Le Monde - 20.10.2019

(lily) #1

16 |économie & entreprise DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019


0123


Les Hauts­de­France en pointe


sur l’économie responsable


Près de 1 000 projets illustrent la dynamique de transformation de la région


lille ­ correspondance

I


ls n’ont pas l’air de doux rê­
veurs dans leurs costumes et
leurs chemises blanches.
Pourtant, ils sont convain­
cus que chaque citoyen détient le
pouvoir de changer le monde. A
l’heure du changement climati­
que, les patrons du réseau nor­
diste Alliances, premier réseau ré­
gional d’entreprises expert en
responsabilité sociétale des en­
treprises, ont choisi « Ego Impe­
rium » comme thème de la 13e édi­
tion du World Forum For a Res­
ponsible Economy.
Cette grand­messe annuelle a
réuni à Lille, pendant trois jours,
du mardi 15 au jeudi 17 octobre, le
gotha du monde de l’économie
responsable. Au total, près de
4 000 visiteurs sont venus écou­
ter le Suisse Bertrand Piccard, le
fondateur de Solar Impulse (le
premier avion à voler sans carbu­
rant), l’Américain Dale Dou­
gherty, considéré comme le père
du « mouvement des makers »
(qui rassemble les passionnés de
nouvelles technologies désireux
de fabriquer eux­mêmes des ob­
jets), ou Heidi Solba, la représen­
tante mondiale du World
CleanUp Day, qui consiste à orga­
niser des nettoyages citoyens
pour lutter contre la pollution.
« Ego imperium », qui se traduit
par « j’ai le pouvoir de changer le
monde », est un message visant

les 6,2 millions d’habitants de la
région Hauts­de­France, au mo­
ment où la planète vit une révolu­
tion accélérée qui bouleverse les
modèles économiques, les habi­
tudes de consommation et la vie
quotidienne.
« Il faut passer de la posture de
revendication à l’engagement, a
lancé Philippe Vasseur, fondateur
de ce forum. En clair, O.K. tu vas
nettoyer la planète, mais com­
mence déjà par nettoyer ta cham­
bre. » Un clin d’œil adressé no­
tamment à la jeunesse, qu’il es­
père voir adopter ces change­
ments de pratiques.
Car, si les acteurs économiques
du Nord évoquent depuis près de
vingt­cinq ans les questions de
responsabilité sociétale des en­
treprises (RSE), si l’économiste
américain Jeremy Rifkin a accepté
d’accompagner la troisième révo­
lution industrielle amorcée au
pays des ch’tis, et si près d’un mil­
lier de projets illustrent déjà la dy­

namique instaurée pour transfor­
mer les Hauts­de­France en l’une
des régions européennes les plus
avancées en matière de transition
énergétique et de technologies
numériques, les citoyens sem­
blent tout ignorer de cette trans­
formation profonde du territoire.
« Il y a un énorme travail à faire
afin d’aller au plus près des gens
pour convaincre, car il faut que
chacun se bouge », constate Phi­
lippe Vasseur.

Droit d’interpellation citoyen
L’ancien ministre de l’agriculture
devenu président de la Mission
Rev3 (union originale de respon­
sables politiques, de chercheurs,
d’entreprises, d’universités, de
clusters et d’associations con­
vaincus que la région peut deve­
nir le symbole de la troisième ré­
volution industrielle comme elle
l’a été de la première révolution
industrielle, celle du charbon et
de la machine à vapeur) est déçu.
« Frustré, mais pas abattu, corrige­
t­il, après trois jours passés au Fo­
rum mondial de l’économie res­
ponsable. Rev3 marche très bien,
sauf qu’on est encore trop dans un
cercle fermé. »
Le concept de troisième révolu­
tion industrielle, né il y a six ans
d’une intuition partagée par
Philippe Vasseur et Daniel Per­
cheron, l’ancien président de la
région, n’est pourtant plus un
schéma abstrait. Filière hydro­

gène, biométhanisation, réseaux
électriques intelligents, rénova­
tion thermique de parcs de loge­
ments miniers, plans zéro car­
bone, économie circulaire. Au
total, seize territoires des Hauts­
de­France se sont engagés à deve­
nir des démonstrateurs de cette
économie du futur.
La révolution Rev3 est en mar­
che, avec un investissement pu­
blic et privé estimé à 500 millions
d’euros par an, ainsi qu’un fonds
d’investissement inédit de 50 mil­
lions d’euros par an destiné à fi­
nancer des entreprises désireuses
de développer leur projet et à
créer des emplois.
Comment faire pour que les ci­
toyens s’en emparent? « Les politi­
ques ont un rôle à jouer dans l’édu­
cation aux véritables enjeux de ces
changements, a estimé Xavier
Bertrand, président des Hauts­de­
France, lors de la clôture du fo­
rum. Les Français ont pris cons­
cience de l’importance de lutter
contre le réchauffement climati­
que, mais comment mieux se
nourrir ou mieux isoler son loge­
ment si l’on n’en a pas les moyens?
Il faut redonner une forme de pou­
voir, une nouvelle forme de démo­
cratie. » Un droit d’interpellation
citoyen sera mis en place en 2020
dans la région, a­t­il annoncé.
L’élu est certain qu’il sera apostro­
phé sur des sujets environne­
mentaux.
laurie moniez

