Le Monde - 13.03.2020

(Nancy Kaufman) #1

18 |économie & entreprise VENDREDI 13 MARS 2020


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Le Royaume­Uni tourne la page de l’austérité


Le premier budget post­Brexit augmente les dépenses de 200 milliards d’euros sur cinq ans


londres ­ correspondance

E


n privé, un officiel du Tré­
sor britannique résume le
message d’un terme hau­
tement technique : « It’s a
fuckload of money » (« c’est un pu­
tain de paquet d’argent »). Le bud­
get britannique, présenté mer­
credi 11 mars, met, en effet, énor­
mément d’argent sur la table. Par
rapport à ce qui était déjà prévu,
l’Etat va dépenser 175 milliards de
livres sterling (200 milliards
d’euros) supplémentaires lors des
cinq prochaines années. Pour l’an­
née fiscale qui vient, d’avril 2020 à
mars 2021, le plan de relance
s’élève à 18 milliards de livres, aux­
quels ont été ajoutés dans l’ur­
gence 12 milliards pour faire face à
l’épidémie due au coronavirus. Au
total, cela représente 1,5 % du pro­
duit intérieur brut (PIB), un niveau
similaire à celui présenté pendant
la crise financière de 2008.
Les années suivantes, le temps
que certains grands travaux se
mettent en branle, l’argent cou­
lera encore plus à flot, avec envi­
ron 2 % de PIB supplémentaires
injectés dans l’économie. L’austé­
rité, débutée en 2010 et progressi­
vement réduite depuis quatre ans,
est bel et bien finie. Le premier
budget de l’ère post­Brexit est un
retour aux bonnes vieilles métho­
des : la relance keynésienne.
Inévitablement, vu les circons­
tances, Rishi Sunak, le tout nou­
veau chancelier de l’Echiquier, a
consacré une moitié de son dis­
cours au Covid­19. « Je sais que les
gens sont inquiets. Mais nous al­
lons tout faire pour s’assurer que
ce pays et ses habitants restent en
bonne santé et financièrement so­
lides. » Des allocations d’urgence
vont être accordées aux Britanni­
ques forcés à se mettre en quaran­
taine, les entreprises vont pou­
voir différer certains impôts, re­
cevront des aides spéciales, et des
fonds d’urgence sont débloqués
pour les services de santé.

Ces décisions, conclues à minuit
et demi la veille du budget, ca­
chent un virage majeur de la poli­
tique économique britannique.
« C’est le cadeau budgétaire le plus
important depuis 1992 », analyse
l’Office for Budget Responsibility,
l’organisme indépendant chargé
de réaliser les prévisions écono­
miques et budgétaires du gouver­
nement. A l’époque, John Major
venait de devenir premier minis­
tre et les conservateurs crai­
gnaient de perdre les élections or­
ganisées quelques mois plus tard.
Cette fois, il s’agit de préparer le
pays à l’ère post­Brexit. Sans le
dire, c’est une façon aussi d’amor­
tir le possible choc économique
provoqué par la sortie de l’Union
européenne, en particulier s’il n’y
a pas d’accord avec Bruxelles à la
fin de l’année.

Cajoler le nord du pays
Les dépenses augmentent tous
azimuts, au niveau du budget
courant mais aussi – et surtout –
dans les dépenses d’investisse­
ment. Celles­ci doivent tripler par
rapport à la moyenne des qua­
rante dernières années, pour at­
teindre 70 milliards de livres par
an d’ici 2025. Corrigé de l’infla­
tion, ce montant sera le plus élevé
depuis 1955.
Des routes, des trains, de la fibre
optique... Des travaux d’infras­
tructure sont prévus un peu par­
tout dans le pays, en particulier
dans le nord de l’Angleterre, long­
temps délaissé et nouvelle terre

