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IDÉES
MARDI 17 MARS 2020
0123
Antoine Bondaz
Face à l’épidémie,
le modèle de gouvernance
chinois n’est pas
un modèle à suivre
Alors que, à Pékin, les dirigeants accentuent leur propagande pour tenter
de faire oublier leur gestion de la crise, le politiste met en garde contre
la tentation de certains pays de se prévaloir d’une gouvernance autoritaire
A
lors que les pays européens s’en
foncent dans une crise sanitaire
sans précédent, la Chine met en
œuvre une stratégie claire dont
l’objectif n’est pas simplement
médiatique – redorer l’image de
la Chine – mais bel et bien politique – met
tre en avant la supériorité du modèle de
gouvernance chinois, et donc du Parti
communiste, sur les modèles de gouver
nance occidentaux.
Comme un article du Quotidien du peu
ple le précisait le 10 mars, il convient de
« refléter les avantages significatifs du sys
tème socialiste aux caractéristiques chinoi
ses ». La menace politique qui pesait initia
lement sur les dirigeants chinois, présen
tée par certains, à tort, comme un
Tchernobyl chinois, se transforme en op
portunité politique.
Le premier objectif des dirigeants chinois
est de faire oublier leur responsabilité
dans la gestion initiale de l’épidémie. Pé
kin reconstruit le déroulement de la crise
sanitaire, en Chine comme à l’étranger. Le
régime oppose les autorités locales, pré
sentées comme responsables de la crise,
aux autorités centrales, qui seraient exem
plaires. La propagande autour du secré
taire général du Parti le présente ainsi
comme le héros de la gestion de crise, à tra
vers des documentaires, par exemple.
Mais la propagande chinoise va plus loin
puisqu’il est mis en doute l’origine même
du premier foyer épidémique. Lors d’une
conférence de presse, le 5 mars, le porte
parole du ministère des affaires étrangères
a en effet déclaré que si « des cas confirmés
de Covid19 ont été trouvés pour la première
fois en Chine, l’origine [de l’épidémie] n’est
pas nécessairement en Chine », véhiculant
explicitement la rumeur que le SARS
CoV2 proviendrait des EtatsUnis.
Le second objectif du régime vise à mi
nimiser ses erreurs qui, couplées à l’ab
sence initiale de prise de décision au plus
haut niveau, n’ont pas permis d’infor
mer le public et de prendre des mesures
de restriction de déplacements plus tôt,
permettant à l’épidémie de se propager à
Wuhan, en Chine et, in fine, à l’étranger.
Si les risques de l’épidémie étaient discu
tés par le comité permanent du Po
litburo dès le 7 janvier, la première prise
de parole officielle de Xi Jinping ne date
en effet que du 20 janvier, entraînant seu
lement l’adoption de mesures aux ni
veaux local et national.
Pire, Pékin veut faire oublier la censure et
la répression associées à la gestion de la
crise. De nombreux médecins ont été for
cés de se taire non seulement au début de
l’épidémie, comme le docteur malheu
reusement décédé Li Wenliang, mais aussi
depuis, à l’instar de la chef de service d’un
hôpital de Wuhan, Ai Fen ; des journalistes
citoyens s’étant rendus sur place afin d’in
former le public, comme Chen Qiushi, ont
disparu, et des activistes qui ont critiqué
les autorités centrales et appelé Xi Jinping
à la démission, comme Xu Zhiyong, ris
quent désormais des années de prison
pour subversion.
Les autorités cherchent enfin à tuer dans
l’œuf les débats sur la nécessaire diversifi
cation de nos sources d’approvisionne
ment en mettant en scène le redémarrage
à tout prix de l’économie chinoise, alors
même que cette crise illustre notre dépen
dance trop importante, notamment dans
des secteurs stratégiques liés à la santé
(principes actifs de médicaments, équipe
ments de protection, etc.), à la Chine.
Une image de puissance responsable
Le troisième objectif des dirigeants chinois
est de redorer l’image de la Chine à l’inter
national en lançant une campagne de
communication sans précédent. Comme
Xi Jinping l’appelait de ses vœux en
août 2013 au cours de la conférence natio
nale sur la propagande et le travail idéolo
gique, « nous devons méthodiquement me
ner le travail de propagande externe (...) afin
de mieux raconter l’histoire de la Chine et
faire entendre la voix de la Chine ».
