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MARDI 17 MARS 2020 municipales| 25
Bordeaux : un second
tour pour la première
fois depuis 1947
L’écologiste Pierre Hurmic devance de 96 voix
le maire LR, Nicolas Florian, héritier d’Alain Juppé
bordeaux correspondante
L
a droite peutelle perdre
Bordeaux? Pour la pre
mière fois depuis 1947, le
candidat issu de la famille
gaulliste n’a pas été élu dès le pre
mier tour, comme le furent systé
matiquement pendant soixante
dix ans Jacques ChabanDelmas
et Alain Juppé. Mais le départ au
Conseil constitutionnel de ce der
nier, il y a un an, à l’issue d’un
règne de près de vingtcinq ans, a
ouvert une faille, qui pourrait se
creuser en fossé. Car s’il est arrivé
en première position dimanche
soir, avec 34,55 % des voix, l’héri
tier d’Alain Juppé et maire (Les Ré
publicains, LR) de la ville, Nicolas
Florian, 50 ans, ne devance le can
didat écologiste Pierre Hurmic
(34,38 %) que de 96 voix seule
ment. L’avocat (Europe Ecologie
Les Verts, EELV) de 64 ans, qui rêve
de « faire de l’écologie la matrice
de l’alternance et du rassemble
ment » de la gauche, était soutenu
par une coalition composée du
Parti socialiste, du Parti commu
niste, de Génération.s, Nouvelle
Donne et Place publique.
Le maire sortant et ancien ad
joint aux finances, qui avait sus
cité tant de jalousies en étant dé
signé par Alain Juppé comme suc
cesseur, a subi les conséquences
de l’épidémie due au coronavirus,
qui a hanté le scrutin : à Bordeaux,
le taux de participation s’est
effondré dimanche, atteignant
36,93 % seulement, 20 points de
moins qu’aux municipales de
- Or, ce sont souvent les per
sonnes âgées, traditionnellement
acquises à la droite, qui ne se sont
pas déplacées.
« Perdant-perdant »
« Oui, Bordeaux aura droit à un se
cond tour mais il y aura beaucoup
de second tour en France », a tenté
de relativiser Nicolas Florian
dimanche soir, estimant avoir été
victime de la « faible participa
tion ». Le maire sortant, pourtant
« macroncompatible » et soutenu
par le MoDem, a surtout pâti de la
candidature rivale de Thomas Ca
zenave, soutenu par La Républi
que en marche (LRM). « En ne dé
courageant pas Cazenave de se
lancer, Macron a pris le risque d’un
perdantperdant, analyse un élu
de la majorité. Il avait pourtant
un boulevard devant lui : Bor
deaux est une ville de droite qui
était vouée à devenir un fief du
macronisme, alors que Juppé est
l’un des piliers de la majorité. »
L’écologiste Pierre Hurmic pro
fite à plein de ces divisions. Long
temps marginal, l’éternel oppo
sant à M. Juppé réalise une très
belle performance en surfant
sur la « vague verte » qui a notam
ment marqué ce premier tour si
particulier. Elu de l’opposition au
conseil municipal depuis vingt
cinq ans, l’avocat qui se plaît à se
décrire comme un « bourgeois »
sur le plan économique ou un
« notable », a su séduire les élec
teurs dans cette ville de tradition
gaulliste, laboratoire municipal
de la droite modérée. « J’ai tou
jours pensé que ça se jouerait dans
un mouchoir », atil réagi diman
che soir, en se félicitant que le
maire sortant, « pour la première
fois », se trouve en ballottage.
Alors que de nombreux respon
sables politiques et médicaux ap
pellent à l’annulation du second
tour, l’écologiste a préconisé au
contraire de le maintenir. « Il se
rait désinvolte d’avoir confronté
nos compatriotes à un risque pour
rien », atil ainsi argué. S’il a lieu
comme prévu, ce second tour
pourrait donc être marqué par
une quadrangulaire, un scénario
inédit à Bordeaux. Deux autres
candidats ont franchi la barre des
10 % permettant de se maintenir à
l’issue du premier.
Le candidat LRM, Thomas Caze
nave, arrive en troisième position
avec 12,69 % des voix. Il devance
de peu le syndicaliste Philippe
Poutou, candidat du NPA, sou
tenu par La France insoumise et
un collectif citoyen, qui réalise
une percée spectaculaire, avec
11,77 % des suffrages, contre 2,51 %
seulement aux municipales de
- Ville bourgeoise, Bordeaux
- qui s’est beaucoup transformée
ces dernières années – a égale
ment une tradition d’extrême
gauche : elle a été l’un des bas
tions des « gilets jaunes » depuis
un an ; à la présidentielle de 2017,
JeanLuc Mélenchon y était arrivé
en deuxième position avec
23,43 % des voix, derrière Emma
nuel Macron, 31,26 %.