Le concept
de troisième
révolution
industrielle, né
il y a six ans, n’est
plus un schéma
abstrait

C R Y PTO M O N N A I E
Des mesures
en préparation
contre le libra
La France, l’Italie et l’Allema­
gne préparent des mesures
pour interdire la cryptomon­
naie de Facebook, le libra, sur
le sol européen, a annoncé,
vendredi 18 octobre, Bruno
Le Maire, le ministre français
de l’économie, en marge des
réunions du FMI et de la Ban­
que mondiale, à Washington.
« Nous prendrons (...) un cer­
tain nombre d’initiatives pour
marquer clairement que le
libra n’est pas le bienvenu en
Europe, parce que c’est notre
souveraineté qui est en jeu »,
a­t­il déclaré. – (AFP.)

CO N S O M M AT I O N
Engie condamné pour
démarchage abusif
Le fournisseur d’énergie
Engie a été condamné à payer
près de 900 000 euros
d’amende pour démarchage
abusif, a annoncé, vendredi
18 octobre, la Répression des
fraudes (DGCCRF). Cette sanc­
tion fait écho à une enquête
menée dans les Hauts­de­
Seine entre juin 2017 et fé­
vrier 2019, à la suite de plu­
sieurs plaintes de
consommateurs. – (AFP.)

É N E R G I E
Démarrage de la
centrale solaire flottante
de Piolenc
La centrale solaire flottante
de Piolenc (Vaucluse), la plus
puissante du genre en
Europe, a produit, vendredi
18 octobre, son premier élec­
tron, dans le cadre d’une offre
d’électricité verte d’origine
contrôlée qui est, elle aussi,
une première en France. La
centrale O’Mega1, qui couvre
17 des 50 hectares d’un plan
d’eau artificiel, avec
47 000 panneaux photovol­
taïques, pourra produire jus­
qu’à 17 mégawatts par an, soit
la consommation d’électricité
de 4 700 foyers ou d’environ
10 000 personnes. – (AFP.)

Commerce mondial :


le courroux européen


L’application des sanctions américaines
provoque de vives réactions en France

L’


heure de la riposte a
sonné. L’entrée en vi­
gueur, vendredi 18 octo­
bre, des sanctions douanières
américaines à l’égard des produits
européens a provoqué une pre­
mière volée de réactions irritées.
« Regrettant » cette décision, la
commissaire européenne au
commerce, Cecilia Malmström, a
estimé que l’Union européenne
(UE) n’avait « pas d’autre choix »
que des représailles.
Toutefois, Washington a ouvert
la porte à des négociations. Selon
le ministre français de l’écono­
mie, Bruno Le Maire, qui s’est
« longuement entretenu », à
Washington, avec le représentant
américain au commerce Robert
Lighthizer, celui­ci a accepté le
principe de discussions. « Le plus
tôt sera le mieux », a lancé le mi­
nistre, déplorant cependant « l’er­
reur politique et économique » que
constitue le choix américain.
Cette hausse des droits de
douane américains à l’encontre
des produits européens, qui
s’élève à 7,5 milliards de dollars
(6,7 milliards d’euros), a reçu le
feu vert de l’Organisation mon­
diale du commerce (OMC) dans le
cadre du feuilleton des subven­
tions accordées à Airbus. Le pro­
chain épisode de cette affaire à re­
bondissements devrait être la
possibilité qui sera donnée
en 2020 par l’OMC à l’UE d’impo­
ser à son tour des sanctions
contre les Etats­Unis, accusés
d’avoir subventionné Boeing.
Pour la France, d’après l’assu­
reur­crédit Euler Hermes, le coût
des sanctions américaines de­
vrait se monter à 1 milliard
d’euros. Plus de la moitié de la fac­
ture (530 millions d’euros) sera

supportée par l’industrie aéro­
nautique, dont les ventes d’avi­
ons finis seront taxées à 10 %. Les
exportations de vins de raisin
non pétillants, pénalisées par des
droits de douane de 25 %, seraient,
elles, affectées à hauteur de
370 millions d’euros. Le reste
pourrait être prélevé sur les pro­
duits laitiers (60 millions d’euros
de pertes) et d’autres postes rési­
duels (40 millions).

