Coup de Pouce - (05)May 2020

(Comicgek) #1

PHOTOS: STOCKSY/E (OUVERTURE); GETTY IMAGES/E (BISCUITS).


ELLE NOUS A PORTÉE, CAJOLÉE ET ÉLEVÉE. POURTANT, LA RELATION
MÈRE-FILLE ÉVOLUE PARFOIS VERS UN TERRAIN GORGÉ DE RANCŒUR
ET DE DÉCEPTION. COMMENT PACIFIER LA ZONE DE CONFLIT? DOIT-ON
MORALEMENT AIMER SA MÈRE EN TOUTES CIRCONSTANCES? DÉCRYPTAGE
ET CONFIDENCES À LA FRONTIÈRE DU TABOU. Par Julie Champagne

S


téphanie ne mâche pas ses mots: elle n’a
aucune complicité avec sa mère. «Je suis
l’extraterrestre de la famille, raconte la di-
rectrice marketing de 33 ans. Ma mère était
sévère, peu démonstrative. Même enfant, je ne res-
sentais ni sa fierté ni son amour.»
Pas d’évènement déclencheur ni de chicane ex-
plosive. Seulement une impression latente de ne pas
connecter de façon authentique avec celle qui lui a
donné la vie.
«Tout ce que nous avons en commun, ce sont des
souvenirs, poursuit Stéphanie. Je ne vois pas l’intérêt
d’investir temps et énergie dans une relation qui
n’existe que dans le passé. La simple idée de lui télé-
phoner m’angoisse. Je ne veux plus m’imposer ça.»

UN LIEN D’ATTACHEMENT FONDATEUR
La relation mère-fille suit une trajectoire unique. Après
tout, la figure maternelle incarne la symbiose intra-
utérine et l’amour conjugué au futur inconditionnel.
Enfin... la plupart du temps. Malgré les bonnes inten-
tions, les revers et les déceptions viennent parfois ponc-
tuer cette relation aux sentiments ambivalents, entre
amour et haine, entre loyauté et trahison.
«Il y a plus que la dimension affective propre au lien
parental; la mère sert aussi de modèle pour sa fille, ex-
plique Suzanne Vallières, psychologue. Avec son fils, elle
est souvent dans la protection, alors que pour sa fille, elle
risque d’entrer dans la projection, ce qui la rend parfois
plus critique ou plus exigeante.»
Les premières turbulences se manifestent souvent à
l’adolescence, un moment charnière de la relation mère-
fille. «Après la fusion de l’enfance, la mère se sent parfois
blessée en voyant sa fille se détacher et gagner en indé-
pendance, décrit Mme Vallières. Elle le perçoit comme de
l’arrogance, de l’ingratitude.»

HARO SUR LA MÈRE TOUTE-PUISSANTE
La déception inverse existe aussi, lorsque les filles nour-
rissent de grandes attentes envers leur mère. On veut
qu’elle anticipe nos besoins, qu’elle comble nos carences
affectives, qu’elle renforce notre estime personnelle,
qu’elle nous réconforte, qu’elle nous aide financière-
ment, qu’elle réponde toujours présente au point de
s’oublier elle-même. Or ces attentes sont démesurées.
«Il est parfois difficile d’accepter que notre mère est
faillible, dit Suzanne Vallières. Souvent, nos attentes

persistent longtemps après la cohabitation. On veut à
la fois une mère qui nous soutient comme quand on
était enfant et une mère qui nous respecte en tant
qu’adulte. Il n’est pas toujours facile de réconcilier ces
demandes contradictoires.»
Le secret pour évoluer vers une relation harmo-
nieuse entre adultes? Admettre que notre mère a
aussi ses limites. Cette acceptation émerge souvent
quand on doit relever soi-même les défis complexes
de la maternité.

IMPARFAITE... ET C’EST TANT MIEUX!
À quoi ressemble une bonne mère? La psychologie
répond avec le concept de la «mère suffisamment
bonne», une notion fondamentale établie par le psy-
chanalyste et pédiatre Donald Winnicott, en 1953,
mais plus actuelle que jamais. Le propos? Une mère
n’a pas le devoir d’être exceptionnelle, bien au
contraire. Il lui faut plutôt être une mère acceptable,
juste correcte. Ni trop ni pas assez.
Dans son ouvrage La fille de sa mère, Véronique
Moraldi décrypte le côté sombre de la perfection
maternelle: «En étant une trop bonne mère, on risque »»

«On veut à la fois une mère qui nous


soutient comme quand on était enfant


et une mère qui nous respecte en tant
qu’adulte. Il n’est pas toujours facile

de réconcilier ces demandes


contradictoires.» — SUZANNE VALLIÈRES, psychologue


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MAI 2020
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