Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 15
L’été dernier, Inchy-en-Artois,
un village de 630 habitants
coincé entre le Nord et le Pas-
de-Calais, a fait parler de lui.
Michel Rousseau, le maire,
63 ans, retraité de l’agricul-
ture, avait affiché à l’entrée de
sa commune cet avertisse-
ment : «Ici, nous avons des clo-
chers qui sonnent régulière-
ment, des coqs qui chantent
très tôt, des troupeaux qui vi-
vent à proximité.» Les camé-
ras avaient alors rappliqué et
les habitants étaient contents
de se voir à la télé.
Quelques mois plus tard, Mi-
chel Rousseau, le bagout fa-
cile et la poigne solide, expli-
que que l’idée avait été piquée
au maire d’une commune du
Gard après l’affaire du coq
Maurice, autorisé par la jus-
tice à chanter à l’heure de son
choix sur l’île d’Oléron. Il ra-
conte : «A Inchy, un habitant
râlait parce que le coq l’empê-
chait de se reposer à 5 heures
du matin. Mais lui faisait
tourner son camion pendant
un quart d’heure à la même
heure. Et là, c’était normal,
parce qu’il partait travailler.»
Cela s’est fini par la mort du
volatile, dans des circonstan-
ces suspectes. Un tir de che -
vrotine, soupçonne-t-on. De-
puis, la basse-cour ne compte
que des poules, et tout se
passe au mieux.
Sabrina Duvauchelle, la gé-
rante du café d’en face, le
seul qui reste dans la com-
mune, approuve l’initiative
du maire : «Ici, on n’est pas un
village terroir !» Ce café, ça a
été l’un des gros projets du
mandat. Un rachat par la
commune du fonds de com-
merce pour éviter sa ferme-
ture et le mettre en location-
gérance. Au sein du conseil
municipal, le projet en a fait
frémir certains, pour qui ce
n’est pas le rôle de la mairie
d’encourager la consomma-
tion d’alcool et de tabac.
Mais Rousseau a tenu bon :
«Avant, il y avait quatre cafés,
deux boulangeries, deux bou-
cheries, une charcuterie et
deux épiceries. Tout ça a dis-
paru au profit de la grande
surface.» Aujour d’hui, tout le
monde est bien content de
s’arrêter au bar-tabac. Un
jeune homme se pointe, il
doit acheter cinq paquets de
Gauloises pour un monsieur
sous tutelle. Pour payer, il
donne un coupon. Mais com-
ment se faire rembourser? La
gérante demande au maire
de lui expliquer la procédure.
Dans ces petits villages,
l’édile sert à tout.
A la tête de la commune de-
puis 2004, Michel Rousseau
se représente cette année. Il
n’y a pas d’autre liste. «Cer-
tains me disent que je suis
centre-gauche, d’autres cen-
tre-droit», dit celui qui a inté-
gré le groupe En marche au
département. Sur les 15 mem-
bres du conseil municipal,
9 ne rempilent pas. Il a sur sa
nouvelle liste «une équipe ra-
jeunie, avec beaucoup de per-
sonnes de moins de 40 ans»,
précise-t-il. Un bon signe. De
toute façon, son village va
bien, les maisons en vente
partent facilement.
Avec les réseaux sociaux, la
vie du maire ne s’est pas ar-
rangée : «Ça donne des idées à
ceux qui s’ennuient un peu.
Mais ils ont vu que je ne mar-
chais pas là-dedans.» Rous-
seau est réfractaire aux râ-
leurs, c’est comme ça. Il est né
ici, et sans vouloir «retourner
en 1900», il regrette le temps
où «le maire, l’instituteur et le
curé étaient respectés». Il sou-
pire, à la table du conseil mu-
nicipal : «C’est fini. Pour cer-
tains, le maire est un con.»
