22 |
MUNICIPALES
MARDI 17 MARS 2020
0123
« On ne sait pas comment ça va se passer... »
Dimanche soir, EELV, le PS et LR avaient de quoi se réjouir, mais les résultats sont passés au second plan
RÉCIT
R
idicule. » « Scandaleux. »
« Purge de la confiance
démocratique. » Un pre
mier tour pour rien?
Dans les quartiers généraux des
partis politiques, la soirée du
premier tour des municipales, di
manche 15 mars, a pris des allures
de marathon sans ligne d’arrivée.
La poussée verte s’estelle confir
mée? Marine Le Pen atelle réussi
le pari de garder ses mairies? Les
Républicains (LR) ontils conservé
leur base? Balayées, les questions
de fond sur le scrutin. Reste une
interrogation : le second tour
auratil lieu? Et son corollaire :
fallaitil maintenir le premier?
Dimanche soir, les résultats ont
pris bien peu de place. Pourtant, à
gauche et chez les écologistes, il y
avait vraiment de quoi se réjouir.
Europe EcologieLes Verts (EELV) a
connu la poussée électorale que
tout le monde pressentait. Confir
mant leur bon score des élections
européennes de 2019 (13,5 % des
voix), ils sont en capacité de ga
gner Bordeaux, Lyon, Strasbourg,
Poitiers et Besançon ainsi que de
garder Grenoble, où Eric Piolle, le
maire sortant, devance largement
ses concurrents.
Avec ces résultats, les écologistes
passent au stade supérieur, celui
de parti pivot de l’opposition à
Emmanuel Macron. Pour trans
former l’essai, il faudra pour cela
que le second tour ait lieu, ce qui
semble de plus en plus improba
ble tant la crise sanitaire s’aggrave.
Yannick Jadot, l’homme fort
d’EELV, a demandé, un « report du
second tour », contrairement au
secrétaire national du Parti com
muniste (PCF), Fabien Roussel.
La France insoumise n’est pas
au diapason. Les députés François
Ruffin, Alexis Corbière et Clémen
tine Autain sont favorables à un
report. C’est moins clair pour
JeanLuc Mélenchon, qui estime
que « la démocratie n’est pas un
luxe. Il ne faut pas la mettre au pla
card ». « La situation est complè
tement loufoque, on ne sait pas
comment va se passer la suite de
l’élection », souffle Mme Autain.
Jusqu’au bout, Les Républicains
ont pensé pouvoir garder au
moins leur siège ouvert. Savourer,
ne seraitce que quelques instants,
ce qui s’annonçait comme un
début de victoire, eux qui ne
connaissent que des défaites de
puis 2017. Dès samedi, les équipes
dirigeantes ont commencé à s’in
terroger sur la pertinence d’une
telle réunion étant donné l’état
d’avancement de l’épidémie. L’in
tervention d’Edouard Philippe, sa
medi, aura fini de les convaincre.
Dans l’étatmajor, on a fait fermer
le siège et mis tout le monde en té
létravail. A l’image du reste de la
France, la formation de droite n’a
pas été épargnée : plusieurs dépu
tés ont été testés positifs, au pre
mier rang desquels Christian Ja
cob, le patron du parti. Dimanche,
l’ambiance chez LR était donc
bien loin de celle, joyeuse et in
souciante, de la Salle Gaveau du
lundi 9 mars, dans le 8e arrondis
sement. Plus de 900 personnes
étaient alors venues applaudir
Rachida Dati, la candidate du parti
à Paris, qui y invitait Nicolas
Sarkozy. Hors de question d’annu
ler, et même de se tenir à distance.
L’ancien président sort si peu.
Mais, ce dimanche, les cœurs et
les esprits étaient ailleurs. Avec
les quatre élus LR contaminés,
d’abord. Avec, aussi, ceux qui rem
portaient une victoire pour la
première fois mais ne pouvaient
la célébrer. « Une campagne, c’est
joyeux, c’est festif, c’est quand
même frustrant ce qui se passe », se
désole Julien Aubert, député de
Vaucluse. En déplacement dans sa
circonscription, l’élu se félicitait
des vacances parlementaires tom
bées à pic, car elles ont évité l’effet
« boîte de Petri » et une potentielle
contamination générale. Face au
risque, Damien Abad, député de
l’Ain et patron des élus LR à l’As
semblée, a prévenu ses troupes :
chaque personne présentant un
risque doit prévenir la présidence
du groupe. Lui a voté à Oyonnax et
a décidé de demeurer dans l’Ain.
Au quartier général du Rassem
blement national, à Nanterre,
rares sont ceux qui se tiennent
devant la télévision qui diffuse les
résultats. Pas de cris de joie au
moment où les écrans annoncent
la première place de Louis Aliot à
35,65 % des voix devant le maire
LR sortant de Perpignan à 18,43 %.
Les députés et militants ont été te
nus à l’écart de la soirée électorale,
situation sanitaire oblige. Le ma
tin même, les rues d’HéninBeau
mont (PasdeCalais) étaient vides
pour accueillir le vote de Marine
Le Pen. « Le second tour n’aura ma
nifestement pas lieu », lâche le soir
même la présidente du RN dans
une rapide allocution, tout en
estimant qu’il faut « considérer
comme acquises » les victoires
du premier tour « et reporter les
autres ». Et pour cause : Steeve
Briois à HéninBeaumont, David
Rachline à Fréjus, Fabien Engel
mann à Hayange et Julien Sanchez
à Beaucaire ont été réélus au pre
mier tour... alors que la liste du RN
à Calais, où figurait la sœur aînée
de Marine Le Pen, MarieCaroline
Le Pen, n’a réuni que 17,91 % des
voix, loin derrière la maire sor
tante LR, Natacha Bouchart,
(50,24 %), ou qu’à Carpentras le
général Bertrand de La Chesnais
soutenu par le RN a certes été qua
lifié pour le second tour avec
30,88 % des voix, mais derrière le
maire sortant divers gauche,
Serge Andrieu (35,85 %).
