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MARDI 17 MARS 2020 municipales| 23
A Paris, Hidalgo grande gagnante du premier tour
La maire (PS) sortante a réuni 29,33 % des voix, devançant nettement Rachida Dati (LR) et Agnès Buzyn (LRM)
S
urtout, que cette élection
ne soit pas annulée! Que
le second tour soit main
tenu ou seulement décalé
de quelques semaines, malgré le
coronavirus. Tel est le vœu d’Anne
Hidalgo et de ses colistiers. Ce di
manche 15 mars, ils ont obtenu à
Paris un score dont ils n’avaient
pas osé rêver. « Inespéré », recon
naît son adjoint JeanLouis Mis
sika : 29,33 % des voix, alors que les
derniers sondages leur en accor
daient plutôt 25 % et plaçaient la
maire sortante au coudeàcoude
avec sa principale adversaire, Ra
chida Dati (Les Républicains, LR).
La socialiste distance donc large
ment sa rivale de droite, qui re
cueille 22,72 % des suffrages. Anne
Hidalgo, la malaimée, la maire
qui avait enchaîné les difficultés,
le fiasco de Vélib’, l’arrêt d’Autolib’,
le bazar des trottinettes, et dont le
premier adjoint avait claqué la
porte avec fracas en 2018, se re
trouve ainsi en excellente posi
tion pour l’emporter au second
tour. Et ruiner les espoirs de Ra
chida Dati tout comme ceux de La
République en marche (LRM), in
carnés par l’exministre de la santé
Agnès Buzyn, désignée in extre
mis après « l’affaire Griveaux ».
Encore fautil que ce premier
succès ne soit pas effacé. « Pas
question que le premier tour soit
annulé! » s’exclame JeanLouis
Missika, une des chevilles ouvriè
res de la campagne. Sa proposi
tion : garder les résultats de di
manche et décaler le second tour
de deux à quatre semaines, quitte
à l’organiser différemment. « On
peut imaginer un scrutin s’ap
puyant sur le vote par correspon
dance, qui est compatible avec le
confinement », plaidetil.
En attendant que le gouverne
ment tranche, les traditionnelles
négociations d’entredeuxtours
ont pris du retard. D’autant qu’à
cause du coronavirus, les écolo
gistes ont été mis à la porte de
l’hôtel où ils comptaient mener
leurs tractations...
Sur le papier, Anne Hidalgo part
d’une base solide. Sa campagne
autour de l’écologie et du social a
parlé aux électeurs de gauche de la
capitale. En outre, « l’épidémie lui a
sans doute bénéficié, avanceton
dans son équipe. Elle capitalise sur
sa stature de maire qui sait gérer
les crises de ce type ». Résultat, ses
candidats arrivent en tête dans
tous les arrondissements déjà
à gauche, ainsi que dans le nou
veau secteur centre, qui regroupe
les quatre premiers arrondisse
ments. « Qu’il s’agisse du centre, du
12 e, du 14e ou du 18e, aucun des ar
rondissements qui semblaient sus
ceptibles de basculer à droite ne
peut plus tomber », estime Jean
Louis Missika.
Pas de vague verte
Anne Hidalgo devrait ainsi con
server ses bastions, sous réserve
d’un accord avec les écologistes,
comme cela a été le cas à chaque
élection depuis 2001.
Loin de dépasser la maire sor
tante, comme il le visait, le chef de
file d’Europe EcologieLes Verts
(EELV), David Belliard, est resté en
quatrième position, avec 10,79 %
des suffrages. La vague verte na
tionale n’a guère touché Paris. Elle
a simplement modifié un peu
le rapport de forces au sein de la
majorité roseverte qui gère la
capitale : Anne Hidalgo a recueilli
trois fois plus de suffrages que les
écologistes, au lieu de quatre fois
plus en 2014.
Danièle Simonnet (La France in
soumise) n’a pas non plus fait
d’ombre à la maire sortante. Avec
4,59 % dans tout Paris, elle ne peut
se maintenir au second tour que
dans son arrondissement, le 20e.
Rachida Dati est l’autre gagnante
de la journée. Alors que la droite
classique était sortie en miettes
des européennes, l’ancienne
garde des sceaux a mené une cam
pagne offensive autour de la pro
preté et de la sécurité et a marqué
des points. Elle est ellemême réé
lue dès le premier tour dans le 7e
arrondissement, avec 50,69 %
des voix. Ses candidats obtien
nent de bons scores dans les
autres arrondissements de droite.