électorale conservatrice, que Bo­
ris Johnson, le premier ministre,
entend cajoler. « J’annonce
aujourd’hui notre plus grand plan
d’investissement dans des routes
stratégiques et des autoroutes :
27 milliards de livres pour payer
vingt liaisons reliant des ports et
des aéroports, plus de cent carre­
fours, 4 000 miles de routes... », ex­
plique M. Sunak. Un programme
de construction de logements so­
ciaux est aussi annoncé.
Obsession de Dominic Cum­
mings, le très influent conseiller
de M. Johnson, le gouvernement
va également injecter de l’argent

dans la recherche et le développe­
ment, avec une hausse de 15 % de
ce budget dès 2021. Objectif : que
les dépenses dans ce domaine, y
compris avec les investissements
privés, atteignent à terme 2,4 % du
PIB, « plus haut que les Etats­Unis,
la Chine, la France et le Japon », ex­
plique M. Sunak. Cela comprend,
notamment, la création d’une
agence qui va se lancer dans des
projets « à hauts risques », non pas
qu’ils soient dangereux mais
parce que leur retour sur investis­
sement est très lointain et aléa­
toire. Elle bénéficiera d’un budget
de presque un milliard d’euros.

D’où vient tout cet argent? Es­
sentiellement, il s’agit de creuser
le déficit. Actuellement de 2,2 %
du PIB après des années d’assai­
nissement des finances publi­
ques, celui­ci sera, en 2021, de
2,8 %. Les années suivantes, le ni­
veau doit rester sensiblement le
même. Fini l’objectif officiel d’es­
sayer d’équilibrer le budget,
auquel s’accrochaient les gouver­
nements successifs de David Ca­
meron et de Theresa May. Quant
à la dette, qui était censée baisser,
elle est désormais sur une trajec­
toire stable, autour de 83 % du
PIB. Mais cela ne laisse pas la

Doutes sur la fusion de Fincantieri et des Chantiers de l’Atlantique


Selon Reuters, la direction générale de la concurrence européenne s’apprête à refuser le rapprochement des deux constructeurs navals


L


a Commission européenne
va­t­elle à nouveau mettre
son veto à la création d’un
champion européen, dans la cons­
truction navale cette fois? Après le
rejet de la fusion Alstom­Siemens
dans le ferroviaire, la commissaire

à la concurrence, Margrethe Vesta­
ger, s’apprête à refuser la prise de
contrôle des Chantiers de l’Atlanti­
que, à Saint­Nazaire (Loire­Atlanti­
que) par l’italien Fincantieri, as­
sure l’agence Reuters. La vice­pré­
sidente de l’exécutif européen n’a

ni démenti ni confirmé, mercredi
11 mars, sur BFM Business.
« Le dossier est en cours et je ne
fais jamais de commentaires en pu­
blic sur des questions qui ne sont
pas tranchées », a­t­elle précisé,
ajoutant que « la décision est pré­

vue pour fin avril ». Ce mariage
soutenu par Paris et Rome prévoit
que Fincantieri détiendra 50 % du
capital de la nouvelle société et
que l’Etat français lui prêtera 1 %
supplémentaire pour qu’il dé­
tienne le contrôle opérationnel
des chantiers. Néanmoins, Paris
pourra reprendre ce 1 % s’il juge
que l’italien n’a pas respecté ses
engagements et que le site de
Saint­Nazaire est menacé.

« Un marché mondial »
Comme pour la fusion d’Alstom
et Siemens, les entreprises ne
sont visiblement pas prêtes à
d’importantes concessions pour
répondre aux « griefs » formulés
par Bruxelles. « Rien ne se fait à
tout prix, mais ce serait dommage
de perdre une occasion pour l’in­
dustrie européenne, a prévenu le
président de Fincantieri, Giam­
piero Massolo, le 23 janvier. Dans
tous les cas, une cession de capaci­
tés de production n’est pas en
vue. » Il jugeait que « l ’opération ne
porte préjudice ni aux consomma­
teurs ni aux armateurs ».
L’opération donnerait nais­
sance à un géant – surtout dans
les paquebots de croisière. En Eu­
rope, il ne resterait plus face à lui
que l’allemand Meyer Werft, bien
moins puissant. Mais le marché
se limite­t­il aux frontières des
Vingt­Sept? « Le marché de réfé­
rence des chantiers navals est
mondial », estime M. Massolo. Et,
à ce niveau­là, il aurait les concur­
rents asiatiques, comme le coréen