STÉPHANIE MAURICE
(à Lille)
A Inchy-en-Artois, le défenseur
des coqs en campagne
CÉDRIC VILLANI
candidat dissident LREM
REUTERS à la mairie de Paris
En périphérie d’Avignon,
la petite ville du Pontet
est tombée dans le giron
du Front national en 2014
après des décennies de
règne de la droite. Le maire,
Joris Hébrard, n’a gagné
qu’à sept voix près, mais
après l’annulation de l’élec-
tion par le Conseil d’Etat,
a remporté largement le
s c r u t i n d e m a i 2 0 1 5
(59,43 %).
Au bilan, une forte baisse de
la dette communale, une
police municipale renforcée
au service d’une active poli-
tique sécuritaire, ou encore
le refus de construire des
logements sociaux. Ce qui
vaut des pénalités à la petite
ville de 17 500 habitants. En
projet par ailleurs, un im-
portant aménagement ur-
bain du centre-ville. Mais on
retient surtout la volonté de
minimiser l’appel à la haine
contre les musulmans lancé
en juillet par
un conseiller
municipal RN
du Pontet, écarté de la nou-
velle liste. Ainsi que la sup-
pression en 2014 de la gra-
tuité de la cantine au motif
que c’était une «mesure cli-
entéliste», selon le directeur
de cabinet, Xavier Magnin.
Lui-même est candidat à
Orange sous la bannière
RN, face à l’édile Jacques
Bompard, dont il a été dir-
cab pendant quinze ans.
Le Pontet a aussi accueilli
un spectacle de Dieudonné,
en mai 2018...
Parmi les trois candidats
qui affrontent le maire RN,
figure Jean-Firmin Bardisa,
en tête de l’opposition
en 2015 et élu vi-
ce-président du
Grand Avignon en
mai 2019 contre Hébrard.
Sans étiquette, il se dit «plu-
tôt de droite, mais dans une
volonté d’ouverture, allant
chercher des idées à droite
et à gauche», revendiquant
plusieurs soutiens, «UDI,
Modem, écologistes, LREM
et PS». Ancien directeur des
services techniques du Pon-
tet, occupant depuis six ans
ces mêmes fonctions à L’Is-
le-sur-la-Sorgue, il affiche
un programme écolo com-
patible (10 000 arbres,
espaces verts) et veut le dé-
veloppement des transports
en commun et de la vie as-
sociative. Mais la bataille
sera rude sur ces terres où
l’extrême droite prospère
depuis les années 80. Selon
le politiste Joël Gombin,
parmi les facteurs de son
expansion, le plus récent est
«la crise de la droite locale
qui a conduit ses électeurs à
se porter vers le FN» et le fait
que celui-ci «s’inscrit dans
la continuité des droites, au
moment même où la droite
traditionnelle se droitise».
SOLANGE
DE FRÉMINVILLE
(à Montpellier)
Une semaine dans les villes RN
Au Pontet, terres prospères
SÉRIE 6/
Le temps de parole des candidats
dans les médias est-il décompté
pendant les municipales?
Oui. Comme pour chaque élection, les chaî-
nes et radios doivent respecter le principe d’équité pour chaque cir-
conscription. Principalement en fonction des résultats obtenus lors
des dernières municipales et des sondages. Petite nouveauté : le Co-
vid-19 oblige aussi les compteurs à différencier ce qui relève de la
campagne ou des obligations du maire sortant. PHOTO MARC CHAUMEIL
«Anne Hidalgo parle de moi, Agnès
Buzyn aussi et on a vu Mme Dati
dire qu’elle était d’accord avec moi
[lors du débat]. J’en conclus que
mon programme est intéressant
et qu’il faut voter pour moi.»
Crédité d’environ 10 % des voix dans les sondages et fort d’un pro-
gramme solidement charpenté, le dissident LREM Cédric Villani
est très courtisé par ses concurrentes. Dans une interview à Libé,
Anne Hidalgo a jugé vendredi que le mathématicien a «évidem-
ment» sa place dans la majorité qu’elle veut rassembler. Mais
Villani n’a pas vraiment attrapé cette main tendue. Et Rayan Nez-
zar, sa tête de liste dans le XXe arrondissement, passée par le PS,
assure qu’il ne fera «jamais d’alliance avec les socialistes» , accu-
sant Hidalgo d’avoir «hystérisé» le débat public. Ch.B.