Libération - 18.10.2019

(Ron) #1

Hajar Raissouni, son fiancé,
ainsi que l’équipe médicale
qui l’avait prise en charge ont
été graciés par le roi du Ma-
roc et immédiatement libé-
rés mercredi. Son téléphone
étant encore sous scellé au
lendemain de sa libération
de la prison d’El Arjat, près
de Rabat, nous l’avons con-
tactée via son frère. La jour-
naliste de 28 ans avait été
condamnée le 30 septembre
à un an de prison ferme pour
«avortement» et «relations
sexuelles hors mariage».
Comment avez-vous ap-
pris la nouvelle?
Je lisais dans ma cellule l’Om-
bre du vent, un roman de Car-
los Ruiz Zafón, quand j’ai en-


tendu des prisonnières crier :
«Hajar est graciée! Hajar est
graciée !» Je n’y ai pas cru au
début, j’avais es-
poir que le roi
m e g r a c i e ,
mais à l’occa-
sion d’un évé-
nement natio-
nal, comme à
son habitude,
au bout de trois,
quatre mois
de détention.
Pas maintenant,
pas si soudainement! J’ai
alors allumé la télévision et
c’est là que j’ai aperçu la ban-
nière de ma grâce avec celle
de mon fiancé et du médecin
sur la chaîne d’informations

­Medi1 TV. A la fois sous
le choc et heureuse, j’ai mis
trente minutes pour rassem-
bler quelques
affaires et sortir.
Je suis encore
émue par tout
le monde qui
m’attendait...
Mais je tiens
quand même à
c e q u e m o n
­innocence par
rapport à l’avor-
tement soit juri-
diquement reconnue.
Comment avez-vous vécu
votre détention?
C’était très dur, j’ai perdu
17 kilos en un mois. J’ai refusé
que ma mère et mes frères me

Interview


Reuters

Tous les vendredis sur Libé.fr, la
chronique «Vu du monde» se pen-
che sur un pays émergent.

On en est aux étirements fi-
naux quand Tania lâche sa
bombe : «Mine de rien, c’est
la dictature
sous Bolso-
naro.» Après
des mois à échanger des ba-
nalités (non sans chercher in-
térieurement à cerner l’autre),
on ne s’attendait pas à l’irrup-
tion de la politique en salle de
gym... Dans un Brésil frac-
turé, la politique, c’est devenu
le sujet qui fâche. Que se pas-
se-t-il au pays de «l’homme
cordial»? Les psychanalystes
cherchent encore. Un instant,
en écoutant sa verve anti-bol-
sonariste, on l’a crue de gau-
che. Mais Tania, quadragé-
naire et kiné de son état, est
bien de droite. A la présiden-
tielle d’octobre 2018, rempor-
tée sur Fernando Haddad, le
candidat du Parti des tra-
vailleurs (PT), par le leader
d’extrême droite, elle s’était
abstenue. Contribuant à sa
victoire, ce qu’on se garde de
lui rappeler. Pas le moment
de chercher des coupables.
Une droite républicaine est

peut-être en gestation. Le mot
«polarisation» a fait irruption
dans le débat public fin 2014,
quand le PT de Lula a décro-
ché son quatrième mandat
consécutif, avec Dilma Rous-
seff. L’ex-président l’aurait
avoué : c’était
la victoire de
trop, celle qui
a radicalisé la droite. L’impro-
bable ascension de Bolsonaro


  • autoritaire, réac, raciste et
    homophobe – a achevé de dé-
    chirer le pays. Alex, 30 ans,
    courtier en immobilier, mais
    au noir depuis cinq ans – crise
    oblige –, résume : «Un tabou
    a sauté, les fascistes sont sortis
    du placard.» Notamment au-
    tour de lui : «J’ai coupé tout
    contact avec des amis proches.
    Ça m’a fait mal, mais je ne le
    regrette pas.»
    Alex, on l’a croisé sur la Pau-
    lista, la grande artère de São
    Paulo, pendant une manif
    pour la remise en liberté de
    Lula, condamné pour corrup-
    tion au terme d’un procès
    ­entaché d’irrégularités. On
    s’étonne que le rassemble-
    ment ne provoque pas de
    heurts, au vu de la haine
    aveugle à l’endroit du «père
    des pauvres», emprisonné de-


puis avril 2018. «C’est diman-
che, on est plus zen, justifie
candidement Haany. En se-
maine, ça aurait chauffé.» La
jeune fille est bolsonariste,
mais moins que Helena, une
retraitée venue profiter de
l’affluence pour écouler son
stock de bières. A ­l’entendre,
«ce sont les homosexuels» qui
n’aiment pas son champion,
«défenseur de la famille».
«Lula libre», le mot d’ordre
des manifestants? Elle en-
rage : «Sans vergogne, ces
communistes [la pire insulte
dans la bouche d’un bolsona-
riste, ndlr]. Les voleurs, ils
sont censés être où, je vous le
demande !» Helena est du
Nordeste déshérité. Là-bas,
ils aiment encore le PT :
«Dans la famille, on ne se
parle plus.» Une manifestante
pro-Lula s’immisce dans
la conversation : «Personne
n’avait rien fait pour le Nor-
deste avant lui», plaide-t-elle
posément. «C’est vrai»,
­concède Haany. Soudain, tout
le monde est d’accord. Ou du
moins fait semblant. Le syn-
drome de la cordialité?
Chantal Rayes
Correspondante
à São Paulo

