French Grammar in Context

(lu) #1

26 The subjunctive (present and perfect)


«Comment t’appelles-tu?
Je m’appelle Jean, monsieur.
Tu habites dans ce quartier?
Non, monsieur, j’habite dans le quatorzième.»
5 Nous nous trouvons pourtant à l’autre bout de Paris. Bien que de multiples raisons
puissentexister pour expliquer la présence ici de cet enfant, je m’étonne qu’il
traîneainsi, dans la rue, si loin de son domicile. Sur le point de lui poser une
question à ce sujet, j’ai peur soudain que mon indiscrétion ne lui paraisseétrange,
qu’il ne s’en alarme, et même qu’elle ne le fassefuir...
10 «Rue Vercingétorix», précise le gamin, de sa voix qui passe brusquement de l’aigu
au grave, en plein milieu d’un mot aussi bien.
Le nom du chef gaulois me surprend: je crois qu’il y a justement une rue
Vercingétorix qui donne sur cette avenue-ci, et je ne pense pas qu’il y enaitune autre
ailleurs, dans Paris en tout cas. C’est impossible que le même nomsoitutilisé pour
15 deux rues différentes de la même ville; à moins que deux Vercingétorix n’existent
aussi dans l’histoire de France. Je fais part de mes doutes à mon compagnon.
«Non», répond-il sans hésiter, il n’y a qu’un seul Vercingétorix, et une seule rue à
Paris. Elle se trouve dans le quatorzième arrondissement.»
Il faut donc que je confondeavec un autre nom de rue?... C’est assez fréquent
20 que nous croyionsainsi à des choses tout à fait fausses; il suffit qu’un fragment de
souvenir venu d’ailleurs s’introduiseà l’intérieur d’un ensemble cohérent resté
ouvert, ou bien que nous réunissionsinconsciemment deux moitiés disparates, ou
encore que nous inversionsl’ordre des éléments dans un système causal, pour que
seconstituentdans notre tête des objets chimériques, ayant pour nous toutes les
25 apparences de la réalité...
Mais je remets à plus tard la résolution de mon problème de topographie, de peur
que le gamin ne finissepar se lasser de mes questions. Il m’a lâché la main, et je
doute qu’il veuilleme servir de guide encore longtemps. Ses parents l’attendent
peut-être pour le déjeuner.
30 Comme il n’a plus rien dit depuis un temps assez long (assez long pour que j’en
prenneconscience), je crains même un instant qu’il nesoitdéjàparti, et qu’il nefaille
désormais que jepoursuiveseul ma route, sans son providentiel soutien. Je dois avoir
l’air désemparé, car j’entends alors sa voix, rassurante en dépit de ses sonorités étranges.

Text
Free download pdf