Craintes de la filière vin
Très inquiets, les exportateurs
d’alcool français ont demandé au
gouvernement des mesures de
soutien rapides pour la filière vin,
et à la Commission européenne
l’ouverture de négociations avec
Washington. La taxation améri­
caine sur les vins français devrait
conduire à une hausse des prix
pour le consommateur améri­
cain. Un renchérissement qui
porte en germe un risque impor­
tant de pertes de part de marché.
« Les Etats­Unis sont notre pre­
mier client et représentent près de
20 % de l’ensemble de nos exporta­
tions de vins », souligne, dans un
communiqué, la Fédération des
exportateurs de vins et spiri­
tueux (FEVS). Cette dernière
ajoute que plus de 4 500 entrepri­
ses françaises exportatrices sont
désormais directement concer­
nées par la décision du gouverne­
ment américain. En début de se­
maine, le ministre français de
l’agriculture avait semblé vouloir
renvoyer la balle à Bruxelles. Di­
dier Guillaume a demandé à la
Commission européenne de
« prendre des mesures d’accompa­
gnement pour faire face à cette si­
tuation exceptionnelle ».
anne eveno

L’observateur distrait pourrait s’y
laisser prendre. Puisque les cours
du brut continuent depuis plu­
sieurs semaines d’osciller entre
58 et 65 dollars (entre 52 et
59 euros), c’est que le marché est
stable et le pétrole proche d’un
prix d’équilibre. Tout va donc
pour le mieux au pays de l’or
noir... a priori. La réalité est plus
inquiétante, et porte en elle les
germes d’une nouvelle crise.
Alors que le monde consomme
chaque jour plus de 100 millions
de barils, le marché pétrolier, très
volatil, est plus fragile que jamais.
Du côté de l’offre, les perturba­
tions s’accumulent, et les si­
gnaux sont contradictoires.
D’abord, la production améri­
caine de pétrole de schiste. Grâce
à elle, les Américains sont deve­
nus, en 2018, les premiers pro­
ducteurs mondiaux de brut, avec
plus de 12 millions de barils par
jour. Mais cette croissance stagne
et plusieurs analystes sont en
train de revoir à la baisse les pers­
pectives pour les années à venir.
Or le pétrole américain est de­
venu la variable d’ajustement du
marché mondial : si les prix
montent, le Bassin permien, dans
l’ouest du Texas, voit les forages
se multiplier. Si les prix baissent
ou stagnent, l’activité ralentit.
Ensuite, dans le golfe Arabo­Per­
sique, les tensions irano­saou­
diennes se sont accrues. L’offen­
sive menée contre les installa­
tions pétrolières saoudiennes, le
14 septembre, a coûté à Riyad la


moitié de sa production de brut
pendant plusieurs semaines. Une
douzaine d’attaques sur des tan­
kers ont eu lieu ces derniers mois.
Et les sanctions américaines sur
le pétrole iranien paralysent les
exportations du pays.
A cela s’ajoute l’effondrement
du Venezuela, toujours em­
bourbé dans une profonde crise
politique et économique. Ses ex­
portations ont été divisées par
plus de deux du fait du conflit qui
met aux prises le président Nico­
las Maduro et l’opposition. Les
mobilisations sociales en Equa­
teur et en Algérie contribuent
aussi à réduire l’offre mondiale.
Cette conjoncture devrait logi­
quement conduire à un prix du
pétrole en hausse. C’est pourtant
l’inverse qui se produit. Depuis
des semaines, les inquiétudes
qui pèsent sur la situation éco­
nomique mondiale et la guerre
commerciale entre Washington
et Pékin ont raison de toutes ces
tendances haussières. Corollaire :
les cours du baril jouent au yoyo.
Si le contentieux entre l’Iran et
les Etats­Unis venait à s’apaiser,
ou si l’OPEP relâchait un peu sa
stratégie de coupes dans la pro­
duction, les cours pourraient chu­
ter brutalement. Cela représente­
rait une bonne nouvelle à court
terme pour les consommateurs
occidentaux, mais une catastro­
phe pour les pays producteurs,
qui seraient précipités dans une
crise violente.

MATIÈRES  PREMIÈRES
PAR  NABIL  WAKIM 

L’inquiétant


yoyo pétrolier


lemonde.fr/le-club-de-l-economie


Unrendez-vous mensuel de débats et
d’échanges sur les grandes mutations
économiques.

Retrouvez le compterendu
des interventions des invités

de la séance du17 octobre.


EMMANUELLEWARGON
Secrétaire d’État auprès de la ministre
de laTr ansition écologique etsolidaire

JEAN-BERNARD LEVY
Président Directeur Général d’EDF

sur

Free download pdf