Y compris lorsqu’ils avaient des
dissidents face à eux. Dans le 15e,
Agnès Evren arrive ainsi devant le
maire (LR) sortant, Philippe Gou
jon, un « baron » pourtant très
bien implanté. Et dans le 16e, l’avo
cat Francis Szpiner écrase à la
fois la maire (LR) sortante, Danièle
Giazzi, et la sénatrice Céline Bou
layEspéronnier.
Triangulaires en vue
En dépit de ces performances, Ra
chida Dati ne paraît pas en mesure
de ravir le fauteuil d’Anne Hidalgo,
tant elle manque de réserves de
voix pour le second tour. Diman
che soir, l’exministre sarkozyste
a appelé tous ceux qui veulent
« tourner la page » à la rejoindre.
Mais elle ne peut pas miser sur
l’extrême droite, dont le candidat
Serge Federbush n’a récolté qu’un
piteux 1,5 %. Une alliance avec
Agnès Buzyn, la candidate de
LRM, semble également écartée :
les dirigeants du parti présiden
tiel ne veulent pas faire de cadeau
à LR. Ni nouer à Paris une alliance
qui serait interprétée à l’échelle
nationale comme un pas de plus
des macronistes vers la droite.
Dans la plupart des arrondisse
ments, Agnès Buzyn devrait donc
maintenir ses listes et provoquer
des triangulaires. Avec l’espoir
d’arriver en tête dans quelques ar
rondissements, notamment ceux
où elle s’appuie sur des maires LR
sortantes, Florence Berthout (5e)
et Delphine Bürkli (9e).
Globalement, l’exministre de
la santé, désignée in extremis
pour remplacer Benjamin Gri
veaux, n’a cependant pas réussi le
miracle espéré par certains. Ses
listes n’ont rassemblé que 17,26 %
des voix. Difficile, en moins d’un
mois, de s’imposer dans la campa
gne. Surtout avec la concurrence
persistante de Cédric Villani.
Le député (exclu de LRM) de l’Es
sonne n’est certes pas parvenu lui
non plus à ses fins. Il obtient un
score faible (7,88 %) et ne franchit
la barre des 10 %, qui permet de
se maintenir, que dans le 14e ar
rondissement, où il était tête de
liste. Ce petit capital est néan
moins convoité. Agnès Buzyn
comme Anne Hidalgo ont tendu
la main dimanche soir à l’exstar
des mathématiques. Réponse at
tendue ce lundi.
denis cosnard
Le RN consolide ses positions et rêve de remporter Perpignan
Des maires sortants comme Steeve Briois, à HéninBeaumont, ou David Rachline, à Fréjus, ont été réélus au premier tour
S
uccès réel, mais en demi
teinte pour Marine Le Pen,
qui s’y attendait : le Rassem
blement national (RN) a – très soli
dement – consolidé ses positions
dans les huit villes moyennes qu’il
gérait déjà, mais n’a guère percé
ailleurs. Sauf à Perpignan, où le
parti a désormais un espoir sé
rieux de conquérir sa première
grande ville de plus de 100 000 ha
bitants, si le second tour a effecti
vement lieu dimanche 22 mars.
Le député RN Louis Aliot est, en
effet, arrivé largement en tête du
premier tour à Perpignan, avec
35,66 % des suffrages, loin devant
le maire sortant, JeanMarc Pujol
(Les Républicains), qui ne rassem
ble que 18,44 % des voix, dans
une ville ancrée à droite depuis
soixante ans. Louis Aliot, bien que
membre du bureau exécutif du
RN, avait choisi de se présenter
sans le logo du parti. « Mais tout le
monde sait qu’il est au RN, avait
rétorqué Marine Le Pen. Louis
Aliot, c’est comme les bouteilles de
Coca, il n’a pas besoin d’étiquette. »
En 2014, JeanMarc Pujol avait
été réélu de justesse face au
même Louis Aliot (à 55,11 % contre
44,89 %), grâce au désistement
du candidat socialiste.
La liste de gauche est, cette fois,
conduite par l’écologiste Agnès
Langevine, qui a obtenu 14,51 %. Le
député La République en marche
(LRM) Romain Grau, avec 13,17 %,
peut, lui aussi, se maintenir. Les
deux candidats se trouvent dans
une situation inconfortable : s’ils
se maintiennent, ils peuvent per
mettre à Louis Aliot de l’emporter,
s’ils se désistent, ils laissent la voie
à un duel serré entre le maire sor
tant et le candidat lepéniste.