Bolsonaro et Lula coupent


le Brésil en deux


Vu du monde


ONU Le Venezuela
élu au Conseil des
droits de l’homme


Le gouvernement vénézué-
lien de Nicolás Maduro a
qualifié de «victoire» et de
«réussite importante» son
élection jeudi au Conseil des
droits de l’homme de l’ONU
pour la période 2020-2022,
malgré les vives critiques
d’ONG et d’autres pays lati-
no-américains. «Nous célé-
brons aujourd’hui une nou-
velle victoire de la diplomatie
bolivarienne de paix», a
­déclaré à la presse le minis-
tre des Affaires étrangères,
Jorge Arreaza. Peu avant, le
procureur général Tarek Wil-
liam Saab avait salué une
«réussite importante» alors
qu’il annonçait dans le
même temps la libération
de 24 opposants. L’élection
du Venezuela «est une gifle»
pour le monde entier, a réagi
Philippe Bolopion, de l’ONG
Human Rights Watch, qui
avait fait campagne contre la
candidature de Caracas avec
une cinquantaine d’autres
ONG vénézuéliennes et in-
ternationales. Basé à Ge-
nève, le Conseil des droits de
l’homme a la responsabilité
de renforcer la promotion et
la protection des droits ­de
l’homme. Ses 47 membres
sont renouvelés chaque
­année pour environ un tiers
­d’entre eux.


Afghanistan Plus de 1 000 victimes
civiles cet été

L’Afghanistan continue de s’enfoncer dans une violence
«totalement inacceptable» avec un nombre de victimes
civiles «sans précédent» au troisième trimestre de l’an-
née, selon un rapport de l’ONU publié jeudi. Entre le
1 er juillet et le 30 septembre, la mission de l’ONU en Af-
ghanistan (Manua) a recensé 1 174 civils tués et
3 139 blessés. «C’est le plus grand nombre de victimes ci-
viles enregistré [...] au cours d’un seul trimestre» de-
puis 2009, quand l’organisation a commencé un dé-
compte systématique des pertes civiles dues au conflit.
Pour les neuf premiers mois de l’année, la Manua a en-
registré 2 563 civils tués, dont 261 femmes et 631 en-
fants, ainsi que près de 5 700 blessés. En cause, «une
augmentation significative des attaques-suicides et à
l’explosif ainsi que les combats ouverts [...] lors de l’élec-
tion présidentielle» du 28 septembre. Deux attentats en
juillet et septembre ont fait à eux seuls 51 morts. Selon
la Manua, cette hausse du nombre des victimes «est due
avant tout aux [...] éléments antigouvernementaux».
Outre les talibans, il s’agit notamment de la branche
­afghane de l’Etat islamique. Ce dernier, d’obédience
sunnite, a été responsable d’un attentat à motivation
­confessionnelle contre les chiites qui avait tué 91 parti-
cipants à un mariage à Kaboul le 17 août. Photo Moham-
mad Anwar Dashyar. AP

rendent visite pour ne pas les
traumatiser. Seul mon oncle,
Souleymane [Raissouni, ré-
dacteur en chef du journal in-
dépendant Akhbar al-Yaoum,
ndlr], venait me voir tous les
mercredis, avec les journaux
de la semaine sous le bras.
Q u e p e n s e z -vo u s d u
­combat pour les libertés
individuelles engagé en
votre nom?
Je suis contente que mon cas
ait lancé un débat sur les li-
bertés individuelles, c’est
un débat sain. Quant à moi,
je reste convaincue que mon
arrestation et ma condamna-
tion étaient politiques.
Recueilli par
Dounia Hadni

Bolivie La réélection d’Evo Morales
menacée

Le président boli-
vien de gauche Evo
Morales, qui brigue
un quatrième man-
dat, a appelé mer-
credi ses compa­-
triotes à «ne pas
l’abandonner» lors
du scrutin de di-
manche. «Je vous
demande cinq an-
nées de plus pour fi-
nir nos grands tra-
vaux», a déclaré un
Morales énergique
mais à la voix cassée
lors de son dernier
meeting de campagne. A l’autre bout du pays, à Santa
Cruz, son principal opposant, le centriste Carlos Mesa, lui
répondait quasi au même moment : «La Bolivie va vaincre
l’autoritarisme de près de quatorze ans.» Ce journaliste et
ex-président pourrait pour la première fois depuis
treize ans contraindre Evo Morales, premier Amérindien
à accéder à la fonction suprême en Bolivie, à un second
tour. Photo Reuters

Hajar Raissouni : «Je ne m’attendais


pas à ce que le roi me gracie si vite»


Racisme : le président de la Fifa en faveur
d’interdictions de stade au niveau mondial
Trois jours après les cris de singes, les saluts nazis et
les gestes obscènes lors du match de qualification pour
l’Euro Bulgarie-Angleterre, le président de la Fifa, Gianni
Infantino, s’est dit favorable à une interdiction mondiale
de stade pour les spectateurs coupables d’actes racistes,
dénonçant au passage une «maladie qui semble s’aggra-
ver dans certaines parties du monde». Photo AFP

Libération Vendredi 18 Octobre 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 11

Free download pdf