Atterissage raté
Pour Thomas Cazenave, ancien
délégué interministériel à la
transformation publique et ami
d’Emmanuel Macron, avec lequel
il fut conseiller à l’Elysée lors du
quinquennat de François Hol
lande, ce résultat est un cruel dé
saveu. Longtemps persuadé qu’il
pourrait reproduire à Bordeaux la
folle épopée du candidat d’En
marche! en 2017, l’énarque borde
lais a raté son atterrissage dans la
cité girondine. Au fil des semai
nes et des sondages calamiteux,
le maintien de sa candidature
contre le maire sortant avait été
jugé illisible par de nombreux
Bordelais et suscité l’inquiétude,
voire l’ire, de certains dirigeants
de la majorité, dont François Bay
rou, qui avait qualifié la situation
de « dangereuse ».
Grand perdant de la soirée,
même s’il détient la clé de la vic
toire au second tour, Thomas
Cazenave, qui avait juré pendant
sa campagne qu’il « irait jusqu’au
bout », devait préciser ses inten
tions lundi soir. L’énarque entre
tient des relations très fraîches
avec Nicolas Florian, qu’il ne juge
pas à la hauteur d’une ville long
temps dirigée par des ténors, et
avait écarté publiquement tout
ralliement au maire LR. Ce der
nier, au contraire, s’était plu à
mettre en lumière les points con
vergents de son programme avec
celui de son rival LRM, dans la
perspective d’un éventuel rappro
chement entre les deux tours.
« Macron ferait un choix curieux
s’il n’encourageait pas Cazenave à
se désister pour Florian, qui est fa
vorable à la majorité et soutenu
par le MoDem, analyse l’exdéputé
PS de Gironde Gilles Savary. Si Ca
zenave le soutient, Florian a des
chances de gagner, en particulier si
Poutou se maintient. Mais Macron
a besoin d’envoyer des signaux
aux écologistes et Cazenave, qui
vient de la gauche, est soutenu par
des “marcheurs” locaux très majo
ritairement issus de la gauche. Il
pourrait donc avoir la tentation de
soutenir Hurmic. » Reste que le
candidat vert a déjà écarté toute
négociation. « Ne comptez pas sur
moi ce soir pour dire qu’il y aura
des discussions d’appareil. Ceux
qui me connaissent savent que je
déteste les appareils politiques et
encore plus les discussions d’appa
reils », atil affirmé devant la
presse, dimanche soir.
De son côté, l’ancien candidat
à la présidentielle pour le NPA,
Philippe Poutou, a assuré qu’il se
maintiendrait au second tour.
« Pour nous, c’est presqu’un ex
ploit. (...) C’est dommage que
Juppé soit parti avant [d’assister à
cela], ça aurait été un plaisir sup
plémentaire », a ironisé le syndi
caliste, évoquant la percée his
torique de sa liste anticapitaliste
Bordeaux en lutte. « Evidemment
qu’on sera » au second tour, atil
ajouté. « Tout cela risque de ne
plus avoir grand sens », prédit en
soupirant l’ancien candidat so
cialiste Vincent Feltesse – qui a
retiré sa liste pendant la campa
gne –, évoquant la possible annu
lation du second tour.
claire mayer
et solenn de royer (à paris)
Le maire sortant,
« macron-
compatible »,
a pâti de la
candidature
rivale de Thomas
Cazenave,
soutenu par LRM
Nicolas Florian, maire (LR) sortant, à Bordeaux, dimanche 15 mars. AGNES DHERBEYS/M.Y.O.P. POUR « LE MONDE »
Affaiblie, Martine Aubry devra négocier avec les écologistes lillois
Dans un contexte de forte abstention, la maire sortante a recueilli 29,80 % des voix. Le Vert Stéphane Baly arrive deuxième, avec 24,53 %
lille correspondance
E
lle est arrivée en tête,
avec 29,80 %. Mais Martine
Aubry, maire sortante so
cialiste, s’apprête à vivre un diffi
cile combat pour le second tour,
s’il est maintenu. La prime aux
sortants, si forte dans le NordPas
deCalais, n’a pas fonctionné à
Lille. L’édile est en effet talonnée
par les écologistes, ses partenaires
au sein de sa majorité sortante.
Le candidat d’Europe Ecologie
Les Verts (EELV), Stéphane Baly,
a décroché 24,53 % des voix dans
un contexte d’abstention forte
(67,38 % contre 52,56 % en 2014).
« Chacun analysera les résultats.
On verra ça demain », atelle dé
claré, dimanche soir, depuis l’hô
tel de ville lillois. En six ans,
Martine Aubry a perdu 7 590 voix
quand les Verts en ont gagné 3 564.
