Le Monde - 23.02.2020 - 24.02.2020

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INTERNATIONAL


DIMANCHE 23 ­ LUNDI 24 FÉVRIER 2020

0123


P


our les Américains
comme pour les enne­
mis talibans afghans, la
paix n’existe pas, il n’y a
que des preuves de paix. C’est
pourquoi ils ont préféré com­
mencer par une trêve armée de
sept jours qui a débuté, vendredi
21 février, sur tout le territoire
afghan, et suscite un vif espoir
dans le pays et dans le monde en­
tier. Elle doit permettre d’évaluer
le sérieux de chacune des deux
délégations à respecter ses enga­
gements et mettre fin à dix­huit
ans de guerre. C’est le premier
acte concret obtenu depuis
l’ouverture, à l’été 2018, d’une né­
gociation de paix exclusive entre
les Etats­Unis et le principal mou­
vement insurgé afghan. Si aucun
incident majeur ne vient trou­
bler le silence des armes pendant
sept jours, les deux parties ont
convenu de se retrouver à Doha,
au Qatar, pour signer un accord
de paix en bonne et due forme.
« Une fois la baisse des violences
mise en œuvre avec succès, la si­
gnature de l’accord entre les Etats­
Unis et les talibans devrait aller de
l’avant », a confirmé, vendredi,
Mike Pompeo, chef de la diploma­
tie américaine, ajoutant : « Nous
nous préparons à ce que la signa­
ture ait lieu le 29 février. » Il a pré­
cisé que les négociations entre
responsables américains et repré­
sentants talibans visaient à favo­
riser un règlement politique en
Afghanistan afin de réduire la
présence de troupes américaines
dans la région.
Le même jour, les talibans ont
également communiqué : « Après
de longues négociations, les deux
parties ont convenu de signer l’ac­
cord finalisé en présence d’observa­
teurs internationaux le 29 février. »
Avant cette date, poursuit le texte
des insurgés, les deux camps s’at­
tacheront à « créer une situation sé­
curitaire adéquate ». Jeudi, le chef
militaire des talibans, Sirajuddin
Haqqani, considéré comme le vé­
ritable dirigeant du mouvement,

avait assuré dans une tribune pu­
bliée par le New York Times : « Nous
sommes sur le point de signer un
accord avec les Etats­Unis et nous
sommes pleinement engagés à en
appliquer toutes les dispositions,
dans la lettre et l’esprit. »

Prudence dans la formulation
Le troisième acteur majeur de
l’avenir de ce pays est le régime de
Kaboul. Les négociations inte­
rafghanes incluant le gouverne­
ment ne débuteront qu’une di­
zaine de jours après la signature
de l’accord entre Américains et ta­
libans. Le président Ashraf Ghani,
réélu mardi, avait entériné ce ca­
lendrier et le processus décidés à
Doha lors d’une rencontre, le
14 février, à Munich, avec Mike
Pompeo lors de la Conférence sur
la sécurité. Le chef de la délégation
américaine chargée de négocier
avec les talibans afghans, Zalmay
Khalilzad, et le commandant
américain des forces de l’OTAN en
Afghanistan, Scott Miller, assis­
taient également à cet entretien.
Vendredi, M. Ghani a néanmoins
averti que « les forces de sécurité
afghanes resteront en état de dé­
fense active pendant la semaine ».
Selon nos informations, des re­
présentants de Kaboul, de
Washington et du mouvement ta­
liban auraient constitué une
forme d’équipe de travail chargée
du suivi du bon déroulé de cette
trêve dénommée officiellement
« période de réduction de vio­
lence ». Cette prudence dans la for­
mulation prend en compte la

grande difficulté à maîtriser l’en­
semble des événements pouvant
survenir sur un territoire vaste
comme l’Afghanistan. Les parties
ont préféré ne pas user du terme
« cessez­le­feu » pour ne pas être
mises en porte­à­faux au cas où
des violences seraient relevées au
cours de la trêve de sept jours.
Cette inquiétude est d’autant
plus vive qu’au sein de l’armée
afghane, nombreux sont ceux à
rejeter l’idée d’un retour des tali­
bans dans le jeu politique du pays,
surtout à un moment où les for­
ces de sécurité estiment avoir ac­
compli de grands progrès face aux
insurgés. Pour leur part, ces der­
niers comptent dans leurs rangs
nombre de commandants très
autonomes voire en rupture de
banc. Un commandant taliban
basé à Kandahar, Hafiz Saeed He­
dayat, a ainsi affirmé, vendredi, à
l’Agence France­Presse, que la di­
minution « des combats ne s’appli­
querait qu’aux villes et aux princi­
pales routes (...), ce qui signifie que
peut­être la violence se poursuivra
dans les districts ruraux ».
Cette première étape franchie,
une cérémonie officielle pourra
être organisée à Doha le 29 février.
Les autorités qataries ont déjà en­
voyé les cartons d’invitation aux
principales puissances concer­
nées par le sort de l’Afghanistan.
Les grandes organisations inter­
nationales, comme les Nations
unies ou l’Union européenne, ont
également été conviées. Parado­
xalement, vendredi soir, les auto­
rités américaines restaient encore
floues sur leur niveau de repré­
sentation à cette signature pour­
tant hautement symbolique. La
guerre afghane est le plus vieux
conflit dans lequel les Etats­Unis
aient été engagés et le retour des
troupes au pays figurait parmi les
promesses électorales du prési­
dent américain, Donald Trump.
Mais ce dernier n’est pas attendu à
Doha, à moins d’une surprise. Et,
selon des diplomates occiden­
taux à Kaboul, la présence de Mike