La Chine développe un double discours
de plus en plus offensif. Critiquant les pays
occidentaux pour avoir procédé à l’évacua
tion de leurs ressortissants de Wuhan, la
Chine évacue les siens d’Iran. Critiquant
les pays occidentaux pour avoir mis en
œuvre des mesures de restriction de dépla
cements depuis la Chine, Pékin a soigneu
sement évité de critiquer certains de ses
partenaires et met désormais en œuvre
des mesures de restriction de déplace
ments équivalentes.
Surtout, la Chine utilise ses capacités de
production d’équipements de protection
comme un outil au service de sa diploma
tie sanitaire. La Chine met en scène l’envoi
d’aide matérielle et technique à un ensem
ble de pays, de l’Iran à l’Italie, tout en cher
chant à faire revivre des initiatives comme
celle d’une « route de la soie des soins de
santé ». La Chine se présente comme une
puissance responsable et veut assurer, no
tamment les pays en développement,
qu’elle est un partenaire fiable, contraire
ment aux EtatsUnis.
Un contrôle accru des populations
Le quatrième objectif des dirigeants chi
nois, et le plus inquiétant, est de vanter les
mérites de leur modèle de gouvernance et
de convaincre, en Chine et à l’étranger,
qu’il est plus efficace que les modèles de
gouvernance occidentaux. Alors que la
Chine avait utilisé la crise financière et
économique, il y a dix ans, pour influencer
les opinions publiques internationales sur
le déclin des pays occidentaux, elle utilise
la pandémie pour mettre en scène la supé
riorité de son système.
Les éditorialistes d’Etat multiplient les
critiques sur Twitter, à l’instar du rédac
teur en chef du Global Times, Hu Xijin, qui,
le 11 mars, évoquait l’incompétence de
Washington et l’incapacité de Donald
Trump à contrôler l’épidémie, allant jus
qu’à douter que le gouvernement améri
cain, contrairement au gouvernement chi
nois, fasse de la protection de sa popula
tion sa priorité principale. Les diplomates
inondent les réseaux sociaux, comme
l’ambassadeur chinois en Afrique du Sud,
qui soulignait sur Twitter que, compte
tenu de la pandémie, « le choix le plus sûr, le
moins cher, le plus sage et le plus judicieux
pour les étrangers est de rester en Chine ».
Alors que l’épidémie ne fait que com
mencer dans un contexte de faible con
fiance envers les gouvernants, une partie
de l’opinion publique en Europe pourrait
être séduite par cette propagande chinoise
et, in fine, le modèle de gouvernance auto
ritaire chinois et ses succès en trom
pel’œil. Non seulement des pays pour
raient chercher à justifier un contrôle en
core accru des populations au nom de la
sécurité sanitaire, mais des partis populis
tes pourraient utiliser des exemples sim
plistes afin de promouvoir une forme
d’autoritarisme et remettre en cause l’idée
même de coopération européenne.
La perte de crédibilité de nos modèles de
gouvernance n’est pas une fatalité. Il est
fondamental de rappeler que des pays dé
mocratiques partageant nos valeurs,
comme Taïwan et la Corée du Sud, ont fait
la preuve de leur efficacité pour éviter ou
contenir l’épidémie en associant mesures
sanitaires fortes, transparence et libertés
individuelles. L’opposition entre modèles
ne doit ainsi pas se réduire à l’alternative
entre démocratie et autoritarisme. Au sor
tir de la crise sanitaire, il conviendra
d’améliorer encore un peu plus nos modè
les de gouvernance et de s’assurer que le
modèle de gouvernance autoritaire chi
nois n’est pas à suivre.
Antoine Bondaz, spécialiste de la
Chine et des deux Corées, est chercheur
à la Fondation pour la recherche straté-
gique (FRS) et enseignant à Sciences Po.
Il a notamment publié « Faire entendre
la voix de la Chine : les recommanda-
tions des experts chinois pour atténuer
la perception d’une menace chinoise »
(« Revue internationale et stratégique »,
n° 115, 2019/3) et « Covid-19, un état de
guerre sanitaire en Chine et une menace
internationale », avec Elisande Nexon
(FRS, note n° 04/20, 13 février 2020)
LA MOBILISATION FACE AU CORONAVIRUS
Modèle chinois, mesures appliquées en France...
Entre confinement et mise à l’épreuve du système de santé,
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