Les maires RN ont par ailleurs
été réélus confortablement. Ainsi,
Steeve Briois, à HéninBeaumont
(PasdeCalais), l’a emporté très
largement au premier tour, avec
74,21 % des voix – contre 50,26 % au
premier tour de 2014. L’élection est
« le plébiscite d’un bilan tout à fait
incontestable », s’est félicité le
maire de cette ville de près de
27 000 habitants, l’une des vitrines
du RN. Depuis qu’il a frôlé la vic
toire lors de l’élection municipale
partielle de juillet 2009, après la
révocation du maire PS Gérard Da
longeville, cet homme de 47 ans
n’a cessé de grignoter du terrain
à chaque élection. Poulain de Ma
rine Le Pen, elle l’avait nommé se
crétaire général du FN, il est depuis
2014 viceprésident du RN et a été
député européen de 2014 à 2019.
Il se félicite notamment d’avoir
« rattrapé le retard en matière d’in
frastructures », « renforcé les effec
tifs de la police municipale » et mul
tiplié les caméras de surveillance.
En Moselle, Fabien Engelmann,
maire RN de Hayange (16 000 ha
bitants), a lui aussi été réélu dès le
premier tour, avec 63,14 % des
voix. « Ça montre que toutes les
mairies gérées par le RN, ça fonc
tionne », a dit le candidat. A Fréjus,
dans le Var, le maire RN sortant,
David Rachline, a été reconduit au
premier tour avec 50,61 % des suf
frages, dans la plus grande ville
conquise par son parti en 2014
(53 000 habitants), mais l’absten
tion a été massive (61,67 %).
En ballottage favorable
A Beaucaire, dans le Gard, Julien
Sanchez, porteparole du parti à
36 ans, a lui aussi été réélu au pre
mier tour, avec 59,51 % des voix.
Militant du FN depuis l’âge de
16 ans, il a conquis la mairie
en 2014 à la faveur d’une quadran
gulaire avec 39,82 % des voix au se
cond tour. A VillersCotterêts, dans
l’Aisne, Franck Briffaut a été réélu
avec 53,47 % des voix ; au Pontet,
dans le Vaucluse, le maire RN sor
tant, Joris Hébrard, a lui aussi été
élu au premier tour avec 57,21 %
des suffrages. Au Luc, dans le Var,
en revanche, le maire RN sortant,
Pascal Verrelle, n’a obtenu que
37,96 % des voix contre le candidat
Les Républicains (LR) Dominique
Lain (43,94 %). Et à ManteslaVille,
dans les Yvelines, le maire RN sor
tant, Cyril Nauth, est en ballottage
favorable avec 33,72 % des voix.
Robert Ménard, le maire de Bé
ziers, soutenu par le RN, l’a lui
aussi emporté au premier tour,
avec 68,74 % des suffrages – il avait
obtenu 44,88 % au premier tour
des municipales, il y a six ans. A
Marseille, le sénateur RN Stéphane
Ravier, qui espérait sortir en tête
du premier tour, est troisième,
juste derrière Martine Vassal (LR
LRM) et la tête de liste PSPCF Mi
chèle Rubirola, qui sont, elles, au
coudeàcoude. A Calais, enfin, la
maire sortante, Natacha Bouchart
(LR, soutenue par LRM), a été réé
lue dès le premier tour des élec
tions municipales, avec 50,24 %
des voix. La tête de liste RN, Marc
de Fleurian, sur la liste duquel figu
rait MarieCaroline Le Pen, l’aînée
des trois filles Le Pen, n’a obtenu
que 17,91 % des voix.
Estimant que « le second tour
n’aura manifestement pas lieu
compte tenu de l’aggravation pré
visible de l’épidémie », Marine
Le Pen entend, de son côté, consi
dérer comme « acquises » les vic
toires au premier tour et souhaite
« reporter les autres » – en réalité, la
probabilité que le premier tour
soit annulé si le second ne peut
pas se dérouler est assez forte. La
présidente du RN a souligné que
« chacun aura constaté les ater
moiements, les retards, les choix
idéologiques et souvent contradic
toires du gouvernement et du pré
sident » dans la gestion de l’épidé
mie. Elle a de nouveau réclamé la
fermeture des frontières et ajouté :
« Un jour, le bilan devra être tiré des
décisions prises par le président de
la République et surtout de celles
qui ne furent pas prises. »
franck johannès
Anne Hidalgo
dans son
bureau
de vote,
dimanche
15 mars,
à Paris.
ELIOT BLONDET/AFP
« Aucun des
arrondissements
qui semblaient
susceptibles
de basculer
à droite ne peut
plus tomber »
JEAN-LOUIS MISSIKA
adjoint à la maire de Paris
Louis Aliot, candidat RN à Perpignan, le 15 mars. SANDRA MEHL POUR « LE MONDE »