Charles Michel, le président du Conseil européen, durant la vidéoconférence des chefs d’Etat
et de gouvernement. Pho to Stéphanie Lecocq/Pool/AFP
Les pays agissent en ordre dis-
persé, en termes de gestion des
frontières (la Slovénie a fermé
mardi soir la sienne avec l’Italie), de
suspension de liaisons aériennes
avec, notamment, l’Iran et la Chine
(l ’Espagne vient d’interrompre cel-
les avec l’Italie), de fermeture d’éco-
les et restrictions aux réunions
publiques, etc. Une disparité qui
peut inquiéter le grand public.
Ce qui n’empêche pas une
convergence informelle, comme
l’illustre le seuil de 1.000 personnes
pour toute réunion publique en
Allemagne, France et Espagne.
Paris, qui dépiste bien moins que
l’Allemagne, a justifié les divergen-
ces en matière d e tests par le fait que
l’épidémie sévissait de manière dif-
férente d ’un territoire à l’autre e t par
l’hétérogénéité de l’offre de labora-
toires spécialisés, ainsi que des
techniques employées. Les mas-
ques sont aussi raréfiés par l’inter-
ruption de la production en Chine.
Sur le plan économique, les prin-
cipaux pays européens, Allemagne,
France, Italie, ont pris des mesures
largement comparables pour sou-
tenir les entreprises : soutiens en
liquidité aux PME, reports de char-
ges f iscales et sociales, ou
d’emprunts, a-t-on souligné à l’Ely-
sée. On y estime nécessaire d’aller
plus loin, avec une relance budgé-
taire, comme au Japon, aux Etats-
Unis, en Chine. L’Allemagne fait
preuve de sa prudence habituelle
face à toute relance par la dépense
publique. La Commission a déjà
indiqué qu’elle montrera de la flexi-
bilité dans le calcul du déficit public
dans le cadre du pacte de stabilité.
Elle a aussi suspendu l’obligation
pour les compagnies aériennes de
faire voler des avions, même à vide,
pour ne pas perdre leurs précieux
« slots ». Des plans d’aide sectoriels
sont envisagés.
Un défi à la solidarité
Le virus représente un défi majeur
pour l’Union européenne. D’abord,
pour la capacité de ses institutions à
fonctionner par temps d’épidémie.
Peu à peu, les événements sont
annulés et la machine institution-
nelle s’arrête. Le Parlement euro-
péen ne se réunira plus en session
plénière avant l e mois d e mai, et son
président, l’Italien David Sassoli, a
annoncé mardi se mettre en qua-
rantaine par précaution après un
voyage à Rome. « Aucun virus ne
peut bloquer la démocratie » , a-t-il
toutefois c lamé. Et pour la première
fois, une réunion ministérielle,
celle du commerce ce jeudi, a été
annulée.
Mais c’est surtout le principe de
solidarité fondant l’Union euro-
péenne qui est rudement testé. A c e
stade, les Etats membres n’ont pas
apporté de soutien concret à l’Ita-
lie. Elle n’a pas obtenu de réponses
à sa demande de kits de dépistage.
La Belgique a demandé des mas-
ques à l’Allemagne, qui en a interdit
l’exportation. La France a réquisi-
tionné ceux présents sur son terri-
toire. Les gouvernements ont visi-
blement peur que leur opinion
publique ne leur reproche d’avoir
fourni aux voisins des équipe-
ments venant à manquer ensuite
chez eux.
Un manque criant d’entraide
auquel Ursula von der Leyen, la p ré-
sidente de la Commission euro-
péenne, semble vouloir s’attaquer.
Elle a annoncé q u’elle s’e n entretien-
drait, mercredi, avec Giuseppe
Conte, le chef du gouvernement
italien.
(
L’éditorial
de Lucie Robequain
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lLa vidéoconférence sans précédent mardi soir entre
les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne
avait notamment pour but d’évaluer les stocks et les besoins.
lTous les pays européens sont désormais touchés.
Les Vingt-Sept tentent de coordonner
leur action face au coronavirus
Yves Bourdillon
@yvesbourdillon
et Gabriel Grésillon
à Bruxelles
Quarante jours après les premiers
cas de coronavirus en Europe, les
Etats membres n’ont pas encore
tous évalué leurs stocks, besoins et
capacités de production en équipe-
ments d e protection, notamment de
leur personnel sanitaire. C’est à cet
état des lieux urgent, en vue d’une
éventuelle mutualisation, ou mobi-
lisation des capacités industrielles
et d’importation qu’étaient conviés
les 27 chefs d’Etat et de gouverne-
ment de l’Union mardi soir.
