tout le terri-
toire. Eric Ciotti prônant, lui, sa mise en
place «dans certains quartiers touris­-
tiques et dans certaines cités communau-
tarisées». Jusqu’ici, le secrétaire d’Etat
auprès du ministre de l’Intérieur, Lau-
rent Nuñez, affirme que «le couvre-feu
n’est pas envisagé». Dans la nuit de sa-
medi à dimanche, 9 amendes ont été
dressées par la police municipale niçoise
et 46 à Perpignan.
Mathilde Frénois
Correspondante à Nice
Photo Laurent Carré
(1) Les prénoms ont été modifiés.

Couvre-feu à Nice : «Des gens


déambulaient encore le soir»


Habitué des arrêtés chocs,
le maire LR, Christian
Estrosi, a mis en place
la mesure samedi soir.
Plusieurs villes, dont Béziers,
Montpellier et Perpignan,
ont fait de même.

L’


heure est à l’exégèse.
Qu’est-ce qu’un sec-
teur essentiel d’acti-
vité dont les salariés seraient
donc attendus quoiqu’il ar-
rive à leur poste? Le groupe
parlementaire Les Républi-
cains formule à cet égard une
question qui a tendance à re-
venir en boucle : «Quelles sont
les entreprises indispensables
au fonctionnement du pays ?»
Formulation similaire du
Conseil national de l’ordre
des architectes à l’intention
d’Edouard Philippe : «Nous
vous demandons, monsieur le
Premier ministre, des expli-

cations claires à même de ré-
pondre aux attentes de deux
millions d’actifs.»
Mais il faudra encore patien-
ter pour avoir des réponses
précises. «Pas question de
dresser des listes précises nous
risquerions d’oublier des mé-
tiers», indique-t-on dans
l’entourage du ministre de
l’Economie, Bruno Le Maire.
Tout en rappelant que «des
secteurs comme l’eau potable,
l’électricité, les réseaux infor-
matiques et télécoms ou en-
core les transports font partie
des activités indispensables».
Les entreprises sont donc
renvoyées par l’exécutif à
«leur sens des responsabili-
tés», au moment même où la
CGT annonce un premier dé-
cès dans le secteur du com-
merce et «appelle tous les sa-
lariés à exercer leur droit de
retrait dès lors qu’ils crai-
gnent pour leur santé».
La réponse aux questions po-
sées par les employeurs

comme par les employés
pourrait être fournie au cas
par cas à la lumière d’accords
conclus entre les pouvoirs
publics et les organisations
professionnelles. Ainsi la fé-
dération FO des transports
routiers a levé, ce dimanche,
son appel au droit de retrait.
Après des discussions avec le
ministère des Transports, du-
rant le week-end, un modus
vivendi a été trouvé autour de
la réouverture des parkings
sur les autoroutes et le net-
toyage des sanitaires. Par
ailleurs, l’interdiction de faire
payer les douches aux chauf-
feurs a également été actée.
Dans le bâtiment, trois fédé-
rations professionnelles et le
ministère de la Transition
écologique ont trouvé un ter-
rain d’entente pour «renfor-
cer la continuité de l’activité
[...] et la poursuite des chan-
tiers». Tout d’abord les règles
essentielles de protection des
salariés du BTP vont être rap-

pelées dans un guide des
bonnes pratiques. «Ce guide
sera présenté ce lundi au mi-
nistère du Travail pour vali-
dation, précise Patrick
Liébus président de la Confé-
dération des petites entrepri-
ses du bâtiment (Capeb). Il
rappellera notamment les
trois mesures obligatoires de
protection : le port de lunet-
tes, de gants et de masque.»
Les interventions d’urgence
sur des chaudières en panne,
ou des ascenseurs bloqués
devraient avoir un caractère
prioritaire.
Une certitude, semble-t-il,
dans ce flot de questions, l’in-
terdiction pour les apprentis
de participer aux travaux : «Il
est hors de question d’avoir
des apprentis présents sur les
chantiers et si le gouverne-
ment ne prend pas position
sur cette question, il en por-
tera la responsabilité», pré-
vient le président de la Capeb.
Franck Bouaziz

Flou gouvernemental autour


des «secteurs essentiels d’activité»


Malgré l’insistance
des professionnels,
le ministère de
l’Economie ne veut
pas publier de liste
des corps de métier
censés travailler
quoi qu’il arrive.
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