Ce scénario était prévisible.
Les thèmes liés à la transition
écologique ont occupé la campa
gne ces derniers mois dans une
ville touchée par la pollution de
l’air et le manque d’espaces verts.
La quasitotalité des candidats
ont verdi leur discours, à l’image
de l’ancienne directrice de cabi
net de Martine Aubry, la « mar
cheuse » Violette Spillebout, à la
tête de la liste Faire respirer Lille,
arrivée en troisième position
avec 17,53 %.
Quelques jours avant le pre
mier tour, l’ancienne directrice
de cabinet de Martine Aubry en
cartée à La République en mar
che (LRM) avait d’ailleurs tendu
la main à Stéphane Baly. « Nous
avons de réelles convergences sur
la façon de prendre en charge l’ur
gence climatique et sur les métho
des démocratiques, a expliqué,
dimanche soir, Violette Spille
bout. L’effondrement de Martine
Aubry est une opportunité histo
rique de renouvellement. C’est
maintenant ou jamais. » « La Ré
publique en marche, ça ose tout et
c’est d’ailleurs à ça qu’on les re
connaît... », a riposté le sénateur
socialiste Patrick Kanner.
« Pas d’alliance avec LRM »
En l’état, une triangulaire reste
possible. La question des allian
ces va se jouer dans les prochains
jours. Le candidat de La France in
soumise (LFI), Julien Poix, a re
fusé d’aborder la suite de l’élec
tion. « Je suis mal à l’aise pour
parler stratégie dans un contexte
sanitaire où le confinement total
risque d’être annoncé », atil
confié. Malgré l’élection, en 2017,
des deux députés LFI lillois
(Adrien Quatennens et Hugo
Vandamme), le parti mélencho
niste n’a pas franchi la barre des
10 % (8,8 %) lui permettant de se
maintenir. « Je ne suis pas déçu,
car je sais d’où l’on part », explique
Julien Poix, bien conscient que
les discussions devraient s’ouvrir
avec les Verts. L’« insoumis »
leur demande d’ailleurs de clari
fier leur position sur les trans
ports gratuits, le logement et
le devenir de la friche SaintSau
veur de 23 hectares, futur quar
tier en centreville.
Le conseiller municipal EELV
Stéphane Baly, 48 ans, qui jugeait
dimanche soir les résultats « se
condaires » au vu de la crise sani
taire dans le pays, invite à faire
preuve d’humilité au regard de la
forte abstention. Les Verts ont
toutefois progressé de plus de
13 points par rapport à 2014. « Le
score des écologistes est histori
que, a déclaré le candidat de la
liste Lille verte 2020. Le temps de
l’écologie est venu mais l’enjeu
n’est pas ce soir à évoquer le se
cond tour. » Les Verts sont les par
tenaires de Martine Aubry de
puis 2001. L’heure estelle venue
de prendre leurs distances et
de s’allier avec LFI? Arrivé cin
quième avec un désastreux
8,25 %, l’ancien ministre issu du
parti Les Républicains MarcPhi
lippe Daubresse redoute cette hy
pothèse pourtant peu probable :
« On s’opposera toujours à ce que
les extrêmes soient au pouvoir. »
Une alliance EELVLRM ne sem
ble en tout cas pas envisageable
pour la liste EELV. « On ne parle pas
de déguisement vert, estime Em
manuel Cau, ancien conseiller ré
gional, 7e sur la liste de Baly. La
question est tranchée : pas d’al
liance avec LRM. » Seule certi
tude : Lille reste définitivement
une ville de gauche, et la solution
la plus envisageable reste une al
liance entre PS et Verts. Le RN est,
lui, réduit à 6,85 %.
laurie moniez
Gérald Darmanin élu maire de Tourcoing
Après avoir mené une campagne très active depuis plusieurs
semaines, Gérald Darmanin, 37 ans, ministre de l’action et des
comptes publics, a été élu dès le premier tour maire de Tour-
coing (Nord). Ce proche de Xavier Bertrand, rallié à Emmanuel
Macron, a recueilli 60,88 % des voix. Pilier du gouvernement,
M. Darmanin avait remporté ce fief de gauche de la métropole
lilloise en 2014, avant de passer la main à son premier adjoint,
en 2017. « J’ai toujours dit que, si le président de la République
continuait à me faire confiance, et s’il me permettait de le faire,
je serais très heureux de continuer mon action nationale et
locale », a-t-il affirmé, dimanche soir. Comme dans beaucoup
de villes populaires, Tourcoing a connu une très forte absten-
tion : seulement 25,38 % des inscrits se sont déplacés dans
les bureaux de vote lors de ce premier tour.