18 |économie & entreprise MARDI 15 OCTOBRE 2019
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La bataille des box
Les opérateurs télécoms voient leur suprématie
de plus en plus contestée par de nouveaux entrants
venus de l’Internet. GAFA en tête, ils proposent
leurs propres solutions d’accès, plus flexibles, à des
contenus multimédias souvent plus populaires
Fabienne Dulac, directrice générale
adjointe d’Orange, lors de la présentation
de la nouvelle box de l’opérateur,
le 9 octobre. ERIC TSCHAEN/REA
DOSSIER
L
e pugilat des box fait rage dans
les télécoms. En ce début octo
bre, Orange a donné le coup d’en
voi de sa nouvelle Livebox, cin
quième du nom. SFR avait lancé
la sienne fin août, la Box 8, à
grand renfort de publicité. Free pourrait de
son côté dévoiler la septième version de sa
Freebox en novembre. Quant à Bouygues
Telecom, il prépare une nouvelle Bbox pour
- La bagarre s’exacerbe comme jamais
dans ce petit monde des terminaux d’accès à
Internet, le téléphone et la télévision. Cha
cun vante ses nouveaux services – exclu
sifs –, le son haute définition, etc.
Car les opérateurs télécoms ne veulent
pas être relégués au rôle de simple gestion
naire de tuyau, mais d’offreurs de contenus
en tous genres. Pourtant, les coups de
poing que s’échangent les quatre catcheurs
du paysage français des télécommunica
tions cachent une menace bien plus grande
pour eux. Ils sont, en effet, de plus en plus
courtcircuités par de nouveaux entrants
proposant des miniboîtiers, clés TV (dispo
sitif d’accès à Internet branché sur son
téléviseur), téléviseurs intelligents et en
ceintes connectées.
Bien sûr, la domination des opérateurs sur
l’accès Internet n’est pas menacée, en revan
che, leur suprématie sur les contenus est
contestée par des envahisseurs venus du
Net : platesformes vidéo, de télévision en
streaming ou contenus multimédias du
type YouTube. Pour les rois français des télé
coms, les chaînes de télévision et autres ser
vices qu’ils intègrent à leurs box sont autant
de produits d’appel qui leur permettent de
vendre à leurs millions de clients des abon
nements lucratifs (plus de 30 euros par mois
en moyenne) pour avoir du haut débit ou la
fibre optique.
CONTOURNER LES ACTEURS HISTORIQUES
Les lancements en novembre des platesfor
mes vidéo Disney+ et Apple TV+, puis au
printemps 2020, de HBO Max (WarnerMe
dia) et de Peacock (NBCUniversal), sans par
ler de la plateforme française Salto (TF1, M
et France Télévisions), annoncée pour le
début de l’année prochaine, sont en train de
changer la donne.
Pour accéder au réseau et avoir du WiFi
dans la maison, un boîtier miniature sera
toujours nécessaire, mais, pour le reste, la
box telle que nous la connaissons est vouée
à disparaître. Les opérateurs télécoms pen
saient maîtriser le cerveau du numérique
domestique, ils n’en auront que les jambes.
Les solutions alternatives des géants de la
Toile et de bien d’autres nouveaux entrants
pour accéder à une foultitude de contenus
vidéo et multimédias, indépendamment
des box, se nomment Roku, Amazon Fire TV,
Google Chromecast, Nvidia Shield ou encore
Apple TV. Tout est bon pour contourner la
suprématie historique des opérateurs.
Roku, le fabricant américain de décodeurs,
de clés TV et de lecteurs multimédias, pro
che de Netflix, mène l’offensive aux Etats
Unis, devant Amazon Fire TV. En consé
quence, outreAtlantique, le nombre de
foyers qui se désabonnent de la télévision
payante par le biais du câble, du satellite ou
de l’ADSL continue de grossir. Ils seront
3 millions à couper le cordon avec leur opé
rateur historique rien que cette année.