« Tout ça est dérisoire »
Si « l’heure n’est pas aux querelles
politiques », Marine Le Pen n’a pas
manqué de souligner les respon
sabilités d’Emmanuel Macron
dans ce qu’elle nomme la « guerre
sanitaire ». « Un jour, le bilan devra
être tiré des décisions prises par le
président de la République et sur
tout de celles qui ne furent pas
prises », atelle tancé, serinant sa
solution à nombre de problèmes :
la « fermeture de nos frontières ».
L’annonce de l’Allemagne fer
mant partiellement les siennes
- notamment avec la France – a
été commentée avec enthou
siasme au sein de l’extrême droite,
dimanche soir, presque plus que
les résultats du scrutin municipal.
Tous confinés, tous chez eux. Au
local du Parti socialiste (PS) à Ivry
surSeine (ValdeMarne), la cellule
de travail mise sur pied depuis
quelques semaines s’est transfor
mée en visioconférence perma
nente. « C’est très étrange d’être là
dans son salon et de ne communi
quer que par texto », raconte Pierre
Jouvet, secrétaire national aux re
lations extérieures et aux élus.
L’heure n’était pas à la célébration
des municipalités conservées. Cer
tains membres du cabinet d’Oli
vier Faure confiaient même avoir
d’abord pensé à leurs parents en ce
jour étrange. « J’ai fait leurs courses
et je suis inquiet », glissait ainsi le
bras droit du secrétaire national.
Pas de déclarations peaufinées à
l’avance sur la poussée du PS lors
de scrutin. En cette journée électo
rale inouïe, le mot d’ordre, lancé
par le premier secrétaire lors d’un
bureau national tenu dimanche à
18 heures, était inédit. « Le second
tour est secondaire », a assumé
M. Faure. Même si les résultats
« sont très bons », atil insisté. Pa
ris, Lille, Rennes, Nantes, Le Mans,
Dijon... Pas un sortant en diffi
culté, avec quelques bonnes sur
prises comme à Rouen, Lens ou
Nancy. « Tout ça est dérisoire, on
doit se placer en état d’urgence sa
nitaire et reporter le second tour à
une date ultérieure ou l’annuler », a
martelé Olivier Faure. Ce week
end, l’unité nationale avait com
mencé à connaître ses premières
fissures. Samedi, la direction du
PS avait contesté l’affirmation de
l’entourage du premier ministre
affirmant qu’il avait consulté les
partis politiques et maintenu le
premier tour avec leur accord.
Dans un tel contexte, l’attention
portée aux résultats est forcément
atrophiée. Et heureusement pour
La République en marche (LRM),
car la bérézina redoutée par les
L’attention portée
aux résultats
est atrophiée.
Et heureusement
pour LRM,
car la bérézina
redoutée a bel
et bien eu lieu
macronistes a bel et bien eu lieu.
Pour la majorité, les seuls motifs
de satisfaction viennent du minis
tre de l’action et des comptes pu
blics, Gérald Darmanin, et de celui
de la culture, Franck Riester, qui
ont été élus dès le premier tour à
Tourcoing (Nord) et Coulommiers
(SeineetMarne). Ou du président
du MoDem, François Bayrou, bien
placé avec 45,83 %. Et des can
didats « macroncompatibles » ap
partenant à d’autres formations, à
qui LRM a apporté son soutien.
C’est notamment le cas à Angers,
où Christophe Béchu est réélu dès
le premier tour avec 57,82 %, ou à
Toulouse, où le sortant, JeanLuc
Moudenc, soutenu par LR et LRM,
est bien placé (36,18 %).
Mais à Paris, l’ancienne ministre
de la santé, Agnès Buzyn, termine
en troisième position (17,26 %),
largement distancée par Anne
Hidalgo (29,33 %) et Rachida Dati
(22,72 %). Mêmes scénarios à Lille,
Lyon, Bordeaux, Rennes ou Besan
çon : le candidat LRM se retrouve
troisième, loin d’être en mesure
de l’emporter. Sans parler de Mar
seille, où la tête de liste macroniste
finit à une humiliante sixième po
sition. Même le premier ministre
est en danger : en tête au Havre
(43,59 %), Edouard Philippe est mis
en ballottage par le communiste
JeanPaul Lecoq (35,87 %), alors
qu’il avait été élu dès le premier
tour en 2014. Et le second tour
s’annonce incertain, en raison
d’un faible réservoir de voix pour
le chef du gouvernement. « La cla
que des municipales est un peu at
ténuée par la crise du coronavirus,
soufflait un dirigeant de la majo
rité, dimanche soir. Mais cela reste
une secousse pour la majorité. »
sarah belouezzane,
alexandre lemarié,
abel mestre, lucie soullier
et sylvia zappi
Avec ces résultats,
les écologistes
passent au stade
supérieur, celui
de parti pivot
de l’opposition à
Emmanuel Macron
De haut en bas et de gauche à droite : Yannick Jadot (EELV), à Paris, Marine Le Pen (RN), à Nanterre, Edouard Philippe, au Havre, Martine Aubry (PS), à Lille, le 15 mars.
JULIEN DANIEL/MYOP POUR « LE MONDE » ; CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE » ; JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE » ; SARAH ALCALAY POUR « LE MONDE »