26 |international MARDI 17 MARS 2020
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Israël : Gantz chargé de former un gouvernement
Le candidat du parti Bleu Blanc dispose d’une fragile majorité pour succéder à Benyamin Nétanyahou
jérusalem correspondant
L
e général Benny Gantz
devait se voir confier,
lundi 16 mars dans la
journée, la tâche ardue
de former un gouvernement en
Israël, ce qui mettrait fin à plus
de dix ans de mandats du pre
mier ministre, Benyamin
Nétanyahou. Une courte majo
rité des parlementaires élus le
2 mars avait recommandé, di
manche, au président Réouven
Rivlin de le désigner. Celuici a
annoncé dans un communiqué
son intention de le faire.
Dans un geste historique, les
quinze députés arabes de la
Knesset se sont joints à cette al
liance d’opportunité, en faveur
du chef de la formation Bleu
Blanc. Cela n’allait pas de soi : en
entrant en politique, voilà un an,
cet ancien chef d’étatmajor de
l’armée s’était lourdement vanté
d’avoir renvoyé « une partie de
Gaza à l’âge de pierre » à l’été
2014, durant le dernier conflit
d’envergure dans l’enclave pales
tinienne. La semaine dernière, le
meneur de la liste unie, Ayman
Odeh, estimait encore auprès du
Monde que M. Gantz avait mené
une campagne « raciste » pour les
législatives du 2 mars. Il avait
coupé tout contact lorsque le gé
néral s’était lancé dans une su
renchère nationaliste afin d’atti
rer, sans succès, des électeurs de
droite qu’il espérait lassés de
M. Nétanyahou.
Les leaders de Bleu Blanc
avaient promis de ne s’appuyer
que sur une « majorité juive » ou
« sioniste » pour former un gou
vernement, mais M. Gantz n’avait
pas de majorité sans les Arabes.
Arrivé en tête des législatives,
avec 36 sièges sur 120, Benyamin
Nétanyahou a multiplié contre
eux des attaques d’une violence
inouïe ces derniers jours.
Chaudron politique israélien
En ce dimanche, le chaudron po
litique israélien a produit une se
conde alliance jusqu’alors incon
nue : Avidgor Lieberman, patron
de la petite formation ultranatio
naliste Israël Beitenou (six siè
ges), s’est résolu à recommander
à son tour M. Gantz, en se ran
geant aux côtés de la gauche et
des députés arabes – ses « enne
mis », atil rappelé au président
Rivlin. « Le plus important était
d’éviter une quatrième élection »,
estimetil, après les scrutins
d’avril et septembre 2019, qui
n’ont pas permis de dégager une
majorité.
Celle qui a émergé dimanche
est cependant instable. M. Gantz
sera bien en peine de la faire
tenir dans la nouvelle phase de
négociations qui s’ouvre. Il est
exclu que ces partis siègent en
semble au gouvernement : seule
leur opposition à M. Nétanyahou
les rassemble. M. Gantz n’est pas
même assuré de tenir en ordre de
marche son propre mouvement,
Bleu Blanc, jusqu’à un vote de
confiance indispensable à la
Knesset.
Deux députés de son aile
droite, anciens proches collabo
rateurs de M. Nétanyahou, écon
duits et humiliés par ce dernier,
ont d’ores et déjà refusé de s’as
socier à un pouvoir soutenu par
les partis arabes. La fondatrice du
petit parti Gesher, ancienne
alliée de M. Nétanyahou, qui
s’était associée à la gauche le
2 mars et a obtenu un unique
siège, manifeste des réticences
similaires. Elle n’a pas recom
mandé M. Gantz dimanche.
Un premier test aura lieu lundi,
lorsque l’opposition cherchera à
remplacer le président du parle
ment, Yuli Edelstein. Cet allié du
premier ministre a affirmé qu’il
n’autoriserait pas un tel vote, esti
mant qu’il nuirait à la formation
d’un large gouvernement
d’union qui inclurait la droite au
pouvoir. Cela revient à privilégier
le pur rapport de force à la rigueur
institutionnelle, mais dans le
cycle infini de négociations où
Israël s’est enlisé depuis le scrutin
d’avril 2019, un tel geste ne sur
prend plus.
A son poste, M. Edelstein peut
encore empêcher le vote d’un
projet de loi, prévu sur mesure
par l’opposition pour interdire à
M. Nétanyahou, inculpé pour
corruption, fraude et abus de
confiance, de demeurer premier
ministre.
Un gouvernement d’union
Le président Rivlin luimême n’a
pas abandonné l’espoir de favori
ser la formation « le plus tôt possi
ble » d’un gouvernement d’union
par les deux principaux partis. Il
prend ainsi acte d’un dangereux
effritement des institutions,
alors qu’un gouvernement de
transition multiplie les mesures
radicales pour contenir la propa
gation du nouveau coronavirus
en Israël. Dimanche, les services
de renseignement ont ainsi été
autorisés à user d’outils de
surveillance de masse réservés à
l’action antiterroriste, notam
ment pour informer les citoyens
qui se sont trouvés à proximité
d’une personne infectée durant
les deux semaines avant son
diagnostic.
