Coup de Pouce - (09)September 2020

(Comicgek) #1

ILLUSTRATIONS: ANNICK POIRIER/C.


enfermées ici. La pièce est sombre, grise, je ne
me souviens pas d’avoir regardé par la fenêtre,
je ne sais plus s’il y avait un balcon, je ne me
souviens de rien sinon du lit dans la chambre
étroite au mobilier intégré. Et l’impression
d’être propulsée des années en arrière, décor
de lignes droites ornementées de coloris vifs et
bois de teck. La valise fermée, en équilibre près
de la table.
Je ne sais pas si nos vêtements ont été arra-
chés ou si nos mains ont glissé furieusement
sous le tissu, sur la peau, dans une urgence
enragée pour combler le plus vite possible la
distance, l’amour les yeux fermés, à tâtons,
vouloir consommer l’autre, la prendre en
entier. Je revois un désordre de teintes et de
textures, ses cheveux qui balaient ma joue,
son jean Mango déboutonné, le t-shirt bleu
dont la manche relevée révèle sur l’épaule le
tatouage de conte de fées.
Elle me dit que la Cité radieuse correspond
à la fusion entre deux versions de l’architecte
qu’était Le Corbusier, sa version philosophe et
sa version romantique. L’architecte avait rêvé
l’unité d’habitation comme un lieu idéal pour
la famille, maison de silence et de solitude au

soleil, dans l’espace et la verdure. La Cité ra-
dieuse serait une œuvre de rigueur, de gran-
deur, de noblesse, de bonheur et d’élégance,
un exemple parfait d’harmonie.
Elle veut me faire goûter, à Marseille, le mar-
ché, les rues commerçantes, le port, le vent.
Quand je sors avec elle, il pleut à torrents. Ce
n’est pas la France que je connais, c’est tout à
coup un pays qui lui ressemble. Sa beauté
double aux abîmes de douceur et de violence,
un monde mystérieux, caché, enfoui sous des
apparences de légèreté. Un univers dont on ne
soupçonne pas le danger. Les gens se pressent,
se bousculent sans s’excuser. Promenade de
quelques heures, trempées. Quelque chose me
trouble, quelque chose me heurte. Je n’ai
qu’une envie: retrouver le petit lit.
Le restaurant de l’hôtel a pour nom le titre
d’un film, Le ventre de l’architecte. C’est l’histoire
d’un homme qui en vient à tout perdre: son
travail, sa femme, sa santé, jusqu’à sa vie. Il s’est
fait avoir, on l’a berné, c’est une histoire impi-
toyable, cruelle, sans rédemption. Il a tout
perdu parce qu’il a tout risqué. Aujourd’hui, je
me dis que c’était quelque chose comme un
mauvais présage, un nom de code que j’ai été

«Je ne viens pas la
retrouver pour

prendre la mesure
de ce qui nous lie.

Je ne viens pas
vérifier. Je la rejoins

pour l'aimer encore
plus, toujours plus,

jusqu'à la fin de la


vie. C'est ma folie.»


»»

COUSEPTEMBRE 2020PDEPOUCE.COM|^55


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