Pompeo n’était elle­même pas
non plus assurée.
La volonté des Américains et des
talibans afghans de boucler cette
négociation de paix bilatérale n’a
pas, pour autant, fait table rase
des écueils qui se dressent encore
sur le chemin de la paix afghane.
Dès vendredi, à l’instar des propos
tenus par son chef Sirajuddin Ha­
qqani dans le New York Times, un
des porte­parole du mouvement
taliban, Suhail Shaheen, a tweeté
que l’accord verrait « toutes les for­
ces étrangères quitter l’Afghanis­
tan », condition sine qua non po­
sée par les insurgés à une paix dé­
finitive. Or, le départ des soldats
américains est loin d’être réglé.
M. Trump s’est engagé, lors du Fo­
rum de Davos, fin janvier, auprès
de M. Ghani, à maintenir une cer­
taine présence militaire sur le sol
afghan, quoi qu’il arrive.
Le Pentagone souhaite garder
un minimum de forces en Afgha­
nistan pour combattre l’organisa­
tion Etat islamique, un souhait
que les talibans affirment ne pas
comprendre puisqu’ils se sont en­
gagés à interdire leur territoire à
tout groupe djihadiste. Les Etats­
Unis comptent encore 12 000 sol­
dats en Afghanistan. Ces derniers
mois, de hauts responsables de la
défense américaine, ont évoqué
un nombre de 8 600 soldats qui
pourraient être amenés à rester
en Afghanistan dans le cadre
d’une « force antiterroriste ».
L’autre sujet brûlant porte sur
la libération des prisonniers tali­

bans. Les insurgés et les Améri­
cains se sont mis d’accord lors
des discussions à Doha sur la re­
mise en liberté, lors de cette trêve
de sept jours, de 5 000 combat­
tants actuellement détenus dans
les geôles du pouvoir afghan. En
contrepartie, les talibans ont
promis de libérer un millier de
membres des forces de sécurité
afghane. Vendredi, la présidence
de M. Ghani a adressé une fin de
non­recevoir à cette demande,
assurant que ce point serait
« l’une des questions les plus im­
portantes abordées lors des dis­
cussions interafghanes », qui, se­
lon une source diplomatique à
Kaboul, pourraient débuter le
10 mars.

Profonde crise institutionnelle
Le face­à­face entre les talibans et
le pouvoir afghan prévoit d’être
tendu. Anticipant cette échéance,
le chef militaire des talibans, Sira­
juddin Haqqani, dans sa tribune
au New York Times, a d’ores et
déjà promis que les talibans
étaient « pleinement engagés à
travailler avec les autres parties
[afghanes] dans un respect sin­
cère afin de convenir d’un nou­
veau système politique inclusif ».
Une façon de rassurer les autres
composantes de la vie politique
afghane et de se démarquer du
président Ghani, jugé isolé et cli­
vant. Le chef de l’Etat afghan avait
obtenu, à Munich, l’accord des
Américains pour être le chef de la
délégation afghane à condition
qu’il réunisse autour de lui une
« délégation inclusive ». Un enga­
gement loin d’être encore satis­
fait tant le pays est divisé et
plongé dans une profonde crise
institutionnelle qui a miné les lo­
giques d’unité nationale.
En dépit de ces obstacles, cette
trêve porte en elle tous les espoirs
de voir enfin un processus de né­
gociation restaurer la paix dans un
pays qui n’en a plus senti le goût
depuis des dizaines d’années.
jacques follorou

Le secrétaire
d’Etat américain,
Mike Pompeo
(deuxième en
partant de la
gauche), et le
président afghan,
Ashraf Ghani
(troisième)
à Munich
(Allemagne),”
lors de la
Conférence
sur la sécurité,
le 14 février. REUTERS

Le Pentagone
souhaite garder
des forces en
Afghanistan pour
combattre l’EI, un
souhait que les
talibans disent ne
pas comprendre

LES  DATES


JUILLET 
Alice Wells, sous-secrétaire
d’Etat adjointe pour l’Asie
du Sud, est chargée, en secret,
de lancer, à Doha, des
négociations bilatérales avec
des représentants talibans.

SEPTEMBRE 
Zalmay Khalilzad, ex-ambassa-
deur américain à Kaboul, est
nommé chef de la délégation
chargée de la négociation
avec les insurgés.

7 SEPTEMBRE 
Le processus de paix est déclaré
« mort » par Donald Trump.

28 NOVEMBRE 
Lors de son premier déplacement
en Afghanistan, M. Trump
confirme la reprise des
négociations avec les talibans.

22 FÉVRIER 
Début d’une trêve de sept jours,
préliminaire à la signature
d’un accord de paix
américano-taliban.

Afghanistan : sept jours pour arriver à la paix


La trêve commencée vendredi est un premier test dans les pourparlers entre Américains et talibans


Si aucun
incident majeur
ne se produit,
les deux parties
se retrouveront à
Doha pour signer
un accord de paix
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