J'irai manger des khorovadz

(nextflipdebug2) #1
Lâcher-prise

délaissée ou sacrifiée. Une France réformée par des « dispositifs pensés
par le haut par des personnes qui sont de plus en plus hors-sol^15 ».
Traversant l’unique fenêtre donnant directement sur la rue la lumière
blafarde éclaire sournoisement le grand buffet la table et les chaises en
Formica. Malgré la sobriété de l’intérieur l’histoire de différentes
générations est imprégnée dans ces murs et dans ces odeurs. Cette dame
me propose une boisson et des gâteaux et nous nous asseyons autour de
la table. Elle entreprend de me raconter sa vie : après avoir bourlingué de
par le monde c’est aujourd’hui le monde qui s’invite chez elle par
l’ouverture de sa porte car juste devant sa maison passe l’itinéraire de
l’Eurovélo 6. La dernière anecdote récente c’est ce Turc tirant une
remorque derrière son vélo. Il ne parle pas un mot de français et lui fait
comprendre probablement dans un état proche de l’hypoglycémie qu’il
a besoin d’un repas car il est affamé. Elle le lui procurera avec une
grande gentillesse.
Elle s’est mariée à Abidjan et a vécu dans différents pays du monde
mais depuis qu’elle est seule elle a choisi de revenir passer sa retraite
dans cette maison familiale datant de trois siècles au moins une maison
figée dans le temps. Chaleureuse et enjouée cette grand-mère a envie de
parler. Je l’écoute en la regardant devinant dans ses yeux passionnés le
besoin de partager sa vie de profiter peut-être de ces rares moments où
elle a l’occasion de faire revivre tous ces souvenirs qui lui appartiennent
afin de ne pas les oublier. C’est surprenant de constater comment après
avoir parcouru le monde on peut rester lié à des histoires familiales
ancrées dans un lieu. C’est un lien concret qui parfois unit (ou désunit)
les familles. Trente minutes plus tard et après quelques bouteilles
remplies (d’eau – elle voulait me proposer le pastis) je lance une
première tentative de départ. Peine perdue elle continue ses histoires! Je
l’écoute patiemment ne voulant pas rompre le charme de cette rencontre
et lui procurer peut-être un peu de joie dans son quotidien routinier. Elle
est intarissable et laisse transparaître un caractère bien trempé. Je


(^15) Floriane Louison - Le Peuple de la frontière - Les Éditions du Cerf.

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