Coup de Pouce - (11)November 2020

(Comicgek) #1
uand tombe le diagnostic d’une maladie
grave, la vie du malade chavire, tourne au
chaos. «Les réactions sont nombreuses.
Parfois, le choc est tellement grand qu’il peut
paralyser pendant un bout de temps. Parfois, on n’arrive
même pas à pleurer, on vit dans le déni. Mais, ensuite,
quand on se réveille, on a besoin d’agir pour retrouver
un brin de contrôle dans ce grand bouleversement»,
indique Christine Grou, présidente de l’Ordre des psy-
chologues du Québec. Passer à l’action permet aussi de
faire le deuil de la vie d’avant, avant que la maladie
n’accapare tout. Et comme la mort rôde, un immense
besoin émerge. Une urgence de vivre, mais aussi de dire.
Écrire est un acte libérateur. Les raisons de coucher
des mots sur papier sont multiples et personnelles: faire
un pied de nez à la maladie, extérioriser ses peurs et ses
émotions, briser la solitude, digérer certains moments
pénibles, prendre de la distance par rapport à un quo-
tidien ponctué d’actes médicaux, trouver du réconfort,
briser des tabous, laisser une trace, s’expliquer, etc.
Chacune est valable, nécessaire même.
Et pas besoin de raconter notre histoire au grand
public pour laisser une trace ou bénéficier des bienfaits
des confidences écrites. Certains publient un blogue ou
tiennent une page Facebook, d’autres rassemblent leurs
souvenirs dans des lettres destinées à leurs proches.
Certaines démarches sont publiques, d’autres privées,
d’autres encore sont secrètes. «Quand ma grand-mère
est décédée, j’ai trouvé des cahiers dans lesquels elle
écrivait depuis quelques années déjà, raconte Isabelle,
27 ans. Elle avait fait plusieurs accidents ischémiques
transitoires, et elle ne nous l’avait jamais dit. C’est sûre-
ment à ce moment-là qu’elle a commencé à noter toutes
ses pensées et le contenu de ses journées. Ma grand-
mère aimant rire, elle avait écrit des blagues et des anec-
dotes qui lui donnaient le sourire. Elle avait aussi
conservé toutes les lettres que nous lui avions envoyées,
mes sœurs et moi. Ç’a été un vrai ouragan d’émotions...
mais pas seulement de la tristesse. J’ai ri, je me suis rap-
pelé les moments racontés. Plus encore, j’entendais sa
voix me lire ces récits. C’est devenu le souvenir le plus
précieux que j’ai d’elle. Encore aujourd’hui, 12 ans plus
tard, quand elle me manque, je lis “ses mémoires” et je
me sens proche d’elle de nouveau.»

UN LEGS
Alyson Beauchesne-Lévesque a reçu un diagnostic de
cancer du sein le jour de son 28e anniversaire. Une fois
le choc plus ou moins encaissé, elle a lancé une page
Facebook – Aly contre le Bidoutosore – pour informer les
gens qui voulaient de ses nouvelles. Elle a aussi renoué
avec le dessin, tout en poursuivant un but: laisser son

PHOTOS: GETTY IMAGES/E.histoire, la vraie, pour son fils Charles, un petit


«Laisser un seul


document privé, je


trouvais ça risqué.


Avec le livre, l’histoire


va rester. Je ne voulais


pas que les gens


racontent ma vie


[à mon fils], parce que


les souvenirs se


déforment et s’étiolent.


Je voulais qu’il lise


dans mes pensées.»
− ALYSON BEAUCHESNE-LÉVESQUE

bonhomme qui avait alors trois ans. Elle a finalement
publié le livre Stade 4 – Ma vie avec le cancer (Éditions de
l’Homme) en 2018. «Ce livre, c’est mon legs pour lui. Lui
laisser un seul document privé, qui aurait pu brûler, je
trouvais ça risqué. Avec le livre, l’histoire va rester. Je ne
voulais pas non plus que les gens lui racontent ma vie,
parce que les souvenirs se déforment et s’étiolent. Je
voulais qu’il lise dans mes pensées», explique-t-elle.
Les écrits d’Alyson ont touché d’autres personnes que
son entourage. Celle qui, après son diagnostic, a rapide-
ment dit à sa mère qu’elle souhaitait utiliser cette
épreuve pour faire une différence dans le monde estime
avoir rempli sa mission. Grâce à son ouvrage, elle a pu
nouer des liens avec de jeunes adultes qui vivent la
même chose qu’elle. «On se sent normaux entre nous.
Cette entraide fait du bien!» nous confie-t-elle.

FAIRE UN BILAN
Pour répondre à des questions existentielles qui l’habi-
taient – Que retenons-nous de la vie à l’approche de
nos derniers instants? À quoi pensons-nous quand nos
jours sont comptés? –, l’auteure Geneviève Landry a eu
envie d’interroger des personnes de tous âges, atteintes

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NOVEMBRE 2020
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