L’enjeu est de taille. Netflix et Amazon
Prime Video, avec aujourd’hui respective
ment 160 millions et plus de 100 millions
d’abonnés dans le monde, ont montré la
voie. Chacun investit désormais des mil
liards de dollars chaque année dans des
séries originales qui n’ont rien à envier aux
blockbusters du cinéma. La bataille des box
est aussi celle des séries, et même des jeux
vidéo à gros budgets. Les GAFAN (« N » pour
Netflix) s’en donnent à cœur joie.
Le géant du ecommerce, lui, multiplie non
seulement les contenus tous azimuts (Ama
zon Prime Video, Amazon Music, Prime
Photos, Prime Reading, Audible Channels
ou encore Twitch), mais aussi les appareils
Fire, Echo ou Kindle pour y accéder direc
tement (tablette, clé TV, magnétoscope nu
mérique, cube à télécommande vocale, en
ceinte connectée, voire prototype de lunet
tes connectées). « Notre objectif est de
proposer à nos clients la même expérience
quel que soit le dispositif utilisé », explique un
porteparole d’Amazon.
Le premier concurrent d’Amazon sur les
clés TV (dongle) est Google, avec sa Chro
mecast. Depuis le mois d’avril, ces deux
géants du Net ont mis un terme à leur
conflit : YouTube (Google) est désormais vi
sible sur Fire TV (Amazon), tandis que Prime
Video, le service du roi du commerce élec
tronique, est accessible avec la Chromecast
de Google. Mais dans les jeux en streaming,
ils sont plus que jamais rivaux : Google lan
cera sa plateforme Stadia en novembre, sur
le modèle de Twitch, racheté par Amazon
en 2014. De son côté, Facebook a peaufiné en
septembre sa gamme d’écrans connectés et
vocaux Portal TV, lancée il y a un an (inté
grant notamment Amazon Prime Video). La
rumeur prête même au réseau social l’inten
tion de lancer aussi sa propre « box TV ». La
firme de Mark Zuckerberg se retrouverait
ainsi en concurrence frontale avec Roku,
Amazon et Google.
DE LA DIFFICULTÉ DE SE DIFFÉRENCIER
Cette bataille submerge les opérateurs télé
phoniques, qui ne savent plus quoi inventer
pour différencier leurs box. L’usage massif
des services sur Internet – replay, vidéo à la
demande (VOD) ou médias sociaux – a
ouvert la boîte de Pandore : « Des fonctions
“traditionnelles” des box sont beaucoup
moins sollicitées, comme l’enregistrement ou
les fonctions de “grille de programme” », re
lève JeanLuc Lemmens, directeur du pôle
médiatélécom du think tank Idate. Les
Livebox, SFR Box, Bbox et Freebox restent
compliquées à manipuler par rapport à la
facilité offerte par les GAFA : Roku et Nvidia.
Sous pression, les fournisseurs d’accès à
Internet (FAI) répliquent en multipliant les
modèles de box : tailles normales ou plus
petites (comme la SFR Box 8 ou la Freebox
mini), aux allures d’enceintes connectées,
plus simples, plus puissantes, avec plus de
contenus (Altice met Prime Video et l’assis
tant vocal Alexa d’Amazon dans sa SFR
Box 8), voire avec des options payantes. Par
exemple, Free n’a cessé de diversifier
sa gamme de boîtes noires avec la SVOD
(vidéo à la demande par abonnement) de
Netflix, le son de Devialet, les assistants
vocaux d’Amazon ou de Google, ou encore
la presse en ligne avec LeKiosk. Pourtant,
l’opérateur télécom fondé par Xavier Niel
[coactionnaire à titre individuel du Groupe
Le Monde] a perdu 31 000 abonnés fixes au
premier semestre.
