gratte-ciel, la Défense, dont 60 % de
la superficie se situe sur Puteaux et
qui crache 53 millions d’euros de
rentrées fiscales annuelles. On fait
remarquer à Sylvie que, avec les
élections municipales, c’est le
moment où la démocratie locale
peut s’épanouir pleinement et qu’il
suffit de voter pour que Puteaux
déménage du Chili. « Pas si simple.
La maire tient la population d’une
main de fer. Par la peur. » Aux der-
nières élections municipales, celles
de 2014, Joëlle Ceccaldi-Raynaud a
été réélue au premier tour avec
60,77 % des voix. Sylvie en conclut
que,« ici, il n’y a aucune conscience
politique. Les Putéoliens sont ser-
viles, ils marchent droit de peur de ne
pas profiter de tous les privilèges
qu’offre Puteaux. Et Puteaux, c’est
comme un immense supermarché ».
Il est vrai que Puteaux est l’une des
communes les plus riches de France
(environ 200 millions de budget de
fonctionnement en 2019, pour
45 000 habitants, un montant trois
fois supérieur à celui d’une ville de
même taille). Il y a presque autant
de « palais » municipaux que de
châteaux de la Loire (le Palais de la
danse, le Palais de la culture, le
Palais des sports, le Palais de la jeu-
nesse, le Palais des arts plas-
tiques...), des voyages au bout du
monde à des prix imbattables grâce
à la mairie, un choix d’activités
sportives et culturelles sidérant et
du bio à la cantine. La mairie sème
aussi des cadeaux à tout vent. Un
pèse- personne, un cheval à bascule,
un aspirateur... Cette année, à Noël,
les habitants ont reçu une enceinte
connectée, d’une valeur de
200 euros. « Mais c’est payé en par-
tie avec nos impôts! Tout le monde
l’oublie! », soupire Sylvie.
La maire Noël de Puteaux s’appelle
donc Joëlle Ceccaldi-Raynaud ou
« Merci pour tout madame la
maire » pour les intimes putéoliens.
Elle a un sourire aussi glacial que
parfait, elle aime porter des robes
abat-jour qui lui valent le surnom
de « Barbie » ou de « Miss Dior »
dans les couloirs de la mairie et une
coiffure qui lui vaut celui de
« Chantal Goya ». Elle a 69 ans qui
en paraissent trente de moins sur la
photo des tracts de sa campagne
« Passionnément Puteaux ». Elle
brigue un quatrième mandat sous
l’étiquette Les Républicains. Cette
fois, il y a trois listes d’opposition.
Un candidat LRM (Emmanuel
Canto), un candidat EELV (Vincent
Dubail) et un candidat d’union de la
gauche (Francis Poézévara).
Chacune de ces listes possède
autant de chances de gagner que de
réunir les Beatles au Palais de la
culture de Puteaux. La « Maire de
fer », elle, est un personnage mysté-
rieux qui cherche autant la médiati-
sation que les Balkany à payer leurs
impôts. Elle ne sort pas beaucoup
de sa ville et ne prétend à aucune
dimension nationale. Elle a pour-
tant plusieurs fois suppléé Nicolas
Sarkozy, un très proche, à l’Assem-
blée nationale, quand celui-ci fut
ministre. Mais elle n’y allait pas
souvent, c’est vraiment à Puteaux
qu’elle a ses habitudes. Elle circule
dans sa voiture avec chauffeur et
habite à 150 mètres de la mairie,
dans l’une des rues les plus pentues
de France. On vous livre vraiment le
maximum d’informations qu’on a
réussi à rassembler. On a rêvé de la
croiser. « M’étonnerait qu’elle
accepte... nous a prévenu Sylvie. Elle
est allergique aux journalistes. »
Effectivement, c’est tombé à l’eau.
Le directeur de cabinet de la maire
nous a répondu en un seul mail :
« C’est à quel sujet? » Rien de plus.
Un dimanche, on a croisé un
conseiller municipal qui distribuait
des tracts « Passionnément
Puteaux ». Il nous a regardé comme
si on débarquait de la planète
Zardoz déguisé en Belzébuth.
« Euh... Je ne suis pas le mieux placé
pour vous parler de la ville. » On a
cru avoir plus de chance avec un
autre conseiller, « sans étiquette,
libre de sa parole ». Mais il a dû
annuler : « Bon, j’ai fait le point avec
la maire. On a reçu des consignes. On
ne parle pas à la presse en pleine
période électorale. »
Sylvie avait aussi préparé un gâteau
au chocolat : « Et ça fait cinquante
ans que ça dure. Reconduire une
même famille pendant cinquante
ans... Si ce n’est pas un défi à la
démocratie... » On peut en effet
constater que, à Puteaux, la généa-
logie joue un rôle politique décisif :
Charles Ceccaldi-Raynaud, le père
de Joëlle, a gagné la mairie en 1969 ;
sa fille lui a succédé en 2004 ; et
Jöelle a elle-même un fils, Vincent
Franchi, l’actuel hyperadjoint de sa
maman, titulaire de six délégations,
dont les finances, l’éducation, la
culture... Dans les histoires de
dynasties, tout ne se passe pas sans
casse ni trahison. Il y a quelques
années, Puteaux a assisté à un soap
opera familial qui ferait une
Des affiches de campagne de la maire sortante, Joëlle Ceccaldi-Raynaud,
qui, à 69 ans, brigue son quatrième mandat.
Page de gauche, la gare de Puteaux, le 24 février.
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