Coup de Pouce - (05)May 2020

(Comicgek) #1

Ma vie | PERSO |


Après mon secondaire, elle s’est séparée
de mon père. On aurait dit qu’elle vivait une
deuxième adolescence. Un jour, je l’ai vue
partir sur une moto avec un homme; elle
portait mes jeans. Ç’a été une sorte de choc.
Nos conversations n’étaient plus com-
plices. Ma vie ne l’intéressait plus. Pour
s’émanciper, elle avait besoin de se décharger
de son rôle de mère, alors qu’elle avait été
tellement fusionnelle avec nous pendant
notre enfance!
À 25 ans, j’ai perdu ma meilleure amie de
l’époque. Mon premier réflexe a été d’appe-
ler ma mère. Elle la connaissait aussi et j’avais
besoin de son soutien. Elle a promis de me
rappeler le lendemain, pour finalement se
décommander. Elle n’était pas présente pour
moi, même quand je n’allais pas bien. Je l’ai
vécu difficilement.

moi et, au bout de deux ans de thérapie, j’ai
fini par accepter notre relation telle qu’elle
était. «Lorsque les enfants deviennent eux-
mêmes parents et qu’ils comprennent la dif-
ficulté d’être à la hauteur de leurs idéaux
dans ce nouveau rôle, il peut y avoir une atti-
tude d’empathie envers leurs parents et de
pardon à l’égard des rancœurs entretenues»,
explique Julie Roussin, psychologue.
Ma mère est incapable de m’accueillir
dans mes peines, elle n’en a pas la force. C’est
trop dur pour elle de devoir consoler sa fille
qui souffre. Un genou écorché, c’était gé-
rable. Mais mes épreuves d’adulte, c’est trop
pour elle.
En revanche, elle est de bon conseil et
elle ne nous fait jamais de reproche. Elle
n’est pas du tout dans le jugement ou la
manipulation. Je sens qu’elle nous
respecte.
«À l’âge adulte, il y a cer-
tains renoncements qu’il
faut absolument faire
pour être heureux, af-
firme la psychologue. Il
faut accepter l’imperfec-
tion dans notre vie, dans
notre personnalité, dans
notre couple, et aussi chez
nos parents. Si l’on garde
des attentes idéalisées en-
vers notre mère, on entre
automatiquement dans
une déception constante.
La solution, c’est d’entamer un processus de
deuil du parent parfait. C’est un passage obli-
gé, bien que chacun le vive à sa façon. Par
contre, accepter l’imperfection ne signifie pas
qu’il faille endurer des relations toxiques au
prix de notre bien-être ou de notre santé
mentale.»
Je suis contente de m’être débarrassée de
ma colère, de ma tristesse et de mes décep-
tions. Quand on se voit à Noël, je sens qu’elle
n’est pas complètement détendue, mais je
me concentre sur le fait qu’elle se soit dépla-
cée pour être avec nous.
Depuis que j’ai fait le deuil de la mère
idéale, notre relation est plus saine. Je ne lui
demande plus de me donner ce qu’elle ne
peut pas offrir. Il reste juste de la place pour
de l’amour.

ANNABELLE*, 35 ANS, ET SA MÈRE SE PARLENT MAINTENANT
AU TÉLÉPHONE UNE FOIS PAR SEMAINE ENVIRON.
* Le prénom a été changé.•

Pendant 10 ans, elle est restée avec un
homme manipulateur. Quand ils se sont sé-
parés, elle a tout perdu. Elle n’avait plus de
travail, plus de maison. Elle a dû rebâtir sa vie
à partir de zéro, alors qu’elle était dans la cin-
quantaine. Elle a finalement retrouvé un
emploi, un appartement, mais n’a pas renoué
avec son rôle de mère.
Elle ne s’est présentée ni au mariage de
mon frère ni au mien. Elle est venue voir
mon bébé les trois premiers jours après sa
naissance, puis elle s’est éloignée de nou-
veau. Pour moi, qui pensais que ma grossesse
nous rapprocherait, ç’a été un déclic.
Un jour, je lui ai tout déballé, je pleurais au
téléphone. Elle me répondait qu’elle était
désolée de ne pas pouvoir me donner ce que
je voulais. J’ai alors réalisé qu’elle ne serait
plus jamais la mère dévouée qu’elle avait été
pendant mon enfance. Cette version d’elle
n’existait plus. L’idée a fait son chemin en

«


Le processus de deuil


du parent parfait est


un passage obligé.
»


  • JULIE ROUSSIN, psychologue


32 |


MAI 2020
Free download pdf