Une vidéoconférence inédite à
l’initiative de Paris, au lendemain de
la mise en quarantaine de toute l’Ita-
lie, tournant historique et dramati-
que : l’Italie déplore 631 morts et
10.000 cas avérés. Le nombre de cas
y est multiplié par dix tous les dix
jours actuellement, comme dans
d’autres pays européens. Ce qui
imposait la mobilisation expresse
des dirigeants de l’exécutif des Vingt-
Sept. Tous les Etats européens sont
désormais touchés, après la détec-
tion d’un premier cas à Chypre lundi,
et 105 pays dans le monde. La Répu-
blique tchèque a annoncé mardi la
fermeture de ses établissements s co-
laires, de même que la Grèce (ainsi
que les crèches et universités), la Slo-
vaquie interdit les messes à l’église,
alors que la Pologne renforce les
contrôles aux frontières.
Plaider de nouveau pour
une relance budgétaire
Il s’ag it de partager les informations
entre Etats membres, et renforcer
la coordination sur le plan sanitaire
et économique, a-t-on fait valoir à
l’Elysée avant la réunion. « Enclen-
cher un mécanisme de réponse com-
mune s ans p our a utant fixer un “gos-
plan’’ de la prophylaxie qui ne
tiendrait pas compte des spécificités
locales » , y ajoutait-on.
ÉPIDÉMIE
Olivier Tosseri
— Correspondant à Rome
Le plan d’aide extraordinaire de
7,5 milliards d’euros annoncé ven-
dredi par le gouvernement pour
atténuer l’impact économique du
coronavirus est insuffisant. Le
ministre de l’Economie en avait
conscience, et laissé entendre qu’il
pourrait être renforcé. Giuseppe
Conte l’a finalement confirmé au
moment où il proclamait la mise en
quarantaine de l’ensemble du pays.
Le président du Conseil a expli-
qué que la hausse du déficit, déjà
porté à 2,5 % cette année, pourrait
être encore plus importante pour
frôler les 3 % autorisés par le Pacte
de stabilité européen. La Commis-
sion de Bruxelles a déjà accordé la
flexibilité nécessaire à l’Italie pour
faire face à un événement excep-
tionnel comme le prévoient les
règles européennes. Carlo Cotta-
relli, à la tête de l’Observatoire des
Comptes publics, pourtant très
scrupuleux en termes de rigueur
budgétaire, exige bien plus. Dans
un entretien accordé au quotidien
économique « Il Sole 24 Ore »,
l’ancien directeur exécutif du FMI
souhaite un effort budgétaire d’au
moins 2 % du PIB, ce qui repré-
sente 36 milliards d’euros, le tout
Guillaume de Calignon
@gcalignon
Il est possible d’apprendre de l’his-
toire. C’est aussi vrai en économie
et particulièrement en cas de crise,
même si toutes ne se ressemblent
pas. Ainsi, en 2008, le mécanisme
de garantie publique des crédits
de moyen et court terme aux PME
en difficulté avait fonctionné.
Une étude réalisée par trois éco-
nomistes, dont le député Modem
Jean-Noël Barrot – qui était à l’épo-
que chercheur au MIT –, montre
que ce dispositif, effectif entre
2008 et 2010, a permis de préserver
31.000 emplois par an entre 200 9
et 2015.
Les salariés des entreprises béné-
ficiaires de cette garantie ont en
effet eu une probabilité plus faible
que les autres de perdre leur emploi
jusqu’en 2015.
5,3 milliards de crédits
« L’Etat n’avait rien déboursé, mais il
avait mis de côté de l’argent, au cas o ù
les entreprises dont il avait garanti les
crédits n’auraient pas pu rembourser
leur banque » , souligne le député.
L’Etat avait provisionné 650 mil-
lions d’euros pour qu’Oséo – l’ancê-
tre de la BPI – puisse garantir entre
50 % et 90 % des emprunts faits par
les PME en difficulté. Cette somme
avait permis à 21.000 entreprises
d’obtenir des crédits d’un montant
de 5,3 milliards d’euros environ.
« Dans une crise comme celle que
nous connaissons aujourd’hui avec
le coronavirus, la garantie publique
d’emprunts contractés par des PME
est l’instrument le plus efficace » ,
considère Jean-Noël Barrot. « Il
s’agit de contenir les difficultés
rencontrées par les entreprises de
certains secteurs particulièrement
touchés et d’éviter que celles-ci se pro-
pagent à l’ensemble de l’économie via
le canal du crédit. L’allongement des
délais de paiement en raison de diffi-
cultés de trésorerie peut entraîner des
défaillances en cascade » , insiste le
vice-président de la commission des
Finances de l’Assemblée.