En recommandant M. Gantz, le
président peut espérer atténuer
la force de résistance de M. Néta
nyahou dans les négociations à
venir. Dimanche soir, le prési
dent a convoqué les deux hom
mes dans sa résidence « pour une
conversation urgente ». Le pre
mier ministre propose déjà à son
rival, depuis jeudi, de former un
gouvernement « d’urgence natio
nale », capable de lutter durant
six mois contre l’épidémie, et qui
inclurait tous les partis, à l’exclu
sion des députés arabes.
A défaut, il lui propose un gou
vernement « d’unité nationale »
de quatre ans, dont il lui confie
rait la direction à micourse. Dans
les deux cas, M. Nétanyahou de
meurerait au pouvoir. M. Gantz
n’y voit qu’une manœuvre de di
version. Dimanche, il accusait le
premier ministre d’avoir pris pré
texte des mesures de confine
ment décrétées contre l’épidémie
pour faire demander par son mi
nistre de la justice, dans la nuit,
un report de son procès. Une pre
mière audience de pure forme de
vait avoir lieu le 17 mars. Le minis
tère de la santé n’avait pourtant
pas recommandé la fermeture
des tribunaux. Les trois juges de
M. Nétanyahou, peu suspects de
complaisance visàvis du pou
voir exécutif, ont acté euxmê
mes ce report au 24 mai.
louis imbert
Le roi d’Espagne coupe les liens avec son père et sa fortune secrète
Les révélations sur les fondations cachées en Suisse de Juan Carlos contraignent Felipe VI à prendre ses distances pour protéger l’institution
madrid correspondante
L
es révélations en cascade
sur la fortune secrète déte
nue par Juan Carlos en
Suisse ont obligé son fils Felipe VI
à réagir. Pour mettre fin au scan
dale et protéger l’institution mo
narchique, l’actuel roi d’Espagne a
décidé de couper les liens avec
son père. Dans un communiqué,
publié dimanche 15 mars au soir
par la Maison royale, Felipe VI
renonce à l’héritage de l’ancien
monarque, âgé de 82 ans. Aussi
bien celui « qui pourrait lui revenir
personnellement » que « tout actif,
investissement ou structure finan
cière dont l’origine, les caractéristi
ques ou la finalité peuvent ne pas
être en accord avec la légalité ou
les critères de droiture et d’inté
grité ». Felipe VI retire en outre au
roi « émérite » les fonds qui lui
sont d’ordinaire alloués dans le
cadre du budget de la famille
royale, et s’élèvent à près de
195 000 euros par an.
Pour le roi d’Espagne, les derniè
res informations, parues dans le
journal britannique The Tele
graph samedi 14 mars, ont été dé
cisives puisque, pour la première
fois, elles le touchent de plein
fouet : Felipe VI y apparaît lui
même comme le second bénéfi
ciaire de la fondation pana
méenne Lucum, celui qui en héri
terait en cas de décès du premier
bénéficiaire, Juan Carlos.
Le palais de la Zarzuela assure
que Felipe VI n’y est pour rien. Se
lon lui, il n’a eu vent de l’existence
de la fondation Lucum et de sa dé
signation comme bénéficiaire
que le 5 mars 2019 par le biais d’un
courrier d’un cabinet d’avocats
britannique. Il aurait porté ce
courrier à la connaissance « de
Juan Carlos et des autorités com
pétentes » quelques jours plus
tard, et se serait rendu, début
avril, devant un notaire pour de
mander à en être rayé.
Car, pour le roi, pas question
d’être associé à cette fondation
offshore dont le nom est déjà
apparu le 4 mars dans un article
de La Tribune de Genève. En 2008,
le ministère des finances
d’Arabie saoudite aurait versé
100 millions de dollars sur un
compte ouvert à la banque privée
suisse Mirabaud par Lucum.
En 2012, le solde du compte de
cette fondation offshore, de
65 millions de dollars, aurait été
versé à Corinna Larsen, l’ex
amante de Juan Carlos, qui a ex
pliqué à la justice suisse qu’il
s’agissait d’un « don » du roi du
fait de son « affection ».
Le procureur helvète cherche à
déterminer si les fonds
saoudiens provenaient de possi
bles commissions illégales
perçues en marge du contrat de
construction de la ligne de train à
grande vitesse entre Médine et
La Mecque, attribué en 2011 par
l’Arabie saoudite à un consor
tium espagnol de douze entrepri
ses menées par OHL.
Coup rude pour la monarchie
A ce scandale s’en ajoute un autre.
Selon El Pais, Juan Carlos est aussi
le troisième bénéficiaire d’une
fondation du Liechtenstein,
Zagatka, titulaire d’un compte au
Crédit suisse doté de 10 millions
d’euros, qui aurait servi à payer
durant onze ans des vols en jets
privés, secrets, pour l’ancien roi.