Hyundai, les Japonais, mais sur­
tout le nouveau mastodonte chi­
nois. Les deux constructeurs éta­
tiques, China State Shipbuilding
Corp (CSSC) et China Shipbuilding
Industry Corp (CSIC), ont an­
noncé leur fusion en juillet 2019.
Leur objectif est de monter en
gamme et d’exporter plus de na­
vires à forte valeur ajoutée.
Un autre sujet peut inquiéter les
Européens : le partenariat signé,
en 2016, par Fincantieri avec CSSC,
qui va construire des paquebots
sur ses chantiers de Shanghaï pour
le compte de l’américain Carnival,
premier croisiériste au monde. La
Chine croit au développement de
ce type de tourisme en Asie, mais
ses entreprises n’ont pas encore
tout le savoir­faire historique de
groupes comme les Chantiers de
l’Atlantique et Fincantieri.
Ce dernier est visiblement prêt à
vendre certaines de ses technolo­
gies pour mieux les contrôler.
Dans d’autres domaines, il n’a
fallu qu’une dizaine d’années à
l’élève chinois pour parvenir au

niveau du maître pour produire
des méthaniers ou encore des
TGV... Si la Chine dominait le mar­
ché des géants de la croisière, ce
serait la mort de ce qu’il reste de
grands chantiers navals du Vieux
Continent. Pour l’instant, ils ont
encore de solides carnets de com­
mandes, et le site nazairien a du
travail jusqu’en 2027.
Paris est­il si empressé de ce ma­
riage franco­italien? Le ministre
de l’économie, Bruno Le Maire, af­
firme que les Chantiers de l’Atlan­
tique ne peuvent « voguer seuls ».
Des élus en doutent : « L’idée d’un
Airbus de la mer est un slogan
pour attrape­nigaud », a déclaré
Bruno Retailleau, président du
groupe Les Républicains (LR) au
Sénat. La sénatrice Sophie Primas
(LR, Yvelines) s’inquiète de voir
Fincantieri « privilégier » ses sous­
traitants italiens et « prendre la
main sur la politique commerciale
des Chantiers de l’Atlantique », qui
vient juste d’enregistrer une com­
mande de MSC pour 2 milliards
d’euros. « Le dynamisme de Saint­
Nazaire et sa bonne performance
posent la question de la valorisa­
tion des parts qui seront cédées
par l’Etat, qui a sans nul doute
augmenté depuis la signature de
l’accord en 2017 », souligne­t­elle.
Reste toutefois une inconnue
pour le long terme : les effets sur
ce secteur de l’épidémie due au
coronavirus, avec ces images de
milliers de croisiéristes pris au
piège sur leurs villes flottantes.
jean­michel bezat

Le chancelier de l’Echiquier, Rishi Sunak, annonce le budget, à la Chambre des communes, mercredi 11 mars. STRINGER/AFP

Sans le dire,
c’est une façon
aussi d’amortir
le possible choc
économique
provoqué par
la sortie de l’UE

moindre marge de manœuvre en
cas de dérapage.
Dans les rangs des conserva­
teurs, cette abondance budgétaire
provoque quelques tensions. Une
certaine Theresa May, aujourd’hui
simple député, a fait une sortie re­
marquée aux Communes. « Bien
que dépenser beaucoup d’argent
puisse être populaire et puisse sem­
bler naturel, il est bien sûr néces­
saire d’évaluer de façon réaliste
l’impact de long terme de ces déci­
sions. » M. Johnson, qui lui avait sa­
vonné la planche pendant des an­
nées, sera surveillé de près.
éric albert

Un sujet peut
inquiéter les
Européens : le
partenariat signé,
en 2016, par
Fincantieri avec
le chinois CSSC

APPRENTI SSAGE, CONTRATS COURTS

Il n’y apas queles CDI danslavie! Alors que lataxede 10 euros sur les CDD
d’usage estapplicableà partir de 2020 , lerecours de plusen plus fréquentdes
entreprisesaux contrats courts estsouvent dénoncé. Ces contrats etl’alternance
constituent-ilsune alternativeauxCDI ?Lapolitique devotre entreprise enla
matière a-t-elleévoluéces dernierstemps?

Rencontre animéeparGilles Van Kote,Le Monde
Enprésence de MonsieurGilbert Cette, éc onomiste

Evénement réservéaux DRH sur invitation auprèsderp@groupel emonde.fr

Le 24mars 2020 de 08h30 à 10h00 à Paris

Venezparticiperànotreprochainerencontre

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