13 Policy Matters.qxp

(Rick Simeone) #1

actuellement aux gestionnaires de milieux
naturels doivent donc être confrontées à
une grille d’analyse culturelle qui ne sous-
estime pas l’univers culturel citadin domi-
nant, sans ignorer pour autant les résistan-
ces fortes parmi les acteurs du monde rural.


Trop souvent les acteurs ruraux estiment en
effet être traités a priori comme des enne-
mis dans les projets de protection de la
nature menés par l’Etat. Certains modes de
communication sur l’environnement ont en
effet accrédité, bien à tort, l’idée que
l’homme est l’ennemi de la nature qui doit
être protégée par l’Etat. Ce schéma culpabi-
lisant est vécu comme inadmissible par des
acteurs qui pensent légitimement se situer
dans une lignée séculaire solidaire qui a for-
tement contribué à façonner ce territoire et
cette nature, qui méritent aujourd’hui d’être
protégés. Il est perçu comme une prise de
contrôle d’un mode rural fragile par une cul-
ture citadine triomphante. Pourtant cette
nature et ces paysages témoignent souvent
d’équilibres socio-techniques aujourd’hui
profondément fragilisés sinon révolus.


Dans les zones rurales en difficulté, les
acteurs qui restent au pays malgré un
contexte économique et social souvent peu
favorable, ainsi que ceux qui se veulent soli-
daires avec eux, s’estiment « dépositaires »
de ce qui fait la richesse et la spécificité
d’un terroir « humanisé » au fil des siècles.
Ils vivent donc comme une injustice les dis-
cours de protection qui ne font pas une
large place à l’homme, et développent dès
lors une hostilité vis-à-vis d’un Etat qui ne
sait pas les reconnaître. Ils perçoivent sou-
vent l’intervention « protectrice » de l’Etat
comme le « coup de grâce » à un terroir
fragilisé, vis à vis duquel l’Etat n’assumerait
pas son devoir de solidarité. La défense de
ce qui fait leur identité passe alors souvent
par le refus des projets de protection menés
par l’Etat. Les conflits sont d’autant plus vifs
que cette identité est vécue à la fois comme
niée et agressée.


Aborder un projet public de protection dans
toute sa complexité biologique et adminis-
trative sans prêter suffisamment attention à
la dimension culturelle de ce qui est souvent
compris, par les propriétaires concernés et
par les populations locales, en terme de
dépossession expose à des incompréhen-
sions majeures, susceptibles de conduire à
des rancœurs plus ou moins verbalisées, à
des oppositions, voire à des conflits. Il
convient donc de commencer par reconnaî-
tre publiquement la qualité biologique d’un
terroir façonné par des générations d’hom-
mes qui y ont durement travaillé, et d’intro-
duire très tôt la référence, pour le passé et
pour l’avenir, à un territoire géré.

Il faut s’appuyer sur ce qui fonde l’identité
du terroir pour refuser la fatalité d’une dis-
solution dans une modernisation uniformi-

sante et sans âme. Il est ensuite possible de
voir concrètement, avec les acteurs locaux,
comment préserver cette richesse qui fonde
simultanément l’identité d’une communauté
et celle d’un terroir. Cela suppose que la
politique de la protection de la nature fasse

Conservation aas ccultural aand ppolitical ppractice


Figure 3.Site de la Sanguinière, dans le parc natio-
nal du Mercantour : la forêt de mélèze semble natu-
relle et pérenne au citadin, mais la régression des
pâturages d’altitude en sous-bois et le renchérisse-
ment des coûts d’exploitation du bois laissent planer
une incertitude sur l’évolution du mélézein (Courtoisie
Parc National du Mercantour & Jean-Louis Cossa)
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