Beef_Magazine_N_20__D_233_cembre_2018-F_233_vrier_2019

(Maria Cristina Aguiar) #1
décennies, dans la jeunesse du boucher
Le Bourdonnec. Et dans les besoins des
consommateurs de viande français, dont
le profil a beaucoup changé au fil des ans.
Le Bourdonnec avait huit ans
lorsqu’il a parlé de son avenir à son oncle :
il voulait être boucher. Un boucher
rendait régulièrement visite à la ferme
bretonne de son oncle où le Bourdonnec,
fils d’un prêtre catholique, a grandi. Le
boucher abattait des animaux pour des
besoins familiaux : parfois une vache,
parfois un chevreau, parfois un cochon.
Le Bourdonnec avait toujours l’air
fasciné. À 16 ans, il a commencé à
travailler comme boucher, deux ans plus
tard, il a repris l’abattoir de son maître à
Asnières-sur-Seine, dans la banlieue
parisienne.
Dès la première année, une autre
boucherie a ouvert ses portes à côté de sa
boutique en vendant la viande pour la
moitié du prix qu’il proposait. Comment
vais-je survivre, se demandait-il, et il prit
une décision : il maintiendrait ses prix,
mais chercherait aussi le meilleur éleveur
du Limousin pour offrir la meilleure
viande. Il a tenu jusqu’au défi suivant.
Dans les années 90, les Français ont
découvert le barbecue.
Le Bourdonnec a déclaré que les races
françaises ne convenaient pas. Encore

une fois, il est parti à la recherche de la
meilleure viande. Et il s’est rendu en
Angleterre, en Argentine et aux États-
Unis pour voir comment travaillaient
les autres bouchers. Puis il a compris :
« Les races françaises classiques comme
la Charolaise, la Limousine ou l’Aubrac
ont un problème majeur : elles ne sont
matures qu’à environ 40 mois, quand un
bœuf Hereford ou Angus l’est déjà entre
18 et 24 mois », explique Le Bourdonnec.
Le boucher secoue la tête en
énumérant les handicaps des races
françaises, comme si les problèmes le
frappaient à nouveau pour la millième
fois. « Les animaux qui ont grandi
longtemps ont une forte proportion de
collagène », dit Le Bourdonnec, ce qui
rend la viande plus dure. Les bovins
mâles, qui développent naturellement
plus de collagène que les vaches, ne sont
donc pas utilisables. « Les éleveurs ne
gagnent de l’argent qu’en vendant de
vieilles vaches. Ce n’est pas un modèle
viable », déclare Le Bourdonnec.
Sa conclusion dessine un scénario
catastrophe : sans subventions, les agri-
culteurs français ne survivraient pas. Et
qui sait combien de temps ces subven-
tions perdureront? En fait, les agricul-
teurs français manifestent constamment
contre le faible prix de la viande et du

lait, par exemple en juillet 2015, quand ils
ont bloqué les transports et les routes
avec des tracteurs. Aux prix actuels du
marché, les agriculteurs se plaignent de
ne pas pouvoir couvrir leurs frais.

LES GRANDES VACHES
NE SONT PAS
MEILLEURES
La solution proposée par Le Bourdonnec
est accrochée au mur de son restaurant
dans les Galeries Lafayette, juste à côté
du comptoir où il sert la viande : outre
les photos de ses deux fils aînés, Le
Bourdonnec a aussi des photos de trois
agriculteurs qui élèvent des animaux
pour lui. Ils font s’accoupler des races
locales, comme la Normande, la
Gascogne ou la Salers, avec des taureaux
Angus ou Herford. Le résultat : des
animaux qui peuvent être engraissés
vers 18 mois et être abattus à 24. Le bétail
ne mange que de l’herbe, et ce n’est qu’au
cours des derniers mois qu’ils reçoivent
de la nourriture produite dans les
fermes : la betterave dans le nord de la
France, la luzerne en Bourgogne. « Je
trouve primordial de conserver le lien
avec l’origine », dit Le Bourdonnec
malgré les critiques fondamentales qui
veulent le considérer comme un boucher

Le co€re
L’atelier de Le
Bourdonnec est situé
dans l’ancien
abattoir parisien de
La Villette. Ici, le
bétail est découpé.
Ensuite, les
morceaux sont livrés
à ses bouchers.

Parfum
« La viande, c’est
comme le vin », dit
Le Bourdonnec,
« elle a beaucoup de
saveurs di–érentes ».
Il la frotte entre ses
mains, la sent. La
graisse de la bonne
viande sent la noix
et le thym,
dit le boucher.

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