Sans parler de ses ennuis judiciaires :
Bouygues Telecom a porté plainte le 31 mai
LES OPÉRATEURS
TÉLÉCOMS
PENSAIENT
MAÎTRISER
LE CERVEAU
DU NUMÉRIQUE
DOMESTIQUE,
ILS N’EN AURONT
QUE LES JAMBES
anthony wood a fondé roku il y
a dixsept ans. En 2007, il est recruté
par Netflix pour concevoir un lecteur
vidéo qui ne sera pas développé. Il re
lance l’année suivante Roku, pionnier
devenu numéro un américain des
lecteurs de contenus en streaming.
L’Europe est son second marché.
Quelle est la différence entre
les box de Roku et celles des
opérateurs télécoms comme, en
France, Livebox, Bbox, SFR Box ou
Freebox? Pourquoi avoir les deux?
Nous n’avons pas seulement une
box de diffusion en continu, mais
aussi des sticks de streaming [sorte de
clé TV], minuscules, portables et invi
sibles pour l’utilisateur. Nous nous ef
forçons de donner aux consomma
teurs un moyen facile d’accéder à une
tonne de contenus de divertissement
de grande qualité. Les lecteurs de
streaming Roku et les téléviseurs
équipés de Roku offrent un accès à
des milliers de chaînes sur Internet, y
compris des services populaires tels
que Netflix, Prime Video et MyTF
VOD. Tout ce que nous faisons est de
nous focaliser sur l’expérience de la
télévision en ligne sur Internet.
Aux EtatsUnis, le marché des lec
teurs de streaming, ou players, s’est
concentré autour de Roku (numéro
un), Fire TV d’Amazon (numéro deux),
et d’autres dont les parts de marché
déclinent. Je m’attends à ce que cette
tendance se répète en Europe.
Au Salon hightech IFA de Berlin,
début septembre, vous avez
annoncé que Roku TV – installé
sur des téléviseurs du chinois Hi
sense – serait d’abord disponible
en GrandeBretagne... Et la France?
Roku TV est le premier système
d’exploitation pour Smart TV [télévi
sion connectée] aux EtatsUnis, et
nous avons commencé à concentrer
nos efforts sur l’Europe. Nous avons
en effet annoncé l’arrivée en Europe
du programme de licence de Roku
TV. Après une première étape au
RoyaumeUni, nous prévoyons
d’étendre progressivement sa dispo
nibilité à d’autres pays européens.
Aujourd’hui, nous vendons des
players de streaming en France sur le
site d’Amazon.fr.
La plupart des Smart TV utilisent
toujours un système d’exploitation
conçu par le fabricant de téléviseurs,
mais nous croyons qu’à l’avenir la
plupart d’entre eux – si ce n’est tous –
vont prendre des licences de système
d’exploitation comme le nôtre. Dé
velopper et maintenir un tel logiciel,
facile à utiliser pour accéder à des
milliers de chaînes sur Internet, est
incroyablement difficile. Et cela ne
fait souvent pas partie de l’ADN d’un
fabricant de matériel.
Roku TV, Amazon Fire TV Stick,
Google Chromecast, Nvidia Shield,
Apple TV, ou encore peutêtre
demain une « Facebook box TV »...
Y atil de la place pour tout
le monde?
Au 30 juin, nous avions 30,5 mil
lions de comptes actifs qui peuvent
être considérés comme autant de
foyers. La majorité de nos clients sont
aujourd’hui aux EtatsUnis. Dans un
ménage, il peut y avoir plusieurs ap
pareils et utilisateurs. Au fil du temps,
les box externes disparaîtront au fur
et à mesure que chaque téléviseur
sera doté d’un système d’exploitation
intégré. Avec Roku TV pour les télévi
sions connectées, le client n’a même
plus besoin d’une box. Les éditeurs de
contenus de divertissement, eux, ne
veulent soutenir qu’un petit nombre
de platesformes, ce qui amène à la
consolidation des acteurs.
propos recueillis par c. d. l.
« Au fil du temps, les décodeurs externes disparaîtront »