Le compte de Zagatka aurait été
nourri par une commission illé
gale obtenue lors de la vente de
Banco Zaragozano à Barclays
Bank en 2003. Le premier bénéfi
ciaire de cette fondation est le
cousin de Juan Carlos, Alvaro d’Or
léansBorbon. Le deuxième est le
fils de ce dernier. En cas de décès
des deux hommes, l’argent re
viendrait à Juan Carlos « en raison
de l’admiration et la reconnais
sance pour avoir ouvert à l’Espa
gne le chemin de la liberté », selon
l’acte de création de la fondation.
En cas de décès, son fils ou les des
cendants de celuici en seraient
les héritiers, selon le site d’infor
mation Voz Populi.
Cependant, Felipe VI « mécon
naît complètement sa supposée
désignation comme bénéficiaire
de la fondation Zagatka », assure
la Maison royale. Elle rappelle que
même si cela s’avérait exact, il a
déjà renoncé à son héritage.
Soucieux de dédouaner son fils,
Juan Carlos a assuré, en bas du
communiqué royal, qu’il n’a in
formé à aucun moment Felipe VI
de l’existence des deux fonda
tions citées. Et rappelé qu’à la
suite de son abdication en 2014
luimême a mis fin en avril 2019 à
« toute activité institutionnelle ou
officielle, se retirant totalement de
la vie publique ».
Le coup n’en est pas moins rude
pour la monarchie. Les indépen
dantistes catalans et la coalition
de gauche Unidas Podemos ont
demandé l’ouverture d’une en
quête parlementaire. Celleci a été
rejetée, mardi 10 mars, par le bu
reau du Parlement avec les voix
des membres du PSOE, du PP et de
Vox, qui ont rappelé l’immunité
absolue du roi.
« Une conduite intègre »
Cependant, s’il bénéficiait de l’in
violabilité durant ses 38 ans de
règne, l’ancien roi ne l’est plus
depuis son abdication et peut
donc être jugé pour les faits com
mis après 2014. Pour exercer
« son droit à la défense », il s’est
déjà doté d’un avocat, l’ancien
procureur anticorruption Javier
SanchezJunco, lequel se char
gera de « rendre compte publique
ment des informations qui peu
vent l’affecter ».
Les mesures que Felipe VI a pri
ses s’apparentent à celle de 2015,
lorsqu’il avait écarté de la famille
royale sa sœur, l’infante Cristina,
et lui avait retiré son titre de
duchesse de Palma de Majorque,
Ne bénéficiant
plus de
l’immunité,
depuis son
abdication,
l’ancien roi
Juan Carlos peut
être jugé pour
les faits commis
après 2014
Benny
Gantz,
le 2 mars,
à Rosh
Ha’ayin.
NIR ELIAS/REUTERS
Les quinze
députés arabes
de la Knesset
se sont joints
à cette alliance
d’opportunité
LE CONTEXTE
SCRUTINS
A l’issue du troisième scrutin
législatif en moins d’un an, le
Likoud de Benyamin Nétanyahou
est arrivé en tête le 2 mars avec
29,46 % des voix, lui permettant
d’avoir 36 députés. Avec ses
alliés, les partis ultraorthodoxes
Shass et Judaïsme unifié de la
Torah (9 et 7 sièges), et Yamina
(droite radicale, 6 sièges), le bloc
de droite obtient 58 sièges, à trois
voix d’une majorité à la Knesset.
Arrivé deuxième avec 26,59 % des
voix et 33 députés, le parti Bleu
Blanc de Benny Gantz a été
soutenu par la liste arabe
(15 sièges) la droite nationaliste
laïque (7 sièges) et six députés
de la gauche.
après le scandale de corruption
impliquant son mari. Elles s’ins
crivent dans le discours qu’il
avait prononcé lors de sa procla
mation comme roi, en 2014. Il
s’était alors engagé à « veiller à la
dignité de l’institution, préserver
son prestige et observer une con
duite intègre, honnête et transpa
rente qui corresponde à sa fonc
tion institutionnelle et à sa res
ponsabilité sociale. Parce que, seu
lement de cette manière, elle se
rendra créditrice de l’autorité
morale nécessaire à l’exercice de
ses fonctions ».
Alors qu’il aurait pu demeurer
dans les livres d’histoire et le
cœur des Espagnols comme
l’homme qui a permis d’asseoir la
démocratie en Espagne après
40 ans de dictature de Franco, et
celui qui a contribué à faire avor
ter la tentative de coup d’Etat du
23 février 1981, Juan Carlos, déjà
tombé en disgrâce après sa partie
de chasse à l’éléphant secrète au
Botswana avec sa maîtresse
Corinna en 2012, au plus fort de la
crise, n’est plus, pour beaucoup
d’Espagnols, qu’un symbole de
corruption présumée et une me
nace pour la stabilité de la monar
chie. Pour son fils aussi désor
mais, sembletil.
sandrine morel