Eviter une spirale
dangereuse
Le gouvernement a déjà annoncé
des mesures en ce sens puisque la
BPI va garantir jusqu’à 70 % des
crédits de trésorerie pour les PME
qui rencontrent des problèmes
actuellement. « A ce stade, seuls cer-
tains secteurs sont touchés, soit parce
qu’ils font face à un effondrement de
leur demande (c’est le cas du tou-
risme, de l’hôtellerie-restauration),
soit du fait de ruptures d’appro-
visionnement dans l’automobile
et l’électronique » , selon Jean-Noël
Barrot. Mais « si la situation
s’aggrave, il peut être nécessaire de
mettre en place un fonds spécifique
qui permettrait d’amortir le choc
pour les entreprises et d’éviter une
spirale dangereuse pour l’économie
tout entière » , juge-t-il.
Nous ne sommes pas en 2008.
Mais ce précédent rappelle qu’à
circonstances exceptionnelles, il
faut des mesures exceptionnelles.n
L’exemple probant des garanties d’Etat
pour les entreprises en 2008
Selon une étude réalisée
par le député Modem
Jean-Noël Barrot, les garan-
ties publiques accordées
aux entreprises en difficulté
après la chute de Lehman
Brothers ont permis de
préserver 31.000 emplois
par an entre 2009 et 2015.
« Aucun virus
ne peut bloquer
la démocratie. »
DAVID SASSOLI
Président du Parlement
européen
financé par des eurobonds. Après
le décret baptisé « Je reste chez
moi » par Giuseppe Conte pour
étendre à toute la péninsule les
mesures de précaution de la zone
rouge, c e dernier s ignera mercredi
matin un décret adoptant une
série de mesures économiques.
Parmi elles, une demande de
hausse ultérieure du déficit sou-
mise au Parlement qui permettra
de dégager une dizaine de mil-
liards d’euros supplémentaires
pour aider les PME-PMI et les
ménages en difficulté. Un mora-
toire sur l es échéances d’emprunts
est déjà appliqué par le secteur
bancaire. Ce dernier bénéficiera
d’un dispositif de garanties d’Etat
d’environ 2 milliards d’euros. Des
discussions sont en cours avec la
Banque d’Italie.
Outre de nouvelles ressources
mises à la disposition des services
sanitaires, de la Protection civile et
des forces de l’ordre, l’exécutif
entend renforcer les amortisseurs
sociaux. Quelque 2,5 milliards
d’euros seraient destinés aux PME-
PMI qui ne peuvent se permettre
de mettre leurs employés en chô-
mage technique. Pour les congés
forcés, l’objectif est de garantir
100 % des salaires pour les revenus
les plus bas. Pour les travailleurs
autonomes, les contributions fis-
cales seront suspendues ou déca-
lées, et des indemnités seront ver-
sées à ceux qui ont perdu au moins
25 % de leur chiffre d’affaires. Pour
ceux qui ne peuvent exercer leur
activité, le gouvernement étudie la
possibilité de leur verser 500 euros
par mois pour un maximum de
trois mois.
Des airs de couvre-feu
Circulation réduite, bars et restau-
rants fermant à 18 heures, entrées
restreintes dans les centres com-
merciaux, les villes ont partout des
airs de villes sous couvre-feu en ce
premier jour de q uarantaine natio-
nale. Les contrôles ont été renfor-
cés pour faire respecter les mesu-
res de précaution indispensables
pour endiguer l’épidémie. Un
module d’autocertification est
indispensable pour justifier ses
déplacements pour des raisons
sanitaires ou professionnelles. Dis-
ponible sur le site du ministère de
l’Intérieur, il peut être rempli
devant les forces de l’ordre char-
gées de contrôler sa véracité.
Les premières amendes sont
d’ailleurs tombées. Les gouver-
neurs de Lombardie et de Vénétie,
les régions où les foyers de conta-
gion sont les plus importants,
demandent l’arrêt de tous les trans-
ports, des usines et des activités
commerciales pendant deux
semaines pour enrayer la diffusion
de la maladie. Une mesure extrême
à laquelle ne se résout pas, pour
l’instant, le gouvernement.n
En Italie, de nouvelles mesures
budgétaires pour amortir le choc
Le gouvernement italien
va tirer profit de toute
la flexibilité octroyée par
Bruxelles. Au total, près de
20 milliards d’euros
doivent soutenir les
familles et les entreprises.
Pour les congés
forcés, l’objectif est
de garantir 100 % des
salaires pour les
revenus les plus bas.
ÉVÉNEMENT
Mercredi 11 mars 2020 Les Echos